Comment cela, mon bon sire ? Vous n’avez jamais entendu parler de nous trois ? Vous nous faites une vilaine farce ! Mais enfin, si les rencontres fortuites font votre plaisir, jouons ensemble ! Saurez-vous deviner qui de nous trois correspond à chaque description ?
Je suis Selvia Pascoale, fille de bonne famille de Castelquisianni, venue de mon île natale pour m’enrichir de bonnes manières et de bonnes compagnies. Du haut de mes vingt-quatre étés et de mon mètre soixante-cinq, je suis l’aînée des trois et la plus expérimentée. L’on se perd dans mes yeux d’azur pour m’offrir ce que mon cœur ardemment désire : des bijoux, des bisous, des doudous.
Que voulez-vous ? Je suis peut-être une gente demoiselle, mais comme toutes trois, je suis aussi une femme, et une femme de bon atour toujours trouvera l’amour. Et j’ai pour l’amour un riche appétit. Mes robes d’émeraude et d’or et mon maquillage sophistiqué ne sont pourtant pas ce qui m’ont le plus rapporté. Les damoiseaux comme les gentilhommes aiment ma taille fine, mes interminables gambettes, ma croupe proprette et mes petits seins fermes. Ils vénèrent mes cheveux d’or et mon visage de princesse, me parlent descendance quand ce que j’attends, c’est l’extase sans enfants.
Ce que je préfère, c’est ce qui vient après, les confessions sur l’oreiller au creux de mes oreilles et les cadeaux coupables pour racheter ma dignité qu’ils pensent m’avoir volé. Leurs petites histoires et leurs vices dérisoires, j’en fais mon commerce, les partage avec mes amies et m’en sers pour faire ici mon nid. Une belle femme sait ce qui peut s’échanger, contre un service ou une position avancée.
Moi, c’est Fauve D’Alérion. Je suis sûr que vous n’en avez jamais entendu parler. C’est dommage, car il y fait beau, et il y fait bon, dans la vallée lointaine que dirigent mes parents. Encerclés par les montagnes et la mer, notre microclimat fait notre célébrité par-delà la frontière. Les riches Tekhanes aiment à nous rendre visite pour se prélasser sur nos plages, et nous apportent leurs produits et leur goût de la liberté. Il n’y a pas, chez moi, une femme qui se laisserait faire comme j’en vois ici. Et à vingt ans tout juste, je suis bien assez vieille pour en nourrir du soucis. J’affiche avec fierté mes cheveux rouges brillants et mes yeux améthyste, et mes robes en tissus scintillants qui attirent les regards de tous les manants.
Pas beaucoup plus grande qu’un mètre cinquante, je dois bien batailler pour me faire remarquer. Je joue des limites de la convenance et de l’excentricité. Contrairement aux autres, j’attire les hommes pour m’en servir, prendre mon pied, jouer à la chevauchée, et aussitôt m’en départir. Leurs aveux, je les leur tire dans leurs derniers soupirs, quand ils viennent entre mes cuisses dans une plainte pathétique et me donnent la seule douceur que peut me donner leur trique. Jeunes et jolis ou vieux et carrés, je m’en moque tant que j’ai matière à m’amuser. Tout le monde connaît leurs secrets une fois mes folies finies, et tout le monde me sait cruelle, mais les promesses d’une femme qui se connaît vaut bien le danger d’un séjour aux Enfers.
On aime me croire vulnérable, avec ma taille d’enfant, ma taille de guêpe, mon poids plume et mon corps sans charme particulier. On aime croire que mon attitude cache le désespoir d’une fille qui cherche un sauveur. Ne croyez pas ce qu’on dit sur les méchantes filles : nous sommes bien réelles et on mord pour de vrai.
Quand à moi, mon nom est Anastasia Blagorodnova. Je sais, c’est un nom bien étrange, c’est que je suis la seule à ne pas connaître mes origines. Je me suis réveillée au milieu de la rue, un jour d’hiver, seule et sans affaires. Seul mon nom me restait en tête. J’ai été accueillie au palais et on a fait de moi une ménagère. Mais je suis une curieuse, et j’entends beaucoup de choses. A force d’indiscrétions, me voilà devenue une demoiselle de seize printemps de bel appairage, et l’amie douce et fidèle des deux filles qui m’accompagnent.
Je suis peut-être la moins femme des trois, dans mes robes bleues de petite dame avec mon corps tout plat, mais certainement pas la moins jolie. On me dit charmante, avec mes grands yeux bleus rêveurs et mes beaux cheveux blancs. J’ai appris que les maigrichonnes font peur aux garçons. Ils ont peur de nous casser avec leur élan. Alors, j’aime prendre les devants, et couper court aux boniments quand je les sens prêts à s’envoler au premier coup de vent. C’est que malgré mon allure de perche d’un mètre soixante-quinze, on ne me brise pas facilement. Je suis encore jeune et j’ai beaucoup à découvrir, et j’aime savoir ce que les gens désirent pendant que je m’attache à les divertir.
Avec mes amies, nous faisons une bonne équipe. Chacune de nous sait obtenir ce qu’elle veut et nous en tirons tous des bénéfices. Quand je serai grande, je veux avoir autant de mordant que Fauve et autant d’assurance que Selvia. Mais en attendant, je tâtonne du bout de mes doigts, de mes lèvres et de ma langue, je tends l’oreille, à l’affût d’une histoire nouvelle, et chaque nouveau plaisir découvert m’émerveille.
Alors ? Avez-vous deviné ? Ça n’est pas bien compliqué ! Mais dites-nous plus tôt : laquelle de nous est à vos yeux la plus désirée ? Nous sommes un peu des garces quand il s’agit de tenir les comptes, et vous pourriez bien vouloir nous départager. Qu’en dites-vous ? Êtes-vous seulement sûr de pouvoir assurer ? Ne vous inquiétez pas : une bonne histoire avant de nous coucher, et toutes vos déconvenues seront oubliées …