Londres, quartier de Kensington, musée d'histoire naturelle, 21h30Le froid est encore mordant en ce samedi soir de Février. Pourtant cela n'empêche par le musée d'histoire naturelle de la City d'inaugurer une nouvelle exposition temporaire au sein de leurs locaux. En cette fraîche nuit a donc été organisée une somptueuse réception pour tout le gratin médiatique mais aussi philanthropique de la ville. Ici, les journalistes côtoient les personnes les plus riches et les plus influentes, pour la plupart présente afin d'y distribuer de généreux dons en l'échange d'une modeste déduction d'impôts. Soyons réaliste, ceux vraiment là pour s'intéresser à une énième présentation d'un fossile au nom latin toujours aussi imprononçable se comptent sur les doigts d'une main. Ceci étant quelques membres de la communauté scientifique ont daignés répondre à l'invitation, souvent les plus ambitieux sans pour autant être forcément les plus talentueux. Après tout, ce genre de réception est toujours un bon moyen de se faire quelques connexions bien placés afin de faire avancer ses pions sur le grand plateau de l'hypocrisie.
On assiste donc à la valse des serveurs, tendant aux convives quelques verres de champagne et autres petits-fours à l'esthétique impeccable. Et au centre de ce brouhaha de conversations bien souvent sans grande profondeur, on y trouve la reine du bal, la grande organisatrice, l'hôtesse en chef, la très inaccessible
Sheila. Véritable produit de Belgravia, le quartier le plus huppé de la ville de Londres, elle ne doit sa place de conservatrice du musée d'histoire naturelle que grâce à sa fortune et à l'influence particulièrement notable de sa famille. Cela dit, même les plus médisants de ses détracteurs seront reconnaître son talent presque inné pour organiser des fêtes fastueuses, qui arrive tout de même à faire du musée, le temps d'une soirée, le lieu le plus en vogue de la City. Dirigeant le ballet du personnel comme une véritable chef d'orchestre, elle sait se montrer à la fois dure avec ses employés et l'instant d'après aussi mielleux qu'on puisse l'être avec un potentiel donateur.
À l'extérieur du bâtiment, quelques curieux se bousculent dans l'espoir de pouvoir y rentrer comme s'ils patientaient sur le parvis d'une boîte de nuit branchée. Malheureusement, la sécurité veille au grain pour ne laisser passer que les rares privilégiés disposant d'une invitation, tenue de soirée obligatoire bien entendu. Et c'est parmi cette foule que nous y retrouvons Abraham Robertson. L'homme a pour le coup fait l'effort de se vêtir d'un ensemble plus adéquat aux circonstances que ses frusques habituelles, un costume légèrement vieillot mais disposant toutefois d'une certaine élégance. Tentant vainement de passer la foule, la faiblesse dût à son âge ainsi qu'à sa maladie l'en empêche cependant. Tâchant donc de faire parler son cerveau plus que ses muscles, il aperçoit de l'autre côté de l'une des barrières, et légèrement sur le côté par rapport à l'entrée, un coquet gentleman s'allumant une cigarette. Se faufilant discrètement en profitant que les vigiles soient occupés à contenir les journalistes People et autres importuns tentant de rentrer, il rejoint nonchalamment l'homme en l’interpellant le plus naturellement du monde.
- La nuit est fraîche n'est-ce pas ?...Jetant un regard rapide aux gorilles accompagnés d'un petit sourire amusé, il enchaîne directement.
- Comme d'habitude Sheila fait sensation avec ses réceptions. Si vous voulez mon avis elle devrait se recycler dans l’événementiel... hahahahahahaha !... La connaissant elle deviendrait rapidement la chouchoute de la famille royale elle-même !Arrachant un petit rire à son interlocuteur, il enchaîne pour profiter de cette soudaine brèche tout en gardant le ton du badinage.
- Je vois qu'on se comprend ! Je me présente, Abraham, professeur d'archéologie.Lui lance-t-il le plus simplement du monde tout en lui tendant chaleureusement la main. Plaçant sa cigarette au bec, l'homme serre la main du vieil homme en retour tout en se présentant à son tour. Mais les premiers mots de sa phrase sont légèrement déformés par la clope coincée au coin des lèvres. Enlevant rapidement cette dernière, il continue.
