Prédateurs en chasse... [Rayne]

Après s’être contenté d’une petite mise en bouche à l’aéroport, Aiden avait voulu rejoindre directement le campus de Seikusu, mais ce fut sans compter sur son odorat de loup qui repéra une odeur étrange parmi le fourmillement d’êtres humains. Une espèce de puanteur cadavérique aux notes élégantes et raffinées...ce parfum provocant, il l’avait humé plusieurs fois au cours de sa longue vie, cependant, la dernière en date fût à Londres, il y a de cela 20 ans dans le quartier de Kensington. Il avait eu alors quelques déconvenues avec un groupe de vampires férus de touristes.
Se remémorant ce souvenir belliqueux, l’idée de passer au plat de résistance titilla fortement le loup. De plus, la perspective du danger et de la bagarre l’excitait un peu pour son premier jour au Japon ! Tant pis pour les bonnes résolutions, à quoi bon faire preuve de discrétion et passer inaperçu ?


La piste olfactive le mena tout droit dans une zone industrielle, toujours en périphérie de la ville, pas si loin que ça de l’aéroport, du moins, pour une créature. En voyant le paysage se transformer et s’assombrir par l’apparition de bâtiments en briques ou en tôle grisâtre et rouillée, Aiden se réjouît de savoir que finalement, ses nouvelles aventures seraient à l’abri des regards et sans éventuels dommages collatéraux. Peu enclin à faire dans la discrétion - après tout, c’était lui le prédateur - il se mit à siffloter  « Pumped up kicks » avec entrain, parfaitement à l’aise et peu inquiet à l’idée de tomber sur l’un de ces suceurs de sang. Sa démarche était presque dansante ! Provoquait-il la rencontre ? Peut-être bien... Et si ces soi-disant « ennemis naturels » prenaient la fuite ? Oh, il ne se faisait guère d’illusion : tout bon vampire à un minimum d’ego...

All the other kids with the pumped up kicks you'd better run, better run, outrun my gun...

La vaste étendue d’usines abandonnées étouffait sa chansonnette avec un silence des plus assourdissants. Si une créature se terrait ici, elle était d’une discrétion étonnante et devait s’être réfugiée à l’intérieur...
Aiden inspira à fond, emplissant ses poumons des senteurs environnantes. Entre l’âcreté du charbon, du fer et la lourdeur de la poussière, il détecta cette empreinte que laissaient souvent bien involontairement les morts-vivants. Cette traînée invisible continuait dans la bâtisse la plus usée par les effets du temps et la plus barricadée. Un endroit de choix qui mettait Dracula et Draculette à l’abri des rayons du soleil.

Pour ne pas s’encombrer, Aiden déposa nonchalamment son sac de voyage en toile noire sur des restes de planches de bois qui avaient servies à condamner précipitamment l’entrée dépourvues de porte. N’importe quel squatteur pouvait pénétrer là-dedans, il suffisait de se pencher et de se glisser entre les linteaux. Evidemment, mieux ne valait pas être un habitué des fast-food.

A l’intérieur, le lycanthrope s’accoutuma rapidement au peu de lumière. Ses yeux bleus nuits brillaient malgré tout sous l’effet de l’excitation : une chasse dans un endroit aussi primitif faisait remonter ses plus bas instincts. Il s’enfonça dans le couloir jonché de portes. Etant donné la configuration des lieux, il se doutait qu’à sa droite il n’y avait que des bureaux mais qu’à sa gauche...tous les chemins menaient à un immense entrepôt... Sa proie allait dans cette direction.

Mais plutôt que de la suivre bêtement et se faire prendre par surprise suite à un excès de confiance, Aiden jugea bon de prendre discrètement l’escalier menant au premier et dernier étage. Les anciens chefs d’entreprise adoraient observer et surplomber les ouvriers : il devrait bien y avoir un accès avec vue d’ensemble sur l’entrepôt là-haut !

Lentement, il démarra son ascension, essayant de limiter le tintement métallique que provoquait le contact de ses boots contre l’escalier branlant. L’écho se voulait facile dans des lieux de ce genre ! A  mi-chemin, il eût un doute : il avait beau ne pas avoir un poids de bodybuilder, si les marches cédaient, à défaut d’avoir une chute mortelle, il se ferait repérer ou serait en position de faiblesse... Il redoubla de précaution, testant son pas sur les marches avant d’y prendre appui.

Ce n’est qu’une fois les deux pieds sur le sol parsemé de débris et couvert de particules qu’il s’octroya un soupir muet de soulagement. Un court moment il se demanda si ses vêtements n’allaient pas être bons pour la poubelle : ils avaient douloureusement supportés 21h de vol et voilà qu’il les baladait à travers des recoins carrément sales !

Un bruit de ferraille le fît brusquement sortir de ses pensées esthétiques. Calmement mais rapidement, il entra dans le hangar géant et se plaqua contre l’une des grandes poutrelles de la grande plateforme. Cette dernière, de la taille d’un corridor, s’étendait sur la largeur et la longueur, dessinant un L. Un spot privilégié pour observer sans se faire repérer !

Tapi dans l’ombre, Aiden jeta un œil en contrebas... Il ne voyait rien pour le moment mais trouvait que l’odeur de vampire c’était nettement amplifiée... A moins que sa proie n’aie pas pris de douche depuis un mois au moins...cela ne voulait dire qu’une chose...

Il n’y en avait pas qu’un.

Eh merde...pesta-t-il contre lui-même en un vague murmure.

« C’est sûrement là...
 -  En tout cas, glissa Severin dans le creux de son oreille, c’est ce que nos sources confirment... »

Silencieusement, Rayne observa les lieux. Elle se tenait en appui sur une grue industrielle, observant une partie sinistrée de la zone industrielle. Depuis la crise économique des années 1990’s, beaucoup des usines avaient fermé. Auparavant, les usines survivaient grâce à l’exploitation de gisements miniers et du bois environnants, mais, avec le temps, les entreprises avaient fermé, et la production minière s’était raréfiée. Il y avait maintenant de multiples entrepôts vides, délaissés, faute d’avoir trouvé des repreneurs, avec des sociétés embourbées dans des procédures judiciaires interminables. Les lieux étaient en conséquence à l’abandon, envahis par des squatteurs, des clochards... Et des sectes vampiriques. Et surtout une, qui appartenait à un individu que Rayne traquait avec acharnement : Garek. Un redoutable vampire psychique qui avait pour particularité de porter une partie de son sang. Il était son demi-frère, descendant de Kagan, et, à ce titre, comme pour le reste de sa famille vampirique, Rayne avait très envie de faire connaissance avec lui, et de le décapiter.

Elle avait traqué Garek jusqu’à apprendre qu’il avait fini par se rendre à Seikusu. Ressemblant à une sorte d’anarchiste, Garek partageait les mêmes ambitions démesurées que son père, à savoir abolir la civilisation humaine au profit d’une civilisation vampirique. Les autorités humaines le traquaient, car Garek était un terroriste doublé d’un gourou redoutable. Il avait sévi à travers tous les continents, laissant derrière lui des cellules terroristes qui capturaient des humains pour les transformer en vampires, les torturer, ou s’en servir comme expériences génétiques afin de confectionner de redoutables bombes sanguines.

« Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi Garek vient ici...
 -  Le lien avec Terra, peut-être ?
 -  Ou peut-être est-ce que Kagan l’a appelé... »

Rayne espérait toujours retrouver son père, et pouvoir lui ouvrir le ventre avec sa lame. Severin, de son côté, qui était son ancien agent de liaison au sein de la Brimstone, avant que la société ne les rejette, suite à leur échec contre Kagan. Mais Rayne n’avait jamais cessé la traque, et c’était bien pour ça qu’elle se trouvait là, surplombant la zone. Descendant de la grue, Rayne bondit en avant, et atterrit gracieusement sur un toit. Elle surplombait un entrepôt abandonné, jouxtant une usine. S’approchant des vitres situées sur le plafond, elle se pencha par là, et en ouvrit délicatement une. Des poutres métalliques se trouvaient en hauteur, et elle se laissa tomber dessus, percevant des groupes sanguins avec ses instincts.

Les vampires de Garek étaient là, organisant une réunion. Sa secte se mobilisait, et, les connaissant, le pire était à craindre. Rayne n’avait pas encore repéré l’intrus dans le lot, et vit plusieurs vampires s’avancer. Ils ne portaient pas de tenues cérémoniales, comme de longues toges, mais ressemblaient plutôt à une bande de skinheads, arborant des crêtes, des lunettes noires, des piercings, des tatouages anarchistes et nihilistes. « CHAOS RULES EVERYTHING ! » put lire Rayne en observant le groupe, qui rejoignit le centre de l’usine, à savoir un ancien entrepôt avec des wagons abandonnés, où d’autres membres étaient là.

