Depuis mon éveil, je n’avais de cesse d’assouvir une forte curiosité envers le plan des humains. Qu’était-il devenu durant mon absence ? Comment avait-il évolué ? Mon corps si ancien se souvenait encore parfaitement de l’éternel fonctionnement de l’âme humaine, un étroit mélange de passions entremêlées. Violence, cupidité, amour, entre autres choses. Et je savais parfaitement ce fonctionnement éternel, quand bien même les moyens en sont changés à chaque époque, cela reste un cycle immuable.
Afin de soulager cette curiosité, je m’en étais arrachée au plan démoniaque pour reprendre
ma forme humaine et parcourir à nouveau les terres désolées, un parfait exemple d’un lieu où se déchainait les passions des créatures terrestres. Adoptant la forme d’une simple voyageuse, habillée de mon habituel ensemble de cuir noir surmonté d’un grand manteau gris de voyage pour donner le change, j’allais de village en village, simple touriste dans ces étendues désolées.
Vraiment, cette liberté de mouvement me plaisait grandement, et j’avais l’impression d’être une observatrice extérieure sur ce petit microcosme mortel. Seul ombre au tableau, j’avais la désagréable impression d’être suivi. Malheureusement, ce n’était nullement des humains, sans quoi je n’aurais eu aucun problème à m’en débarrasser définitivement, mais dans ce cas présent, il ne faisait aucun doute que l’on suivait mon aura. Forcément, cette dernière n’était pas du tout discrète, étant donné la puissante qui était mienne.
En me fiant à mes sens surnaturels, je parvins à les semer plusieurs fois, mais ces créatures semblaient particulièrement décidé à me coller. Environ quatre jours plus tôt, mon esprit avait brûlé toute ma réserve de patience, si bien que je décidais de riposter en tombant par surprise sur l’un de ces indiscrets. Apparaissant brusquement dans le dos d’un de ces éclaireurs, visiblement un démon mineur, celui-ci, visiblement surpris, ouvrit la bouche pour s’exprimer. Perdu, je n’avais pas envie de discuter ni de savoir qui l'envoyait pour m'espionner, qu'une claque d’un revers de main expédia sa tête s’écraser contre le mur d’une chaumière comme un fruit trop mur.
Ce meurtre m'avait défoulé et peu de temps après, les espions cessèrent de me suivre. Ce ne fut pas pour autant la fin de cette agaçante filature, puisque cela avait vraisemblablement poussé leur employeur à sortir de sa cachette car, à présent que je me tenais paisiblement assise sur les ruines d’un ancien bâtiment de pierre, je sentis une prodigieuse aura approcher. Un adversaire puissant à n’en pas douter. Mais j’en avais plus que marre d’être suivi sans une once de tranquillité, et je comptais régler le problème d’une manière ou d’une autre.
En fait, je ne me cachai même pas. Je restai assise là où j’étais, sur un vieux pilier écrasé, demeurant sous ma forme humaine par simple provocation. On voulait me voir ? Qu’il s’amène ! Si cette présence s’imaginait que j’allais me déplacer parce que son aura était impressionnante, il se mettait le doigt dans l’œil. Ce n’est pas en tremblant devant un défi que j’avais acquis toute ma puissance au fil des siècles. Avec de la chance, cette créature pourrait non seulement m'apporter une distraction, mais peut-être aussi me permettre d'élever à nouveau mes pouvoirs. La défaite ne faisant absolument pas parti de mon vocabulaire.
J’ai horreur que l'on m’importune. Et ma patience se consumait à une vitesse plutôt impressionnante tandis que cette présence inconnue s’approchait sans se presser de ma position. Cette lenteur m'exaspérait, mais il était hors de question de me déplacer. Je n’avais peut-être pas la puissance d’un Prince, mais on m’avait maint fois sous-estimé et je m’étais bien souvent emparé de pouvoirs plus grands que les miens par ruse. J’espère que cette créature a les moyens pour se défendre, sans quoi la colère qui montait en moi pourrait bien la réduire en charpie.