- Lord Henry Hastings, pour vous servir.Inclinant légèrement la tête en guise de respectueuses salutations, Abraham commence à fouiller ses poches avant de tapoter ses vêtements, visiblement à la recherche de quelques choses.
- Zut. J'ai dû oublier mon paquet dans mon manteau. Je vais devoir vous laisser...Jouant bien sûr la comédie alors qu'il semble s'apprêter à rejoindre l'entrée du musée, l'homme lui faisant face l'arrête avant en lui tendant son propre paquet.
- Oh ! Merci beaucoup Lord Hastings.Prenant l'une d'elle, son interlocuteur replie ses deux mains autour de son briquet pour maintenir la flamme suffisamment longtemps afin qu'Abraham puisse allumer la cigarette. Heureux de se rappeler comme on fume, il tire une première latte qui lui brûle la trachée. Ne voulant pas ruiner sa couverture, il se retient toutefois de tousser et rejette vers le ciel un épais nuage de fumée. Heureusement réellement archéologue, il commence alors une intéressante conversation avec le Lord, qui faisait visiblement parti des rares personnes présentes ce soir s'intéressant un minimum au sujet de cet événement. Continuant leur cigarette, ils sont soudain rejoints par un vigile, qui, un peu moins occupé que ses autres compagnons, avait reconnu le Lord mais pas la personne avec lui. S'avançant vers eux, le vieil homme tente de conserver son calme et son stress alors que le gorille arrive enfin à leur portée. Saluant respectueusement Lord Hastings, il se retourne ensuite rapidement vers Abraham.
- Excusez-moi Monsieur mais puis-je voir votre carton d'invitation ?Commençant alors à fouiller ses poches, il craint de devoir sortir une nouvelle fois l'excuse de son manteau mais est interrompu par le Lord en personne.
- Ce gentleman a son invitation je vous l'assure. Il est d'ailleurs entré en même temps que moi. Sans doute est-il passer par l'un de vos camarades sans que vous l'ayez vu, tout simplement.Connaissant suffisamment le Lord pour savoir que ce dernier faisait partie des "intouchables", ceux dont les dons pourraient faire rougir le PIB d'un petit pays, le vigile se confond en excuse et s'éclipse sans demander son reste. Affichant une surprise qu'il arrive très difficilement à cacher, un simple regard du gentleman suffit à faire comprendre à Abraham que ce dernier sait tout. L'accompagnant ensuite à l'intérieur, il lui serre une nouvelle fois la main.
- Merci encore...- Au plaisir, monsieur Robertson.Lui répond-il accompagné d'un petit sourire, puis retourne rapidement à ses occupations philanthropiques tout en laissant le vieil homme seul dans cette foule de nantis. Prenant un verre qu'il descend assez rapidement, Abraham avale deux petits-fours avant d'être pris d'une violente quinte de toux. Sortant un mouchoir en tissu de l'une de ses poches, il l'utilise devant sa bouche pour atteignant le bruit tout en rejoignant les toilettes. S'enfermant rapidement dans l'une des cabines, il se jette in extremis sur la cuvette pour y vomir les hors-d’œuvres, le champagne et le reste d''un pâté de viande qu'il a mangé plus tôt avant de venir. Avec ça, il régurgite aussi un peu de sang témoignant du stade avancé de son cancer. Reprenant difficilement son souffle, il tire sur le rouleau de papier pour en prendre quelques feuilles afin de se nettoyer la bouche. Tirant la chasse, il rejoint ensuite le lavabo pour se rincer et se gargariser la bouche, pour finalement se laver les mains. Tapotant ces dernières encore humides sur son cou, sa nuque et son front, il se calme lentement. Puis, de nouveau remis sur pieds, il sort des commodités pour rejoindre les autres convives. Zigzaguant entre eux, il tente tant bien que mal de rejoindre la conservatrice en chef. Connaissant Sheila depuis de nombreuses années, il espère pouvoir lui parler directement puisque cette dernière refuse constamment ses appels ainsi que de la voir lors de son passage à son bureau.
Arrivant finalement à ses côtés, il salue respectueusement le petit groupe l'entourant avant que cette dernière ne le foudroie littéralement du regard lorsqu'elle l'aperçoit.