« Garek est là ?
 -  Pas encore...
 -  Je ne comprends pas pourquoi il a tenu à ce que nous soyons tous là. »

Rayne restait silencieuse, très intéressée, et rejoignit un conduit de ventilation, s’en servant pour rejoindre l’ancienne station. Elle sentait de multiples groupes sanguins se rapprochant, et continua à observer, silencieuse, en redoutant le pire...

« Garek est là ?

- Pas encore...

- Je ne comprends pas pourquoi il a tenu à ce que nous soyons là.

Certainement pour préparer un meurtre collectif suivi d’une orgie... pensa ironiquement Aiden. Il avait souvenir de vampires peu regardants des mœurs avec un goût prononcé pour la mise en scène...

Perché sur son promontoire en acier, tous ses sens étaient en alerte...il se permit tout de même de se moquer - mentalement - du look dépassé (cliché ?) des prédateurs en contre-bas. L’un d’eux portait (trop fièrement à son humble avis) une crête d’un vert tellement fluo que l’on était en droit de se demander s’il n’avait pas suivi une cure capillaire à Tchernobyl pendant une année sabbatique... Un autre encore avait sans aucun doute plagié l’ornement facial de Xerxès avec l’enchevêtrement de piercings... Le troisième enfin, adepte de vêtements « destroy » semblait peut-être le plus normal. Encore que, sa puanteur n’était peut-être pas due qu’à son état de mort-vivant buveur de sang... Quoi qu’il en soit, les trois portaient des lunettes de soleil...sensibles à la lumière, évidemment. Aiden retînt son sens superficiel de l’esthétisme...et s’épargna la peine de signaler que le look grunge/punk/underground des années 70-80 ne devait vraiment pas être déterré. Seuls The Clash et les Sex Pistols étaient une nécessité pour ce siècle de décadence !

Le petit groupe qui s’était caché aux abords de l’entrepôt vînt se placer petit à petit au centre de l’immense terrain, faisant fi des règles de base en termes de sécurité. Pour couronner le tout, aucun d’entre eux n’eût la présence d’esprit de baisser le volume. Leurs voix graves, probablement éraillées par le tabac et la coke, continuaient de résonner à travers la tôle et le verre brisé.

- S’il nous a demandé de venir après un délai aussi court, c’est que quelque chose ne va pas... On lui a pourtant fourni ce qu’il voulait !

Une hépatite B avec un dermographe à multiples utilisations... ? ricana intérieurement le loup avant de s’interroger sur la nature de cette « livraison ».

- Il a tué Malya à la dernière transaction...d’un seul coup de bras...on ferait peut-être mieux de partir avant qu’il ne débarque...

- Pour que Garek nous tue avec certitude ? Putain, tu réfléchis des fois ? Ferme-la donc crétin, ça vaut mieux !

Garek...c’est qui ce type...? s’impatienta Aiden tandis qu’il observait la bande de bras-cassés s’inquiéter sur son sort.

Soudainement,  le corps du grand brun se raidît. A travers l’odeur pestilentielle que dégageait les pseudos-rebelles  exsangues, des arômes plus féminins s'entre-mêlaient à tout ce fatras olfactif... Pourtant, il n’apercevait aucune femme dans les alentours...

Le loup secoua la tête pour se recentrer. Et s’il s’occupait de ces idiots avant que ce mystérieux Garek n’intervienne ? En plus de se défouler, cela lui permettrait d’envoyer un message très clair à son nouveau « meilleur ami » ! Sympa pour une première à Seikusu !
Impatient, Aiden ne souhaitait pas attendre une minute de plus à ne rien faire. Il se redressa, bien droit, puis il prit appui sur la rambarde d’une main avant de sauter par-dessus.

Son atterrissage contrôlé coupa la conversation aux compères dans un léger souffle rempli de poussières. Son genou avait amorti sa chute mais son jean en ferait les frais...tant pis. Il se releva, épousseta son pantalon d’un air contrarié...

- Puisque votre hôte met un certain temps à venir, permettez que je m’occupe de vous...

Canines déployées, le loup s’avança vers le groupe de punk avec un sourire extra-large, prêt à mordre.

- C’est qui c’mec ?! s’exclama l’un, pendant qu’un autre brandissait déjà une barre de fer et que le plus peureux reculait déjà.

Depuis son promontoire, Rayne chercha une ouverture, et se laissa tomber sur le toit d’un wagon, puis bondit à côté, et se glissa à côté du wagon. Elle se déplaça lentement, vigilante. Certes, elle pouvait attendre depuis les hauteurs que Garek approche, mais elle était aussi curieuse. Qu’est-ce qui se passait dans cette ancienne gare de triage ? Celle-ci était reliée à une grosse usine désaffectée. L’usine avait jadis fait vivre une bonne partie de la communauté ouvrière de la ville, avant de fermer dans les années 1990’s. Depuis lors, elle était à l’abandon, et sa fermeture avait causé une hausse significative du taux de chômage dans la ville. L’histoire de toute une génération... Severin avait entendu parler de cet endroit en recherchant le propriétaire actuel de l’usine, et avait découvert que celle-ci appartenait à une obscure holding dont l’un des principaux actionnaires était un membre du clan de Kagan. C’était comme ça que les deux anciens agents de la Brimstone avaient découvert que l’endroit servait au culte de Garek. Le grand gourou se faisait attendre, laissant ainsi le temps à Rayne de chercher derrière les apparences.

Celle-ci ouvrit la porte d’un wagon, utilisant sa lame pour faire sauter le lourd verrou métallique dessus, et pénétra à l’intérieur. Rapidement, ses sens vampiriques la mirent en alerte. Il y avait des crochets de bouchers suspendus au plafond, et des traces de sang coagulé sur le sol. Elle réussit à attraper une goutte en grattant, et la lécha, avant de grimacer.

« Beurk ! »

Un sang datant d’il y a plusieurs jours. Rayne avait tous ses sens aux aguets,c e qui fit qu’elle sentit soudain un groupe de sang particulier s’approcher, plus bestial...

*Qu’est-ce que c’est que ça ?!*

La Dhampir se dépêcha de sortir du wagon, et entendit plusieurs hurlements de douleur, ainsi que des bruits de déchirure.

« Non, non, je ne voulais pas, je... Aaaaaaaaaaaarghhh !! »

Il y avait peu de gardes dehors, ce qui renforçait la théorie de Rayne selon laquelle cette usine n’était qu’une couverture, et que quelque chose de plus sinistre se tramait dans les profondeurs. Mais, pour l’heure, elle avait un autre souci. Elle bondit sur le toit d’un autre wagon, et aperçut, entre deux trains, une scène de carnage. Des corps déchiquetés et massacrés, correspondant aux types qu’elle avait vue tantôt... Et, au milieu d’eux, un redoutable Lycan, qui avait bondi sur le cultiste en fuite, plantant ses crocs dans sa gorge, faisant jaillir du sang contre les wagons.

*Un Lycan ? Ici ?!*

Pour le coup, c’était très clairement une rencontre inattendue ! Rayne l’observa silencieusement. Est-ce qu’il travaillait pour Garek ? A priori, non, mais elle savait que les membres de Kagan n’hésitaient pas à tuer leurs propres larbins. Rayne savait que le Lycan l’avait senti, et banda les muscles, prête à bondir au cas où le monstre l’attaquerait.

« Tu es qui, toi ?! » lui demanda-t-elle prudemment, ignorant s’il était capable de la comprendre.

Cela faisait longtemps qu’Aiden n’avait pas laissé libre cours à sa bestialité. Par stratégie, il avait sauté sur le type le plus retord et courageux. Écarter le plus gros danger rapidement était toujours une priorité. Évidemment, dans sa lutte, il s’était bien acoquiné d’une ou deux éraflures (peut-être un peu plus profondes tout de même) au niveau des épaules et de la mâchoire, dues aux canines vampiriques plus fines que les siennes. Il avait cependant, suite à un mouvement de bascule, pu attraper la gorge rugueuse de son adversaire. En une fraction de seconde, la trachée et les cordes vocales avaient été arrachées, rendant la vigoureuse victime muette ou presque : au sol, elle émettait des gargouillis saccadés, faisant éclater des bulles rougeâtres et granuleuses, luisantes comme ses piercings.

Alors que le loup se redressait pour admirer son œuvre, on le frappa dans le dos, brutalement. Pas encore stable, le coup lui fit avancer une jambe pour éviter de tomber, mais ce fut tout. Sa musculature était suffisamment développée pour encaisser un choc de ce type. Enfin ? cela aurait été différent si on l’avait frappé à la tête..... Il grogna, cracha des morceaux de chair puis se tourna, l’air profondément agacé. La barre de fer vibrait encore entre les mains de son assaillant et le « CLONG » distinctif de ce genre d’instrument s’étouffait petit à petit dans le local.

