Il ne m'a fallu qu'une semaine pour mémoriser le plan du couvent. Les sages promenades entre religieuses sont autant d'opportunités pour observer les alentours, déterminer les moyens de sortir sans passer par les portes, repérer les défauts dans la grille du parc. Garder la tête baissée sous la capuche n'empêche pas les regards fuyants, tandis que le silence conforte la mémorisation Ce sera plus difficile que de m'enfuir de ma chambre, chez mes parents, mais ce n'est pas impossible, tant qu'aucune de mes colocs ne me trahit. Si elles veulent profiter de la vie, elles n'ont qu'à oser sortir !
En quelques nuits, j'ai aussi mémorisé plusieurs chemins de sortie et donc de retour aussi, les ai testés, juste sortie pour aussitôt rentrer, puis allée un peu plus loin, encore un peu plus loin. La Mère supérieure est si sûre de ses garde-chiourmes qu'elle n'imagine même pas les failles de sa forteresse. Pas de vidéo, juste deux gros lascars qui patrouillent à heure fixe sur un parcours fixe. C'est presque plus facile que quand je quittais ma chambre en pleine nuit ! Mais ça devient surtout urgent, car le manque me ronge.
J'avance de plus en plus, les lumières de la ville de Seikusu sont plus attirantes que l'extinction des feux dès vingt heures au couvent. Si je me suis vite habituée au Japon, je n'en suis qu'aux balbutiements quant aux coutumes locales. Je ne sors pas pour boire ou manger, c'est déjà ça. Non, je ressens de plus en plus cette frustration, ce manque, ce corps qui implore. Il n'y a plus ni Léa ni Maxime, il me faut autre chose, et vite! Mais, attifée en bonne soeur...
Car, côté accoutrement, le mien pourrait détonner, mais j'ai appris qu'il y a plusieurs communautés chrétiennes dans cette ville, et que nul ne se pose de questions. J'aimerais bien sortir avec les tenues sexy que mon père à détruites dans mon armoire, mais tout ça, c'est le passé. Bon, je me suis débrouillée, et il y en a juste deux que j'ai sauvées, et garde secrètement entre matelas et sommier, les enfilant juste sous ma tenue quand je sors.
Mais, ce soir, on dirait que le paroxysme du débridé est atteint. Comme dans un gigantesque carnaval, je croise toutes sortes de déguisements. Et, plus j'approche de la place où j'ai repéré le cinéma local, plus il finit par y avoir davantage de passants déguisés que de badauds habillés normalement. Sur la place même, c'est comme une nuée, amassée devant un panneau où, mon inculture en japonais étant totale, je peux lire quelques mots dans un anglais, que je traduis par convention cosplay mangas animes hentaï.
Mangas, je connais ; Yohan, le frère de Maxime, le baise-mou quoi, en était fan, et il m'avait montré ces trucs, des bandes dessinées crues. Bon, celui-là, vu ses perfs au plumard, il pouvait continuer à se branler sur ses bouquins. Et, vu la vidéo qu'il avait osé tourner de moi, il pouvait même se broyer à queue à se branler aussi souvent !
Mais, pour en revenir à Seikusu, ce devait donc être un rassemblement de tous les fans. De là à venir déguisés, quand même ! Bon, ceux qui ont juste une veste ou une jupe un peu décalés, voire un maquillage parfois très sophistiqué, ça peut aller. Mais d'autres ! Il y en a qui ont dû passer des heures à se réaliser. Il y a aussi autant de belles choses que de trucs peu ragoûtants, sans oublier un nombre incroyable d'excentricités, peut-être banales ici. Ca va d'immenses cornes qui ont du mal à se frayer un chemin même en hauteur, à des tenues rose bonbon comme les poupées que j'avais il y a longtemps, sans parler de nudités sous toutes les formes plus ou moins dévoilées, du pantalon moulant aux seins apparents. Mais, au moins, eux savent s'amuser ; ils n'ont pas de parents fans des Saintes Ecritures.
Ils croient même que je suis des leurs. Un espèce de cosmonaute à l'oeil masqué me dit même, dans un français très approximatif "hey vous costume joli". Je n'en reviens pas; mon uniforme strict à pleurer en devient soudain une tenue de carnaval. Au moins, je ne détonne pas!
Tout ce monde grouille, et semble se diriger vers l'immense bâtiment, coincé entre le cinéma et un hôtel, et qui ressemble à une salle de spectacle. Je trouve un banc pour m'asseoir, au milieu de cette marée humaine colorée et joyeuse, s'amusant à toujours s'enthousiasmer pour un nouveau costume, pour un nouveau délire. C'est mieux que de dormir, mains jointes, au couvent !