- Ab.. Abraham ! Qu'est-ce que tu fais ici !Voyant que sa surprise ainsi que son ton sévère et plein de reproche vient soudain de refroidir l'ambiance du groupe, elle se retourne avec un grand sourire pour tâcher de faire bonne figure.
- Pardonnez-moi messieurs. Je vous présente Abraham Robertson. Un archéologue et professeur d'histoire, aujourd'hui à la retraite.Serrant les mains une à une, il ne cache pas sa joie. Pas d'être présenté avec les honneurs mais de voir que son petit manège pour la mettre sur le fait accompli semble porter ses fruits.
- Pas tout à fait à la retraite Sheila. Vous savez bien que j'ai quitté mes précédentes fonctions afin de me consacrer à plein temps à cette incroyable découverte sur laquelle je travaille depuis de nombreuses années.Visiblement intéressé par le sujet, les quelques personnes autour d'eux ne tardent pas à jouer les petits curieux, à la grande joie du vieil homme.
- Et bien...Rapidement coupé par Sheila, cette dernière agrippe Abraham par le bras.
- Malheureusement je vais devoir vous l’emprunter quelques minutes.N'attendant pas la réponse ou de potentiels objections, elle l'attire avec elle vers un coin un peu isolé.
- Qu'est-ce que tu fais ici !- Tu ne m'as pas laissé le choix. Tu ne répond jamais à mes appels et lorsque je passe te voir, tu es constamment indisponible.Frottant ses paupières avec deux doigts en signe d'exaspération, elle soupire longuement.
- Abraham. Abraham... tu as beau être intelligent, il y a certains choses que tu n'arriveras jamais à comprendre. Lorsqu'une personne ne te répond pas ou refuse de te voir, c'est parce qu'elle n'a AUCUNE envie de te voir !- Mais c'est important, je pense avoir trouvé une piste, et donc je...- Tu quoi !? Tu comptais essayé de me convaincre une énième fois de ta théorie fumeuse de super-homme ou je ne sais quoi ! Tu es fini Abraham ! F-I-N-I ! Alors arrête de te faire du mal et commence par reprendre ta vie en main ! Bon sang mais regarde-toi un peu ! On dirait un vrai zombie, un cadavre qui marche !Apercevant un vigile dans la foule, elle lève le bras à son attention pour le faire venir.
- Mais je te jures que cette fois...- Mais oui mais oui... bon aller virez-le moi de là... il n'a pas d'invitation.Lance-t-elle au gorille qui vient de les rejoindre accompagné d'un copain. Les deux hommes saisissent alors avec force et fermeté Abraham par les bras, le tirant en arrière avant de littéralement le traîner sans se soucier de ses molles objections. Tâchant de faire bonne figure vis-à-vis de ses invités, elle rassure rapidement tout le monde en les rejoignant.
- Je crois que pour lui le champagne a malheureusement été un peu traître !Continuant de vociférer pour tenter de s'exprimer, les rires et les discutions couvrent rapidement sa voix bien trop faible pour crier plus fort. Passant par les cuisines et l'arrière du bâtiment, il est rapidement trainer contre son gré jusqu'à de lourdes portes coupe-feu. Passant alors à l'extérieur du bâtiment les deux hommes le rejettent sans trop de mal à travers la petite ruelle, le balançant sans le vouloir dans le tas de poubelles provenant de la cafétéria du musée. Éventrant les sachets dans sa chute, il se retrouve couvert de détritus alimentaires qui imbibent copieusement ses vêtements et sa personne. S'en extirpant difficilement, un violente quinte de toux le reprend. Roulant jusqu'au sol dur de bitume, il vomit une nouvelle fois avant de farfouiller en tremblant dans ses poches en quêtes de son tube de médicaments. Le trouvant enfin, il l'ouvre avec difficulté, commençant à être pris de convulsions. Arrivant à remplir sa main de quelques comprimés malgré ceux que sa tremblote fait tomber au sol, il les avale cul-sec avant de se tourner sur le dos en serrant l'avant de sa chemise. Petit à petit, la toux se calme en même temps que ses convulsions, son petits corps tout faible encore tout recroquevillé et tendue se détendant lentement.