« Alors ça...c’est vraiment pas malin...déclara-t-il sur un ton menaçant tout en s’approchant des deux punks.

Ces derniers le regardaient, puis jetaient un œil à leur camarade à moitié décapité, toujours barbotant et agonisant, bien que cela n’était plus qu’une question de minutes, voire de secondes. Par instinct de survie alors, ils montrèrent leurs mâchoires, grandes ouvertes et totalement déformées, rappelant celles d’un serpent. Malgré cette démonstration de force, la crête verte bégayait déjà, demandant presque pardon et lâchant son arme quasi aussi inutile qu’un pistolet à eau...

Mais le lycanthrope ne l’écoutait pas. Il prit une décision cruelle mais parfaitement réfléchie : ce gaillard apeuré serait le dernier à y passer...

* * * * * * * * * *

Aiden le souleva par le col et l’acheva, certes, de manière bien moins impressionnante que le précédent. Il fit preuve d’un semblant de clémence et lui octroya une mort rapide. Son nez et ses crocs plongés dans le cou de la victime, il avait soudainement senti, outre les effluves de fer présent dans l’hémoglobine, le parfum féminin de tout à l’heure, pleinement intégré dans l’espace olfactif environnant. Il releva alors ses yeux. La source venait de se manifester. Elle l’observait.  Il lui lança un regard provocateur alors qu’il continuait encore de trancher et de déchiqueter la jugulaire d’un corps sans vie depuis peu. Ayant suffisamment fait mumuse, il laissa tomber la masse inerte au sol, dans un bruit presque délicat et silencieux.

La jeune femme qui le scrutait détenait des attributs plus que mis en valeur. Il nota qu’elle était en hauteur, à l’abri sur le toit d’un wagon. Choix judicieux : d’un point de vue tactique, si elle comptait l’affronter, elle serait en position de force. Mieux valait donc s’abstenir de jouer les têtes brûlées...

- T’es qui, toi ?! balança-t-elle sur un ton mi-surpris, mi-autoritaire.

Le grand brun pencha la tête sur le côté, comme les canidés ont l’habitude de faire lorsqu’ils sont intrigués. Il ne savait pas trop quoi penser de la situation. La tenue que portait cette buveuse de sang ainsi que sa voix ferme, lui laissaient entendre qu’elle aussi était visiblement en chasse... Venait-il de tuer ses camarades ou ses proies ? Peu importe, elle n’en demeurait pas moins agréable à regarder. Par politesse, il essuya sa bouche charnue et noyée par le liquide vermeil d’un revers de bras. Il épousseta ensuite son t-shirt Metallica gris de lin et sa chemise à carreaux vert-bleu foncés. Il avança alors progressivement, relevant bien la tête pour regarder son interlocutrice dans les yeux.

- Aiden. répondit-il simplement avec un sourire en coin qui se voulait charmeur. J’espère qu’il ne s’agissait pas de tes amis. Je serais vraiment contrarié de devoir procéder à une telle boucherie avec toi...

La menace était subtile. En revanche, elle était aussi très claire. Par ailleurs, il était sincère : cette tournure le contrarierait. Il n’avait jamais vu de chevelure aussi flamboyante. Quant au regard inquisiteur...il avait l’impression d’être sondé par deux émeraudes.

Prenant un peu d’élan et s’appuyant sur un vieux caisson  en bois, le lycanthrope bondit sur le wagon et se retrouva face à la dame. Il ne l’attaquerait pas mais il essaya néanmoins de contrôler ses yeux de prédateurs qui ne demandaient, à son grand étonnement, qu’à explorer et découvrir les courbes de ce vampire.

- A qui ai-je l’honneur ? »

Rayne comprit vite que cet individu contrôlait sa lycanthropie... Et ça, ce n’était pas donné à tout le monde. Il expliqua s’appeler Aiden, et fit preuve de son agilité. Elle passa sur sa remarque séductrice, et le vit faire preuve d’une relative souplesse, malgré sa corpulence, puisqu’il la rejoignit sur le toit. Rayne l’observa sans rien dire pendant quelques secondes.

*Très logiquement, il ne peut pas être avec Garek, sinon il n’aurait pas attaqué ses cultistes... Un privé ?*

Les clans de Lycans étaient plutôt rares. Contrairement aux vampires, ils étaient très asociaux, et ne voulaient généralement pas de leurs pouvoirs. En fait, Rayne n’avait que très rarement rencontré des Lycans se contrôlant. La plupart du temps, il s’agissait d’individus éprouvés, essayant de lutter contre leurs transformations, et massacrant des gens en se transformant. Quand elle était encore une agente au sein de la Brimstone, il lui arrivait fréquemment de devoir en affronter, et les combats contre eux étaient éprouvants. Ses deux lames dhampir étaient tranchantes, mais les Lycans avaient une solide fourrure. Une véritable carapace de poils qui repoussait les balles, et qu’il était difficile d’entailler. Alors, quand en plus le Lycan se contrôlait... Rayne et Severin en avaient quand même déjà croisé un, une fois, et elle avait bien failli mourir. Même si elle avait acquis de l’expérience depuis, elle ne tenait pas vraiment à renouveler l’expérience.

Rayne se décida donc à faire les présentations.

« Je m’appelle Rayne. Les types que tu as massacrés sont les servants d’une secte vampirique dirigée par mon demi-frère, Garek... Un vampire psychique que je cherche à décapiter. »

Autant préciser d’emblée qu’elle n’était pas avec eux.

« Garek est le fils de Kagan, un puissant seigneur vampirique, qui a violé et torturé ma mère... Sous mes yeux. Je me suis jurée de le tuer, non seulement lui, mais aussi tous ses rejetons. Ils évoluent dans différents domaines, et disposent de pouvoirs différents. Garek, lui, a toujours évolué dans les sphères anarchistes. Il a été très actif en Allemagne dans les années 1980’s, lors de l’avènement des black blocs, et continue encore à agir. »

Elle garda le reste pour elle. À cette époque, Rayne agissait encore sous la direction de la Brimstone. Berlin était une ville qu’elle connaissait bien. Elle y avait été du temps de la Seconde Guerre Mondiale, quand Kagan avait rejoint le Troisième Reich, et avait participé au développement d’activités occultes, en se rapprochant de hauts-responsables nazis comme Jürgen Wulf, le fondateur du Gegengeist Gruppe, un groupuscule nazi cherchant à soutenir l’avènement du Reich millénaire en récoltant des artefacts magiques à travers le monde. Traquer et exterminer les membres de ce groupe avait d’ailleurs l’une des premières grosses missions de la jeune femme.

Rayne aurait pu passer des heures à raconter sa traque contre les membres de la Famille de Kagan. Outre Garek, il y avait aussi Ferril, une vampire surpuissante, qui était, à bien des égards, considérée comme le bras droit de Kagan.

« Mais il n’a rien d’un anarchiste, il poursuit juste les idéaux mégalomanes et délirants de sa famille, instaurer un âge vampirique en désorganisant les États. C’est un télépathe, alors j’espère que tu contrôles bien ta lycanthropie, Aiden. Ton petit carnage ne passera pas inaperçu. »

Ayant suffisamment parlé, la Dhampir lui retourna la politesse :

« À ton tour, maintenant. Qu’est-ce que tu fabriques ici ? »

Elle était inhabituellement polie. Après tout, si elle pouvait s’aider d’un Lycan contre les forces de Garek, elle n’allait clairement pas rejeter une telle aide... Même si, contre Garek, Rayne avait appris, à ses dépens, que la seule force physique était insuffisante.

Aiden commençait déjà à avoir la migraine : à peine avait-il débarqué au Japon qu’il s’était déjà fourré dans de sales draps en tuant - d’après la rouquine - les membres d’une secte vampirique. La jeune femme qu’il venait d’ailleurs de rencontrer était en prime une chasseuse de tête...et traquait sa propre famille, ce Garek. Un court instant le loup songea qu’il s’agissait d’un véritable opéra dramatique, comme seuls les suceurs de sang savaient y faire. Mais le prénom que son interlocutrice venait de prononcer lui rappela que ses victimes attendaient quelqu’un. Le loup jeta des coups d’œil furtifs aux alentours tout en humant discrètement l’air de la zone industrielle désaffectée. Il ne décela rien, si ce n’est des émanations âcres provenant d’un mélange de poussières, de rouilles et de métaux lourds.

