S'occuper des affaires de ce monde était décidément bien trop ennuyant et épuisant. Si exaucer les souhaits d'autrui ne rallongeait pas son espérance de vie, jamais le Génie ne se serait mis à réaliser les doléances de qui que ce soit. Pourtant, la voilà à accompagner des marchands rencontrés la veille. Si ceux-ci étaient faibles, ils n'en étaient pas pour autant pauvres, loin de là. Alléchée par tout cet or qu'on lui avait promis, la créature mystique n'hésita pas plus longtemps que ça. Son objectif était simple : les accompagner dans leur périple, les protéger du moindre danger ou phénomène suspect et garantir que l'intégralité de ce transportait leur convoi arrive à bon port. En outre, c'était une tâche si basique que Yÿsma fut presque déçue de l'avoir acceptée. Il lui fallait se remémorer sans cesse cette promesse de richesse afin de ne pas oublier ce pour quoi elle avait été engagée.
C'est d'ailleurs ce voyage commercial de quelques jours qui l'amena dans cette forêt aux allures enchanteresses. Spéculant que rien de mauvais ne pouvait les atteindre au cœur de ce bois, Yÿsma y conduisit le convoi ainsi que son compagnon de route temporaire, soit un marchand qui restait là pour s'assurer le Génie ne volerait rien. Instinctivement, elle trouva une clairière dont l'espace semblait suffisamment sécurisé pour permettre à la diligence et ses chevaux de se reposer. En parlant de repos, il fût approprié de dire que Yÿsma en avait également besoin. Après tout, même si ses pouvoirs restaient actifs, son corps n'était autre que celui d'une humaine et possédait par défaut les mêmes limites physiques. Cependant, elle fit signe au marchand qu'il n'avait pas à s'inquiéter pour les heures à venir et que le trajet sera repris une fois la nuit tombée car, contrairement à ce que les légendes disaient, la nuit était plus appropriée pour voyager. Il ne suffisait que d'une flamme suffisamment intense pour écarter les bêtes sauvages. Quant aux bandits, un souhait et ils sont partis. Toutefois, la mystique prit grand soin de déployer son aura sur le plus grand périmètre possible afin d'écarter la dernière menace : les créatures magiques. Avec ça, les plus faibles n'oseront pas approcher. Quant aux plus puissantes, leur simple présence suffira à réveiller le Génie.
Sans trop de mal, Yÿsma s'endormit à l'ombre d'un grand arbre à proximité de la clairière, ne serait-ce que pour être suffisamment proche en cas de danger mais aussi suffisamment éloignée pour que le marchand n'ait pas quelques pensées lubriques en contemplant le corps de l'endormie. Ainsi passèrent les minutes, sous le signe du plus grand des calmes. Enfin, c'était relatif. La nature faisait parfois un de ces raffuts, notamment les oiseaux. Pourtant, cela restait reposant... jusqu'à ce que ce doux idylle soit finalement brisé par une voix imprudente. Yÿsma perçut avec difficulté les premiers mots prononcée par l'inconnue mais n'y accorda pas grande importance. Malheureusement, cette ignorance fut rapidement punie par une main impétueuse qui secoua la mystique dans son sommeil. Trop, c'est trop.
Yÿsma ouvrit les yeux. Instantanément, ses iris s'illuminèrent d'un éclat occulte, presque malsain. Elle découvrit alors une femme aux formes plantureuses et aux courts cheveux d'argent. Pourtant, son corps ne changera aucunement son destin, elle n'était qu'un nuisible ayant osé perturber le royal sommeil du Génie qui ne pouvait désormais penser qu'à la vengeance, même pour quelque chose d'aussi trivial.
