« Tu es une monnaie d’échange! » avait pleuré
la jeune couturière devant son amie et princesse. À ses mots, Luna n’avait pas répondu, se disant que la pauvre fille délirait et se créait les pires scénarios possibles. Optimiste de nature, la princesse d’Ombreciel s’était contenté de lui tapoter gentiment la main en lui assurant qu’il n’en était rien, qu’elle allait seulement remplir une nouvelle mission diplomatique pour son frère et que c’était, encore une fois, l’occasion rêvée de prouver sa valeur à son royaume ainsi qu’à son terrifiant souverain. Loin d’être rassurée, sa compagne de jeunesse l’avait suivie jusqu’aux portes du château, les mains jointes en prières alors qu’elle gravait dans sa mémoire le portrait de la princesse.
Luna avait certes ressentit de la frayeur, au départ. Quand Solas l’avait convoquée à lui, elle avait cru qu’il comptait s’entretenir avec elle au sujet d’éventuels nouveaux prétendants, ou alors simplement pour la gronder d’un crime qu’il s’était lui-même imaginé – c’était fou à quel point il aimait se créer des occasions de la violenter physiquement… Au fil du temps, elle s’était d’ailleurs surprise à ne plus autant lui résister quand il était question de supplices corporels. Non pas seulement parce qu’elle savait que toutes résistances lui apporterait une double correction, mais également pour ce petit je-ne-sais-quoi qu’elle ressentait, au bout du compte. Même en y songeant pendant des heures, elle n’avait jamais su mettre le doigt sur l’émotion, ou sur la raison de l’étrange plaisir qu’elle pouvait ressentir au travers de cette souffrance, ou de cette situation d’infériorité qu’on lui imposait lors de ces moments-là. Elle avait tenté tant bien que mal de faire comprendre ses émotions à Adrianna, la couturière, en vain. Cette dernière avait grimacé en demandant à sa maîtresse si elle n’avait pas un petit coup dans le nez.
Enfin bref…
Solas avait réussi à prendre Fort-Levant. Du moins, pendant quelques temps. Malheureusement pour le beau tyran, la position des Ombreciens en ces lieux avait été de courte durée. Lorsque des renforts ennemis vinrent au secours des citoyens survivants, les soldats vêtus de noir et de violets furent rapidement écrasés sous la puissance de l’adversaire. Luna se souviendrait toujours de la crise qu’avait piquée Solas, lorsqu’il reçut la visite d’un de leur partisan survivant. On parlait souvent d’’enfants-Rois’’, quand il était question d’êtres ayant été trop souvent gâtés et donc habitués à obtenir tout ce qu’ils désiraient. Solas faisait malheureusement partie de la caste au-dessus, soit les enfants-empereurs. Il ne supportait ni le refus ni l’échec. Lorsqu’il entrait dans de telles fureurs, Luna préférait alors s’éclipser pour laisser l’orage passer.
Sans, au final, cité à Luna ce qui était écrit dans la missive reçue conjointement au retour du survivant, Solas avait ordonné à sa sœur de se rendre en territoire étranger afin de servir d’ « intermédiaire ». Du moins, c’était le terme qu’il avait employé. Luna ignorait si elle pouvait faire confiance à Solas, là-dessus, mais peu de choix s’offrait à elle en vérité. Elle s’était donc inclinée, fidèle à ses habitudes, et avait aussitôt préparé son départ.
Le voyage avait été long et pénible à son goût. Elle avait trouvé les routes cahoteuses et, même si elle avait tout fait pour se changer les idées, le stress l’avait rongé tout au long du trajet. Néanmoins, sa petite escorte avait réussi à la mener à bon port, là où elle devait rencontrer un certain Menno, qui, à son tour, l’amènerait jusqu’au point d’arrivée.
Les échanges avec lui furent brefs et précis, Luna portant un masque de neutralité totale, presque froid. Habituée à voir des soldats, ce n’était pas ces étrangers qui allaient l’intimider, son frère faisant déjà habilement le travail…
L’échange s’était bien passé, cependant. Elle avait suivit sans rechigner le bras-droit du Maréchal jusqu’à leur destination finale. Luna restait bien silencieuse alors qu’elle marchait sur les talons de son guide, les mains entrelacées devant elle, le port-de-tête bien élevé. Elle devait faire bonne impression, n’avait cessé de lui rappeler Solas, quitte à prendre des airs plus hautains qu’elle ne l’était, s’il le fallait. La blonde trouvait cette astuce un peu stupide, voir risquée. Pourquoi se montrer hautaine et froide si elle devait à la fois faire bonne impression? Décidément, elle ne comprendrait jamais les drôles de pensées qui traversaient la tête de son aîné…
Le moment fatidique arrivé, on l’amena devant son hôte, une jeune blonde, toute comme elle, au visage fin et au corps gracile. À cette image peu menaçante, Luna failli esquisser un sourire. L’apparence réconfortante de cette princesse lui retira une couche de nervosité, peut-être à tord, mais bon. Elle n’allait pas laisser tomber sa garde si aisément, après tout. Il y avait possiblement anguille sous roche, avec tout ça.
Luna s’inclina donc bien bas devant la princesse Korvander, les yeux baissés au sol.
- Mes salutations, votre Altesse. Mon frère, Sa Majesté le Roi Markus Solas Leinhart Konrad d'Ombreciel m’envoie à votre rencontre dans des intentions pacifistes. (Elle releva la tête pour croiser le regard de la jeune femme.)
Je suis la Princesse Luna, très heureuse d’enfin faire votre connaissance. Il lui semblait alors ridicule de prononcer son prénom au complet comme elle l’avait fait avec son frère. Mais pourquoi leurs parents les avaient-ils affublés de patronymes si interminables, au fait? Ah, la noblesse et ses mystères…
L’hybride se redressa finalement pour adopter cette posture gracieuse et sereine qui lui était propre.
- J’ose espérer que nos conversations futures nous permettrons d’étouffer tous malentendus entre nos territoires.