Concentré sur l’éventualité d’une embuscade, il écoutait tout de même Rayne d’une oreille attentive. Ayant vécu la majeure partie de sa vie en Allemagne, il s’étonna de ne pas connaître Garek. Peut-être l’avait-il croisé un jour sous un autre nom ? Par pur hasard ? Enrôlé de force parmi les Waffen-SS car il avait eu le malheur de se trouver de l’autre côté du Rhin, ça avait été l’occasion de faire quelques boucheries discrètes envers ses propres « Kamerad » qui s’étaient honteusement fourvoyés en choisissant de suivre aveuglément un homme habile en propagande antisémite. Pire encore, certains prenaient un plaisir profondément malsain à faire la guerre, si l’on pouvait appeler ça une guerre...
Rayne poursuivait ses explications, mais le loup se remémora une période de l’Humanité que, même en tant que monstre assoiffé de sang et de chair, il préférait oublier.

«  ... C’est un télépathe, alors j’espère que tu contrôles bien ta lycanthropie, Aiden.  Ton petit carnage ne passera pas inaperçu.

Sorti de ses souvenirs tortueux, le grand brun se mit à ricaner tout en passant une main sur sa nuque : on aurait dit un enfant pris avec la main dans un pot de confiture. Il contrôlait sa lycanthropie - parfaitement même - sans pour autant admettre que cela était une capacité hors du commun ou du moins, très rare. Non, la seule chose qu’il n’avait jamais réussi à maîtriser, c’était son caractère. Bien que mélangé avec ses instincts de lupus, c’étaient bien ses sautes d’humeurs et sa vision du monde qui le poussaient vers le danger. Ainsi, son éclat de rire nerveux et sa moue enfantine reflétaient son manque de prise de recul face à ses choix, son impulsivité chronique, sa passion toxique.

Il ne coupa cependant pas la parole à Rayne pour une quelconque explication ou tentative d’excuse. Aiden repensa à ce Garek qui, malgré le descriptif précis, ne lui semblait pas plus dangereux qu’un autre vampire. Un vampire mégalomane ? Comme c’est original !

- A ton tour, maintenant. Que fabriques-tu ici ? sollicita la jeune femme.

Aiden reprit une expression charmeuse puis tourna autour du vampire en la reluquant allègrement de haut en bas. Ainsi remarqua-t-il que son odeur à elle, bien qu’empreinte de mort, n’était pas aussi pestilentielle que les autres, et cela n’avait rien à voir avec son parfum. Y aurait-il un soupçon de vie à travers ses veines ?
L’exercice lui permit de jauger le degré de confiance qu’il pouvait se permettre...et peut-être aussi, d’admettre, dans son for intérieur, que les créatures de la nuit n’étaient pas si infectes que ça.

- J’ai atterri au Japon il y a quelques heures...commença-t-il tout en continuant de lorgner sa proie en effectuant des cercles autour d’elle d’un pas décontracté, lent, naturel. Et à peine ai-je mis les pieds hors de l’aéroport qu’une odeur nauséabonde - celle de ton espèce, je m’en excuse - m’a attiré jusqu’ici. Étant du genre curieux... et un brin provocateur, pensa-t-il, j’n’ai pas pu résister en voyant ces idiots...

Il désigna, avec désinvolture, les corps mutilés en contre-bas. Ces derniers continuaient de maculer la terre d’un liquide tirant du rougeâtre  vers le noirâtre. Les mouches à viande volaient déjà vers leur festin.

- J’espérais que... « ton Garek » me tomberait dessus, mais finalement, je ne crois pas qu’il serait venu. Un télépathe, mégalo, anciennement nazi, sait être ponctuel. In unserer Heimat sagen wir, dass Pünktlichkeit die Höflichkeit der König ist. Quoi qu’il arrive, le sort de ces types était scellé.

Cela ne signifiait donc qu’une chose...

- L’exécuteur est soit encore dans les parages, soit il a pris la fuite en voyant que le boulot serait fait. Si j’ai bien compris, tu poursuis ton demi-frère depuis des décennies. Je doute qu’il aurait pris le risque de venir ici. Au bout d’une dizaine d’années de traque, on est un minimum capable de connaître les capacités d’un chasseur.

Par ailleurs, l’endroit ne se prêtait pas à une apparition de la part de quelqu’un d’aussi imminent, sauf si les vampires avaient été en grand nombre. Ce qui n’était pas le cas. Une usine désaffectée n’est pas vraiment un lieu « à couvert », en revanche, il regorge de cachettes et de possibilités de s’échapper, idéal pour de grosses transactions ou...des exécutions qui ont un but précis : envoyer un message.

- J’espère me tromper, mais je crois qu’il voulait que tu sois là.

Il stoppa enfin son tournoiement autour de Rayne, se retrouvant proche et face à elle. Il lui lança un sourire carnassier à l’image de la situation qu’il supposait. Le loup plongea ensuite ses yeux d’un bleu nuit intense dans un océan d’émeraude chatoyant. Aussi grande que lui, elle devait être redoutable. Il aurait aimé la voir à l’œuvre. Était-elle du genre à foncer dans le tas ou à user de ses charmes ? Lui demandera-t-elle de l’aide ou son ego l’obligera-t-il à poursuivre seule ? Voilà qu’il était excité à l’idée de s’incruster dans sa partie de chasse ! Cependant, cela serait particulièrement impoli... Mieux valait se montrer courtois et distant.

- Reste sur... »

Un éclat scintillant sur son côté droit, suivi d’une vague brise et d’un bruit étouffé de piston le coupa. Aiden se plaça de manière latérale, protégeant la jeune femme en se plaçant à sa perpendiculaire et en écartant les bras. Un bruit plus aiguë résonna tout de suite précédant une traînée de sang sur le toit rouillé et décapé du wagon.
Sur le coup, le loup s’agenouilla. Un pieu en chêne venait d’atteindre l’arrière de sa cuisse. Constatant très vite qu’il ne s’agissait que de bois, il enroula son corps autour de celui de Rayne puis poussa sur ses jambes pour les faire sauter de l’autre côté du wagon et atterrir lourdement au sol.

Un simple externe, donc... Était-ce possible ? Rayne avait tendance à se méfier des circonstances, mais elle faisait confiance à Severin pour vérifier le discours de ce type. Même si Severin avait été limogé de la Brimstone, il conservait toujours ses contacts. L’homme était un ancien agent des services secrets, qui avait même travaillé au sein du S.H.I.E.L.D. Il avait ses réseaux, ses soutiens, et serait donc en mesure de vérifier si le discours de ce type était honnête. D’ores et déjà, Severin devait se renseigner en consultant le registre des différents avions venus à Seikusu, afin de vérifier si un certain « Aiden Neumond » se trouvait bien sur la liste des passagers. Pour le reste, Rayne nota rapidement que l’homme avait un tempérament très bestial, probablement une conséquence de sa lycanthropie. Il lui tournait autour, comme si elle était une sorte de proie, la reluquant, admirant ses formes, sentant sans doute, à son odeur, qu’elle était particulière. Rayne n’était pas, à proprement parler, une vampire. Elle était une Dhampir, une race bâtarde. Les vampires étaient par nature inféconds, et il était donc très rare que des Dhampirs voient le jour. Un Dhampir était en effet un enfant né d’un vampire et d’un humain. Dans les faits, il arrivait parfois qu’un Dhampir ait hérité des gènes vampiriques d’un aïeul lointain. Les études de la Brimstone là-dessus témoignaient que, la plupart du temps, un Dhampir naissait lorsqu’une femme enceinte était transformée en vampire. Si la grossesse n’était pas trop avancée, le fœtus pouvait survivre, et, des générations après, les gènes vampiriques pouvaient resurgir.

En l’occurrence, Rayne était née directement dhampir, sans saut de génération. Sa mère avait été torturée par son père, Kagan, un puissant vampire. Un sang très ancien bouillonnait dans les veines de Kagan, et il pouvait enfanter. Il violait régulièrement des femmes, et revenait les voir quand il apprenait qu’elles étaient enceintes. Rayne n’avait nullement eu envie de rentrer dans les détails avec cet inconnu. Elle était née dans une période trouble en Irlande, la guerre d’indépendance irlandaise. Kagan se faisait alors passer pour un officier de la British Army, et avait violé sa mère. Il était revenu des années plus tard, avait tué sa mère (sous ses yeux), et éradiqué tout leur village. Pour d’évidentes raisons, Rayne n’aimait guère s’étaler sur son passé avec des inconnus, aussi séduisants puissent-ils être.

Il se rapprocha d’elle, toujours aussi prédateur, et un léger rictus déforma ses lèvres.

« Poussez-vous de là, vous êtes trop... »

Un bruit strident se fit alors entendre sur la droite. Aiden, qui avait pour lui des réflexes félins, poussa soudain Rayne, tandis que des cultistes supplémentaires arrivèrent. Un pieu se planta dans le corps d’Aiden, sur sa cuisse, et Rayne grogna, irritée d’être retenue. Les deux se retrouvèrent au sol, et, là, Rayne poussa le Lycan, avant d’entendre des hurlements et des grognements. Un homme bondit sur le wagon, tenant à la main un poignard, et bondit en hauteur, filant vers Rayne, les yeux écarquillés, un « A » rouge tatoué sur son front. Rayne roula sur le côté, et évita le poignard. Elle conserva ensuite ses mains sur le sol, et frappa l’homme au talon, avec ses talons aiguilles métalliques. Son talon s’enfonça dans le pantalon kaki de l’assaillant, transperçant sa chair et son tendon.