« Créature inconsciente et insignifiante, ne sais-tu pas à qui tu fais face ? »
L'irritée se redressa aussitôt, époussetant les quelques pièces textiles qui la recouvraient. Elle chercha évidemment à paraître la plus grande possible, et il fallait avouer que ses talons l'aidaient plutôt bien. Mais pour l'heure, ces formalités physiques se révélaient être sans importance concrète. Poussant un soupir des plus hautains, Yÿsma se fraya finalement un chemin jusqu'à la clairière sans prêter davantage attention à celle qui l'avait réveillée. Toutefois, elle s'efforça de mémoriser son visage, cela allait lui servir pour la suite. Quoi qu'il en soit, il ne lui fallut pas plus d'une minute de marche rapide pour atteindre le convoi gardé par le marchand. Reprenant toute se contenance, Yÿsma adressa la parole à l'humain.
« Danger en approche. Souhaitez, je réalise. »
« P-peu importe le moyen, fais juste en sorte de mettre cette chose hors d'état de nuire ! O-oui... c'est ce que je souhaite,
fais ton travail ! » beugla l'homme soudainement paniqué.
Parfait. Yÿsma n'aurait pas pu rêver d'une meilleure formulation. On lui demandait de mettre cette chose hors d'état de nuire, les moyens n'étant évidemment pas spécifiés. Les lèvres du Génie s'étirèrent en un rictus des plus sombres. Tant que cela restait dans l'optique du souhait, Yÿsma n'avait donc plus de limites. Elle rebroussa aussitôt chemin, s'enfonçant dans la forêt en ricanant. Son sadisme avait apparemment été réveillé, la chasse commençait maintenant.
« Roturière, où es-tu ? Ta princesse est revenue pour toi ! »
Malgré ces mots, jamais la mystique n'aurait la patience de jouer à cache-cache. Elle éveilla ainsi ses sens à leur paroxysme, s'octroyant temporairement une acuité en tous points supérieure à celle d'un prédateur. Si l'autre cherchait à s'enfuir, il ne faudrait pas plus de quelques secondes à Yÿsma pour la pister à la sueur ou même à la peur. Le cœur de la chasseuse battait d'ailleurs énormément. Cette excitation de ne plus avoir de limites semblait la ravir au plus haut point, si bien qu'elle échafauda encore plus de plans à la minute que d'habitude, preuve que même son cerveau fulminait. Puis elle murmura quelques mots, ou plutôt une incantation. C'était un appel littéral à la nature. En quelques secondes, oiseaux, insectes et créatures vivantes en tous genres s'étaient rassemblés autour de Yÿsma, comme si elle parlait le même langage qu'eux. La vérité est que, par simple illusion sonore et optique, le Génie avait pu se faire passer pour Cérès, une divinité humaine ayant pour domaine principal la nature. Le monde entier est stupide, même ces animaux.
« Mes enfants, trouvez celle dont l'image vous est parvenue. Elle est un danger pour cette forêt. Veillez cependant à ne pas l'achever. Dans mon immense bonté, je me contenterai de la chasser hors de ces lieux. »
Chargés de cette simple mission accordée par leur "Déesse", les animaux se dispersèrent. Lièvres, loups, ours, guêpes, reptiles... Par chance, Yÿsma avait choisi une forêt à la faune particulièrement diversifiée. Pourtant, elle aurait pu mettre fin à ce jeu en un claquement de doigt, mais ce n'était pas marrant, oh que non ! Les faibles devaient distraire les puissants, après tout. Néanmoins, la mystique eût la bonté de s'accorder un don de téléportation. Si elle ne pouvait pas faire ça avec des humains par pur manque de connaissances, Yÿsma en savait suffisamment sur son essence magique pour se permettre de telles libertés. La voilà donc assise sur une branche en haut, vraisemblablement au dessus de l'imprudente qui devait sans doute se poser tout un tas de questions.
« Hey, l'insecte. Distrais-moi. Toute cette forêt est en train de se retourner contre toi, prépare-toi à faire face à des hordes d'animaux et d'insectes en furie. D'ailleurs, n'est-ce pas mon premier escadron que j'entends là ? »
En prêtant une oreille attentive, on put entendre des hurlements aisément reconnaissables. C'était une meute de loups. Lâchant un petit "Amuse-toi bien" avant de se caler confortablement contre le tronc, le Génie sourit, déjà prêt à se délecter du spectacle.
« N'aurais-tu pas des excuses à formuler, maintenant ? »