D’autres arrivèrent cependant, et Rayne roula en arrière, avant de se relever, et déploya ses lames dhampir, tranchant la main d’un homme, puis le délesta du poids de sa tête avec son autre lame. Un autre l’attaqua alors, et lança sur elle plusieurs shuriken. L’une des étoiles la toucha au torse, au-dessus de ses seins, et elle déploya de sa main son grappin métallique, venant le planter dans le torse de l’homme, puis le déploya en arrière, l’envoyant voler vers elle. Rayne, aussi rapide qu’agile, bondit vers lui, et l’enjamba, avant de planter ses lames dans son dos. Les lames le transpercèrent, et elle tournoya ensuite en l’air, faisant un salto, gagnant ainsi de la vitesse, de l’amplitude... Ce qui lui permit de balancer le cadavre sur d’autres ennemis.

« On dirait qu’on a tapé dans la fourmilière, je... ! »

Rayne perçut soudain un groupe sanguin bestial, et se retourna... Pour voir l’un des wagons se soulever brusquement, et retomber ensuite, poussé par une force herculéenne. Elle se pinça les lèvres en voyant l’un des monstres de la famille de Kagan s’approcher, un redoutable contremaître, une masse immense et musclée, ressemblant à un démon verdâtre avec des cornes, qui se mit à hurler rageusement.

« On dirait que vous avez rameuté du monde... nota alors Severin.
 -  Merci Severin, ironisa Rayne, tes commentaires pertinents commençaient presque à me manquer. »

La zone allait en tout cas rapidement ressembler à un champ de bataille...

S’il avait été assez vif pour les pousser à terre et éviter de se faire tirer comme des lapins, Rayne, elle, fût encore plus rapide à se relever : elle assaini les premiers coups aux assaillants. A peine Aiden se redressa-t-il qu’il eût la désagréable sensation d’être tombé, malgré lui, dans un traquenard qui ne le concernait nullement.
Peu importe : il n’avait pas déchiré son précieux jean pour rien... !
Il observa un instant  - comme s’il n’avait que ça à faire - la jeune femme se battre : ses lames tranchaient l’air d’un bruit exaltant qui le fit frissonner.
«  Merci Séverin.... »entendit-il entre deux gémissements d’agonie.
La demoiselle n’agissait donc pas seule... ?

Le sol se mit soudainement à trembler et un nuage de poussière terreuse obstrua sa respiration. Une créature colossale, ressemblant à une espèce d’Hulk pas frais avec des cornes, s’amusait à éprouver sa force en criant de tout son sou et en propulsant un wagon. Rayne s’étant suffisamment occupée d’ennemis, il était de convenance qu’Aiden se charge de celui-là.

Un sourire et des canines plus proéminentes....le jeune homme n’eût besoin que d’une fraction de seconde pour se transformer en un loup gris géant. Il ne laissa derrière lui que des lambeaux de tissus de vêtements et de peau.

Ses quatre pattes bien ancrées dans le sol, il prévint son adversaire d’un long son rauque et guttural, retroussant ses babines pour dévoiler ses crocs blancs et luisants, avides de le déchiqueter.
La brute épaisse, dont il soupçonnait l’absence de QI, hurla à nouveau, postillonnant de plus belle. Aiden remercia le ciel de ne pas  être à hauteur son haleine putride....pour le moment. La masse pris d’un coup son élan et couru en sa direction. Le lupus fit de même avant de lui sauter à la gorge en prenant appui sur ses pattes arrière. Il enserra la jugulaire du monstre, se débattant avec les muscles durs et noueux de ce taureau. Sous la vitesse et le poids, les deux tombèrent et firent quelques roulades, s’écorchant les membres en dérapant sur des gravats.
Le canidé, concentré, accéléra ses coups de mâchoires : taillant en pièce chaque parcelle de chair tandis que le géant l’encerclait de ses bras pour l’étouffer....ou lui briser les os.

Du sang noir et puant lui remplissait la bouche, s’entremêlant avec le sien, mais il ne broncha pas, question de survie. Il accéléra encore, cisaillant les tendons, les muscles, jusqu’à ce que, pas chance, le corps du contremîatre se relâche. Dans un craquement sinistre, il sû qu’il venait d’atteindre les cervicales qu’il sectionna en deux coups de plus. La tête tomba, le reste du corps, allongé au sol, les bras ballants, faisait encore quelques soubresauts nerveux.

Aiden s’extirpa douloureusement, sans doute avait-il des côtes cassées suite à cette étreinte dont il se serait bien passé. Il resta néanmoins sur ses gardes, se postant derrière Rayne pour couvrir ses arrières. Du sang tombait à grosses gouttes sur l'asphalte. Ses crocs, maculés, furent d'autant plus menaçants.

Dans quel merdier j'me suis encore fourré, putain...pensa-t-il.

Le contremaître était un guerrier redoutable. Un buffle, l’une des expériences génétiques et magiques du clan Kagan, et plus particulièrement du génie maléfique de Kagan, Xerx. Un vampire défiguré qui avait travaillé dans les camps de concentration nazis, menant des expériences sinistres et ignobles sur les prisonniers. Rayne avait profité de la chute du Troisième Reich pour attaquer ce camp. Elle avait défiguré Xerx en lui jetant de l’acide à la figure, mais le vampire avait réussi à lui échapper. Un homme aussi intelligent que dénué de morale, qui avait créé pour Kagan ces gros soldats hulkiens. Rayne s’apprêtait déjà à un rude combat lorsqu’elle sentit le sang d’Aiden se mettre à bouillonner brusquement. Il se mit à grossir, gagnant en taille, déchirant ses vêtements. Prenant sa forme animale, le Lycan se mit à bondir brusquement, chargeant le contremaître.

« Aiden, attention ! »

Rayne resta en retrait, évitant de se recevoir un mauvais coup. Le puissant Lycan planta ses crocs épais dans la gorge du contremaître. Il avait une peau plus épaisse que celle d’un simple humain. Furieux, le contremaître se mit à hurler, remuant dans tous les sens, cherchant à jeter au sol l’épaisse boule de poils qui l’attaquait. Rayne, elle, était sincèrement bluffée. Elle avait rarement eu l’occasion de rencontrer des Lycans, mais ils étaient d’une force exceptionnelle ! Et, malgré les coups reçus, Aiden tint bon, plantant ses griffes dans le torse du contremaître, jusqu’à réussir à percer son cou. Le contremaître poussa un long cri de douleur, et s’effondra alors sur place, du sang jaillissant de ses plaies. Blessé, mais victorieux, Aiden se replia prudemment, rejoignant Rayne.

La Dhampir, restée silencieuse pendant tout ce combat, sourit alors doucement, faisant preuve d’un peu de douceur, et sa main en profita pour ébouriffer la tête d’Aiden, entre ses oreilles.

« Impressionnant... Rappelle-moi de ne pas te mettre en colère, mais... »

Elle allait dire que la fête était loin d’être finie, mais des hurlements rageurs se firent entendre. Des zélotes ne tardèrent pas à arriver, tenant des armes blanches à la main. Des fanatiques qui ne chercheraient pas la raison, et s’élancèrent vers les deux guerriers. Rayne s’était souvent demandée où Kagan et les siens arrivaient à trouver autant de fidèles, et elle attaqua alors, bondissant vers eux. Un homme armé d’une batte l’abattit vers elle. Elle l’évita sans difficulté, et tournoya sur place, tranchant au passage la tête de l’homme, puis frappa avec le pied un autre homme devant elle. Un troisième armé d’une chaîne métallique la déploya dans son dos, mais Rayne, très agile, et très réactive, tournoya encore sur place. Elle évita ainsi la chaîne, et son autre pied s’élança, optant pour un coup de pied retourné qui lacéra le torse de l’homme.

Un autre armé d’un pied-de-biche jaillit également sur elle, et la frappa au visage. Du sang jaillit sur le sol, et Rayne, en hurlant, tomba au sol. L’homme avec le pied-de-biche posa sa main sur sa gorge, et leva haut son autre bras, prêt à abattre l’arme sur le visage de la vampire... Qui réagit en tranchant sa main avec ses lames. Le sang jaillit du moignon de son ennemi sur son visage, mais eut pour effet de lui éviter un coup redoutable. L’attaque l’avait tout de même sonné, et, quand elle se redressa, un autre ennemi en profita. Plutôt grand, il envoya son pied dans le ventre de Rayne, l’envoyant heurter une caisse en bois.

*Salopard !*

Les choses n’allaient pas être simples ici...

A la différence d’un loup-garou qui, dès lors qu’il se transforme au bon vouloir de la pleine lune, n’est plus en mesure de se contrôler et n’a presque plus conscience de ce qu’il fait, un lycanthrope, lui, reste lucide du début jusqu’à la fin. En contrôle permanant de lui-même, à quelques exceptions près, ce fait ne lui offre aucune excuse en cas de boucherie, ni aucun salue auprès de Dieu.

«  Impressionnant... Rappelle-moi de ne pas te mettre en colère, mais...

Une  main et de longs doigts fins avait caressé son poil avec une délicatesse qu’il n’aurait pas soupçonné de la part d’une tueuse aguerrie. Ce geste, bien que surprenant, apaisa le loup un instant, tranquillisant ses grognements et sa respiration presque de façon médicinale.

Ainsi, Aiden savoura la douceur éphémère de Rayne car une nouvelle salve de vampires déjantés passa à l’attaque en poussant des cris perçants.
L’espace d’un instant, le loup géant jeta un regard vers son alliée. Qu’avait-elle pu bien faire pour susciter un tel acharnement ? Interloqué par le déploiement  de la supposée armada déployée de Kagan, Aiden ne retînt pas sa pensée : il fallait être particulièrement désespéré pour tomber aussi bas... Envoyer autant d’individus pour une seule personne, sans jamais se montrer, il s’agissait également de lâcheté. La fierté des vampires avait visiblement déclinée au fil des siècles... Quelle tristesse !

Une partie du groupe de dégénérés visa la cible principale : Rayne, dont le loup ne doutait nullement de sa capacité à en venir à bout. Il se concentra donc sur les quelques imbéciles qui osaient s’approcher de lui. A travers leurs regards dénués de toute humanité, il pouvait déceler cette lueur de haine et de démence... Lueur qu’il avait déjà croisée à maintes reprises : le massacre des Templiers conté avec fierté par ses précepteurs, l’Inquisition qui avait failli lui coûter la vie, la chasse aux sorcières infondée à Salem... Hitler et le Klu Klux Klan, pas si vieux que ça après tout... Une lueur attisée par l’idéologie mégalomane d’un seul homme. Un seul.

Le premier assaillant tenta, dans un mouvement ample du bras, de lui transpercer la tête (ou le cou peut-être ?) avec son poignard positionné bien à l’horizontal. Le malheureux ne réussit qu’à lui entailler l’oreille avant de perdre son bras dans un geyser de sang. Tandis qu’il se plaignait lamentablement de la perte de son membre, un second, tout aussi motivé, enchaîna, armé d’une machette. Aiden ne lui laissa pas le temps d’abaisser la lame. Bien plus grand, il n’eût qu’à bondir et refermer brutalement sa mâchoire béante sur le crâne du zélote. Le loup secoua vivement du collet comme un chien s’amuse avec un poulet en plastique. On déplora un mort de plus au moment d’un craquement sinistre.

Un bruit plus sourd résonna et des éclats de bois parvinrent même à se loger faiblement dans la fourrure du monstre ce qui interrompit son festin.

Aiden regarda en direction de la Dhampyr pour s’assurer qu’elle allait bien, cependant, elle semblait en mauvaise posture. D’un geste sec, il envoya le cadavre droit sur l’agresseur de la jeune femme. Ce dernier, happé par le mort sans tête - cette dernière avait finalement décidée de rester dans la gueule du loup - tomba lourdement au sol.

Aiden espéra ainsi avoir offert un lapse de temps suffisant à Rayne pour se remettre et réagir.

Son troisième zélote attendait sans empressement, fixant avec des yeux ronds la tête sanguinolente de son ex-camarade. Arrachée et presque broyée, il ne devait probablement plus le reconnaître...
Un pieu en argent à la main, il fit un signe à son dernier acolyte d’avancer ensemble, petit à petit. Il acquiesça après quelques secondes d’hésitation.

- ...Gentil toutou... » menaça ce dernier.

Crétin...
Le « gentil toutou » lui sauta à la gorge et l’acheva rapidement en dévorant son maxillaire. Des gazouillis et des bulles morbides crépitèrent pour dégouliner vers la terre poussiéreuse. L’ego satisfait, le loup contempla le résultat mais oublia...Au moment où il comprit, son corps se détourna d’un coup net et mortel. Il ne pût néanmoins éviter l’objet : l’argent se planta au niveau de son omoplate gauche.

Dans un couinement aiguë, le lycanthrope attrapa le bras du vampire, le jeta au sol et le maintînt en posant sa grosse patte valide sur le plexus. Simplement le temps de le démembrer en commençant par les jambes et en terminant par les bras. Il s’épargna la tâche de séparer la tête. L’expression d’horreur sur le visage cadavre lui sembla suffisante pour servir d’excuses post-mortem.

Affaibli par ses côtes probablement cassées et le pieu fiché dans son muscle, presque jusqu’à l’os, Aiden recouvrit sa forme humaine. A vrai dire, il n’avait pas vraiment le choix, l’argent, profondément ancré dans sa chair avait décidé pour lui et l’empêchait de maintenir plus longtemps son état lycanthropique. Par ailleurs, s’il voulait se débarrasser du piquet métallique, mieux valait des bras humains.

Nu comme un ver, dos à quiconque, il se contorsionna douloureusement pour atteindre l’énorme épine blanche. Dans un gémissement étouffé, il tira d’un coup sec et lança l’arme vers un dernier fidèle de Kagan, en hauteur, tapi dans l’ombre, fusil Phantom spécial vampire à la main. Le corps tomba comme une masse. Dommage pour lui, le reflet des quelques rayons de soleil qui traversait à peine la pièce avait reflété sa lunette de tir.

Aiden grogna. Il lui faudrait plusieurs jours pour récupérer, voire des semaines si ce traquenard n’en finissait pas vite !

La bataille continuait à faire rage contre les soldats de Garek. Ce type avait une véritable armée à son service ! Des zélotes, des fanatiques, que Rayne affrontait avec acharnement, tranchant, éviscérant... L’homme qui la menaçait se reçut un cadavre, le déstabilisant, ce qui permit à Rayne de planter ses lames dans son torse. Elle s’y enfonça comme du beurre, et tira ses lames de gauche à droite, faisant jaillir le sang dans tous les sens. Rayne soupira ensuite, et vit un autre homme bondir sur elle, tenant un couteau de combat dans chaque main. Elle pivota sur place, et le frappa au visage avec un coup de pied retourné, l’envoyant heurter le wagon. Du sang ruissela sur son crâne ouvert, et un autre ennemi la chargea, avec une lourde hache d’incendie. Alerte, Rayne fléchit les genoux, évitant la hache, qui frôla ses bandeaux rouges accrochés à ses cheveux, puis bondit en avant. Sa main se posa sur le sol, et elle s’en servit pour s’élancer dans les airs. Un saut prodigieux, qui amena ses jambes à s’enrouler autour de la taille du costaud avec la hache. Rayne se redressa encore, s’asseyant sur ses épaules, puis planta ses lames dans son dos, s’enfonçant dedans, avant de bondir devant elle, puis faucha deux autres tueurs.

Elle se retourna brusquement en entendant Aiden gémir, et vit que ce dernier était au sol, avec une lame en argent plantée dans les côtes. Rayne se pinça les lèvres, et avança au milieu du carnage. La situation s’était calmée, et elle replia ses lames, puis fléchit les genoux vers lui.

« De l’argent... C’est redoutable contre bien des Lycans. »

Rayne se pinça les lèvres. Ils avaient vaincu les défenses externes de Garek, mais ce dernier disposait encore de bien des hommes dans le cœur de sa secte. Rayne aurait pu laisser Aiden se reposer, mais il aurait été idiot de se séparer d’un Lycan. Elle réfléchit donc quelques secondes, puis soupira doucement, et planta alors brusquement ses crocs dans son poignet, perçant sa peau.

« Bois ça... Tu es un Lycan, nous avons des gènes partiellement compatibles. Ça t’aidera à guérir. »

Il n’avait pas perdu assez de sang pour risquer une transformation, d’autant que la lycanthropie combattait les effets du vampirisme. De fait, elle ne lui laissa guère le choix, et posa son poignet contre ses lèvres. Le sang afflua, et, rapidement, elle sentit l’activité sanguine de l’homme se reculer. Sa plaie cicatrisa légèrement, et, après une bonne minute, Rayne retira son poignet en soupirant. Pour Aiden, le sang ne devait pas être aussi bon que pour un vampire, mais les résultats étaient là. Oh, il n’était pas encore totalement guéri, et sa côte constituait désormais un point faible, mais... Il allait indéniablement mieux.

« Ils se cachent dans leur tanière, Aiden. À toi de voir si tu veux me suivre ou pas. Mais n’espère pas mourir, je n’aime pas que les beaux mecs meurent quand ils sont avec moi. »

Aussi sensuelle que cruelle, Rayne pouvait se montrer très ambivalente quand elle le voulait. Et, vu qu’Aiden était tout nu, elle pouvait du reste volontiers se rincer l’œil, ce qu’elle ne se privait d’ailleurs pas de faire...

Le calme éphémère d'un semblant de trêve s'instaura dans l'immense hangar.
Quelques derniers soupirs, des gargouillis sanglants, des volées de mouches et des pas plus calmes, isolés, qui s'avançaient vers Aiden.

« Bois-ça...tu es un Lycan, nous avons des gênes partiellement compatibles, lui lança Rayne d'une voix presque mielleuse en lui tendant son bras, élégamment entaillé sous le poignet.

- Ça t'aidera à guérir. assura-t-elle.

Le loup fronça les sourcils, dubitatif et raidi par la douleur. Le risque de se transformer en hybride - si tant est que cela fusse possible - ou mieux encore, de mourir, ne le tentait guère. De fait, sa bouche eût un mouvement de recul face à ce cadeau possiblement empoisonné. Mais elle ne lui laissa pas le choix et y planta son menu poignet - quoi que très bien taillé pour le maniement habile de ses lames... A lui donc d'avoir confiance.

Dans un léger bruit de succion, il referma ses lèvres sur la plaie avant de la caresser le plus délicatement possible du bout de la langue. Le lycanthrope ne voulait certainement pas blesser son infirmière du jour et encore moins passer pour un animal ingrat. En ayant aperçu furtivement les veines bleutées de la tueuse, Aiden avait appréhendé le goût supposé infâme d'une "non-mort". A sa grande surprise : point de haut-le-coeur ! Un sang à la pigmentation saine dont la tonalité, bien qu'amère et vive sous le palais, se montrait parfaitement buvable. Presque un grand cru ! Pour avoir mordu et déchiqueté bon nombre d'humains, il sût déceler la vie au sein de ce précieux liquide. Il la regarda alors dans les yeux, comprenant enfin sa remarque et la trace olfactive qui l'avait désappointé auparavant.

Requinqué en l'espace d'une minute ou deux - du moins ce qu'il fallait pour reprendre une apparence bestiale - Rayne retira son remède miracle et il essuya goulûment les perles rougeoyantes d'un lapement de langue. Le loup mima ensuite un « merci » accompagné d'un hochement de tête et d'un regard à la fois reconnaissant et protocolaire. Aussitôt, elle reprit :

- Ils se cachent dans leur tanière, Aiden. À toi de voir si tu veux me suivre ou pas. Mais n’espère pas mourir, je n’aime pas que les beaux mecs meurent quand ils sont avec moi.

Sur ces mots, elle le lorgna du regard tant et si bien que les yeux du lupus s'écarquillèrent, décontenancé. Décontenancé par le compliment subtil qu'elle venait de formuler, mais également par sa propre nudité qu'il avait oublié sous les coups de l'adrénaline. S'il n'avait certes pas à rougir de sa carrure, il devait admettre qu'il ne faisait pas honneur à sa race : les muscles finement ciselés et le corps sculpté en V, les loups-garous arboraient généralement une anatomie plus noueuse, plus forte et imposante, rappelant la force brute de la nature, la rudesse des montagnes forestières et la solidité du bois.

Une légère gêne se traduisit de manière involontaire par un toussotement. Toutefois, ayant depuis longtemps abandonné l'âge de la pudeur virginale, Aiden ne se rua pas pour chercher quelques tissus dans le but de masquer au minimum sa virilité. Non, il opta pour la maturité et assuma sa nudité en essayant de se convaincre - bien qu'il en fut naturellement persuadé - que la jeune femme en avait vu d'autres, peut-être même autant que lui !

Ainsi, son corps, d'abord crispé sous le regard émeraude particulièrement scrutateur, se détendit davantage. Réaction Ô combien facilitée par une blessure proprement cicatrisée. Ses côtes, quant à elles, lancinaient encore mais la douleur semblait peu à peu s'endormir, comme s'il avait ingéré une bonne dose de morphine. Apaisé, il prit enfin la parole :

- Une « dhampyr » (il le prononça avec un accent roumain très bien étudié) qui chasse sa famille...j'espère qu'il te restera quelqu'un après ça. lâcha-t-il plus durement qu'il ne l'aurait voulu, car il se doutait bien qu'elle n'avait pas choisi son sort. Aucun dhampyr ne le choisissait. Jamais.

Quant à la révélation de son espèce, si cela devait rester secret ou tabou, il préférait lui indiquer sa capacité - tardive - à détecter quel type de chair il avait sous les crocs. Cette rencontre était par ailleurs suffisamment rare pour qu'il éprouve le besoin irascible d'en exprimer la découverte. En effet, sa dernière rencontre avec une fille de vampire remontait au XVIe. Il n'était alors qu'un jeune loup parcourant les zones boisées de l'Est. Grand bien lui en fut, il croisa le chemin de cette petite peste de Cordélia qui, prise de coquetterie, se mit en tête de le pourchasser avec sa cour entière pour sa fourrure qui, d'après elle, « lui ferait une robe entière pour l'hiver ». Transformé en humain, il avait réussi à lui ôté ses idées folles d'écorchement avec des charmes et un dépucelage rondement mené. Parti au petit matin comme un renard, il ne l'avait plus jamais revue et il comptait bien là-dessus pour ne pas finir en objet de mode !

Enfin, cela n'avait aucun importance quant à l'affaire actuelle ! Le grand brun haussa les épaules et reprit, méfiant :

- Si tuer des vampires m'amuse de temps en temps, il s'agit de rixes isolées... souvent dues à l'alcool, rajouta-t-il en pensée. Et si ton Garek a autant de fanatiques à travers les quatre coins du monde, ma tête sera mise à prix, pas vrai ? Elle l'est déjà, railla-t-il encore intérieurement. Qu'ai-je à gagner dans cette histoire ? » demanda-t-il finalement avec un sourire détestable d'opportuniste.

Évidemment, il n'avait pas peur de se lancer dans une boucherie pour les beaux yeux d'une inconnue, quitte même à ne pas en réchapper, mais s'il avait des chances de s'en sortir vivant, il préférait pouvoir faire cinq pas au dehors pour en profiter et ne pas essuyer une revanche sournoise de la part de buveurs de sang fanatiques. D'autant plus qu'il était un ennemi naturel des chauve-souris bipèdes. Elles auraient donc un double intérêt à le traquer et le massacrer. Le jeu devait en valoir la chandelle et pour avoir connu une dhampire et des vampires, mieux valait s'appuyer sur quelques petites garanties.

Rayne observa les lieux. Plus aucune menace. Garek avait envoyé ses hommes se sacrifier pour la saluer, et attendait maintenant que sa petite sœur approche. Cet homme n’était vraiment pas à négliger. Même avant les blacks blocs, Garek s’était toujours évertué à déstabiliser les autorités étatiques. Il avait fait partie des vagues anarchistes de l’Europe de la fin du 19^ème siècle. Un homme dangereux, toujours très actif, disposant de multiples contacts et de réseaux parmi les mouvances terroristes, que ce soit les groupuscules d’extrême-gauche ou d’extrême-droite. Aucune couleur politique chez lui, si ce n’est celle du sang et de son clan. Rayne avait enfin l’occasion de mettre fin à son règne, et s’avançait lentement. Elle ne se familiarisa guère de la nudité d’Aiden. Rayne avait déjà eu l’occasion de faire l’amour à bien des reprises, et elle reconnaissait que le style malingre d’Aiden lui allait plutôt bien.

Toutefois, ce dernier lui demanda bientôt en quoi traquer Garek pouvait l’aider. Rayne se pinça les lèvres brièvement en haussant les épaules, et lui répondit rapidement :

« Tu crois que je vais t’embaucher pour ton petit cul ? Tu n’as rien à faire ici, touriste. Tu peux partir... Mais, si tu crois que Garek va t’oublier, tu te trompes. Et, crois-moi, mon père est bien moins tendre que moi. »

Rayne se déplaça lentement, sortant finalement de la succession des trains, pour s’approcher des profondeurs de la base.

« Jadis, les vampires contrôlaient beaucoup de Lycans avant que ceux-ci ne se révoltent. Kagan disposait alors de multiples Lycans. Alors, Garek ne se contentera pas de te tuer, ils utiliseront leurs machines et leurs mutations pour faire de toi leur tueur personnel. Maintenant que tu as tué et fais couler le sang avec tant de brio, c’est inévitable. »

Qu’avait-il à gagner ? Rien, donc, si ce n’est la possibilité de survivre et de rester libre. En s’avançant, Rayne rejoignit l’entrée d’un escalier métallique qui semblait

« Alors, tu fais comme tu veux, mais, si tu décides de descendre avec moi, la prudence s’impose ! »

Rayne s’avança ensuite la première, et descendit une quinzaine de marches, rejoignant une sorte de cave sombre et poussiéreuse. Rayne s’avança lentement, à travers plusieurs couloirs donnant sur des bureaux abandonnés. Aucune trace perceptible, jusqu’à ce qu’elle atteigne un autre escalier, plus long que le précédent, plus sombre aussi. Garek était là, quelque part, dissimulé là-dessous, sous des tonnes de béton, attendant patiemment son heure pour bondir tel un mauvais génie. Poursuivant sa marche, Rayne atterrit dans une sorte d’antichambre, et fit face à une porte fermée.

Une énorme porte blindée poussiéreuse, avec une image sur le milieu. La main de Rayne enleva un peu de poussière, et la Dhampir fronça ensuite lentement les sourcils en reconnaissant le drapeau.

*L’armée impériale japonaise...*

Elle était devant un vestige de la Seconde Guerre Mondiale, un bunker construit par les Japonais, probablement en prévision d’attaques aériennes américaines. Rayne observa donc la porte, sachant que Garek et sa secte se trouvaient derrière. Il s’agissait indéniablement d’un piège, Garke devait avoir installé des caméras de sécurité partout pour annoncer sa présence. La logique, la prudence, imposaient donc de rebrousser chemin, mais Rayne sourit doucement, et posa sa main sur le volant à côté, permettant d’ouvrir la porte, et fit tourner ce dernier.

*Je vais répondre à ton invitation, mon cher frère... J’arrive !*

Et il n’allait clairement pas être déçu...

« Tu crois que je vais t’embaucher pour ton petit cul ?

A ces mots quelque peu secs, Aiden fit une légère contorsion en pivotant son torse vers l'arrière pour observer le fessier dont il était question. Musclé, il aurait bien valu un CDI ! Alors pourquoi pas ?
Rayne lui expliqua à juste titre qu'il était déjà sur la sellette, le contraignant ainsi à reprendre son sérieux. Un bref coup d'oeil vers les cadavres mutilés eût vite fait d'appuyer les propos de la dhampire. Prisonnier endurant par chance mais pour son plus grand déplaisir, Garek et ses sbires prendraient leur pied à le torturer lentement avant de l'achever. Le loup savait par ailleurs que ces créatures de la nuit pouvaient se montrer très imaginatives en terme de douleur....bien loin devant les techniques déjà très recherchées des humains.

- ... tu fais comme tu veux, mais, si tu décides de descendre avec moi, la prudence s’impose !

La "jeune" femme disparut dans les tréfonds de la zone industrielle grâce à l'un de ces nombreux et vieux escaliers débouchant sur on ne sait où. La décision qu'Aiden se devait de prendre ne lui appartenait plus dès lors qu'il l'avait rencontrée.
Rapidement, il se pressa d'arracher quelques vêtements aux victimes les moins amochées et ayant plus ou moins le même gabarit. Un t-shirt noir et un jean feraient bien l'affaire puisqu'il n'avait pas le temps de récupérer son sac de voyage ! Seules ses boots avaient survécu à sa transformation, un peu plus loin, entre les morts. Il couru les enfiler puis rejoignit Rayne en moins d'deux. Il ne prit même pas le temps (ni le soin) de descendre les marches : il sauta en prenant appui avec agilité à la rambarde avant d'atterrir auprès de son acolyte en un souffle silencieux.

Les mains blanches et fines de la dhampire s'apprêtaient à actionner le loquet circulaire de la porte blindée pour entrer dans un bunker des plus glauques. Par réflexe, Aiden stoppa le geste de Rayne en tenant fermement l'une de ses poignes.

- Garek s'attendait à une dhampire, pas à un loup. Reste à couvert.

Proche d'elle, il interrompit définitivement l'action : il glissa son corps entre elle et l'obstacle métallique, effleurant sa poitrine avec son torse.

- "La prudence s'impose", lui asséna-t-il en guise de rappel, sourire en coin.

En effet, il ne l'avait pas soutenue pour qu'elle se fasse tuer en passant cette porte comme une tête brûlée ! Cette perspective durcît son expression et il la regarda froidement, sourcils froncés. Agissait-elle toujours de manière inconsidérée si proche du but ? D'un geste brusque, il plaça son bras contre ses clavicules et plaqua Rayne, vigoureusement, contre le mur latéral de cette antichambre.

- Interdiction de bouger sans mon autorisation, ordonna-t-il en levant le doigt comme pour une enfant. Si on ressort d'ici vivants, tu auras une dette envers moi la buveuse de sang !

Aiden allait se retourner pour passer à l'action lorsque son ego refit surface, se remémorant les propos acerbes de sa camarade.

- Et je ne suis pas un touriste. Je suis un loup. Tu as beau n'être que l’engeance d'un vampire, je ne suis pas censé pactiser avec toi.

Il y avait certaines règles à respecter, même lorsque l'on n'appartenait à aucune meute et que notre caractère sauvage nous poussait à enfreindre certaines limites.

- Remercie ton p'tit cul à toi pour mon élan de générosité ! grogna-t-il avant de se détourner.

Certes la belle rousse possédait des attributs convaincants pouvant faire perdre la raison au commun des mortels, cependant, contrairement à ses propos vengeurs, ce n'était nullement une source de motivation chez le lycanthrope. Tout au plus, une option agréable à l'aventure...
D'un pas sûr, le loup se mit face à la porte blindée et tînt avec force le système de fermeture - ou d'ouverture. Or, plutôt que de l'enclencher et d'activer un éventuel piège, il arracha la poignée géante en deux ou trois coups violents. Il la posa ensuite à côté de Rayne. Qui sait ? En fonction de ce qu'il trouverait à l'intérieur, cela pourrait servir de boomerang !

Le grand brun s'essuya les mains contre son jean afin d'optimiser la prise. Il saisit les piston d'ouverture et tira de toutes ses forces. La porte était rouillée, il comptait sur cette faiblesse : elle devait céder. Les muscles bandés, les veines gonflées et les crocs déployés, il poussa un gémissement rauque sous l'effort, entrecoupé de cliquetis métalliques, caractéristique d'une armature qui risque de rompre d'une minute à l'autre. Le mur supérieur craquela puis se fissura, faisant tomber des particules de peinture et de béton dans les cheveux mi-longs de l'animal. Dans une ultime pression, la porte recula avec lui bruyamment, manquant de peu de le faire trébucher ou basculer. On pouvait entendre un léger brouhaha : des pas agités et des ordres aboyés. Pas de bombe solaire ni de mine de pieux donc...une bonne chose.

Il jeta un regard à Rayne, à la fois surpris et soulagé par ce manque d'ingéniosité...quand soudainement, un martèlement de bruits aiguës vînt frapper le grand morceau de fer. Ses yeux observèrent le sol : à ses pieds des balles en bois dont les ombres se projetaient au fur et à mesure des détonations. Combien étaient-ils ? Il ne pouvait pas le savoir, au risque de se prendre un tir en pleine tête. Ce vacarme infernal lui tapait d'ailleurs sur les nerfs.

Aiden grogna rageusement avant de s'engouffrer maladroitement dans le bunker avec son bouclier improvisé. Pas trop avancé cependant, il se stoppa. La porte devenait bien trop lourde sous le déferlement continu des cartouches.

- ...3...2...

Il souleva légèrement l'épaisse plaque de métal, gonfla le torse et jeta bestialement son arme rectangulaire en direction des assaillants. A l'aveuglette, cela ne les tuerait probablement pas, mais au moins, ils seraient assommés le temps d'agir, espérait-il.
Des cris, un fracas sourd qui fit taire les déflagrations, suivis de plaintes rocailleuses. Aiden observa l'efficacité de sa défense : à cinq mètres, trois soldats coincés sous la masse. Il s'approcha, le souffle épais, donna un coup de pied dans le poignard à dentelé que comptait récupérer l'un des vampires, le moins touché, simplement bloqué par la cheville. Sans trop de tergiversation, il lui brisa la nuque, arracha sa tête comme s'il avait s'agit d'un bouchon de bouteille puis il la laissa choir au sol. Le deuxième assaillant était mort, le doigt sur la gâchette du MP40, le haut de son corps, écrasé et dissimulé par la porte. Un vulgaire moustique. Le troisième, enfin, était à demi enseveli et tentait de soulever le blindage. Il eût à peine le temps de hausser la plaque de quatre centimètres qu'Aiden s'empara du pistolet-mitrailleur pour l'achever.

Le lycanthrope tendit l'oreille une fois le calme retombé et pointa le canon vers le couloir principal du bunker, derrière le groupe de pseudo-commandos amateurs.

- C'est bon. Ramène-toi. » dit-il simplement à Rayne.

La partie venait de commencer.