Au moins, si sa mission échouait, profitait-elle de la vision d'un des lieux les plus enchanteurs qu'elle ait jamais vu. Pourtant, elle avait longtemps voyager à travers les cours du royaume, souvent très opulentes comme Haut-Jardin, et pourtant, même elle avait l'air d'une masure en comparaison de la Banque de Fer. Ne vous y trompez pas, ce n'était pourtant pas une démonstration opulente de richesse, car c'était un lieu sobrement décoré mais l’œil averti, ce qui devait être le cas de la majorité des clients, ne s'y trompait pas.
Ainsi, les clients marchaient sur un large tapis rouge, entouré de bureaux où se trouvaient des gobelins pour répondre à leurs demandes et les guider ensuite dans l'immense dédale de couloirs. Rien que ce tapis était brodé de l'or fin des Mines du Sud, l'or le plus pur pour lequel il fallait six mois pour en extraire un gramme. Le tissu rouge du tapis était, quant à lui, brodé par les elfes de la jungle Sans Retour, un travail des plus précis que seuls les elfes pouvaient accomplir, et un mètre de ce tissu nécessitait plus d'une année de travail. Ainsi, ce qui était foulé aux pieds par des centaines de quémandeurs valait-il certainement plus que toute leur fortune. Les lustres, quant à eux, avaient été sculptés dans des os de dragons et la lumière qui y brillait était celle de fées capturées au large des côtes Pench'iy, la seule lumière qui ne pouvait vous aveugler, même si vous restiez la fixer des heures durant.
Aëlya finit par trouver un gobelin libre de toute requête. Comme les autres, cette affreuse créature tenait un grimoire sur lequel elle inscrivait chiffres et références, dans une langue secrète, inventée spécialement pour la Banque de Fer. Les bureaux qui s'alignaient ainsi le long du couloir, étaient surélevés, si bien que le gobelin la regarda de haut lorsqu'elle se présenta à lui.
- Monsieur, lui dit-elle, je viens pour un retrait, à qui dois-je m'adresser ?Le gobelin leva à peine les yeux de son registre quand il lui dit, d'un ton si monocorde qu'Aëlya pensa aux êtres roboïdes qu'elle avait pu construire :
- C'est à quel nom ? Avez-vous un banquier attribué ? À combien estimez-vous le montant de votre retrait ?- Le compte est à mon nom mais il a été ouvert par mon père. Pour le montant... Disons presque la totalité... Une belle somme disons.- Et votre nom ? Je ne peux rien faire si vous ne me le donnez pas.- C'est que... Je ne puis vous le donner ainsi... en public, je préfèrerai m'entretenir avec un banquier pour le donner.- Je vois, dit lentement le gobelin en se tournant vers elle et la scrutant du regard cette fois. Nous avons souvent ce cas de figure, lui expliqua-t-il en disparaissant derrière son bureau jusqu'à ce qu'il réapparaisse avec une enveloppe qu'il lui tendit.
Mettez lettre de cachet certifiant votre identité, message royal, de noblesse... qui puisse attester de votre identité. La lettre sera cacheté, transmise à un de nos banquiers et vous reviendra ensuite.
- … Je n'ai aucun document...- Aucun ? Dans ce cas, nous ne pouvions rien pour vous. Je vous prierai de ne revenir qu'avec un document certifiant votre identité.Le gobelin retourna à sa paperasse, l'ignorant proprement. Mais Aëlya ne recula pas, c'était sa seule chance et elle ne tournerait pas le dos si facilement.
- Écoutez, je ne demande que quelques minutes avec un de vos banquiers, je peux attendre s'il le faut.Le silence dura plusieurs minutes, le gobelin l'ignorait toujours superbement mais, au bout d'un moment, il releva la tête et, voyant qu'elle n'était toujours pas parti, soupira.
- Bien... Vous êtes têtues... J'ai peut-être un solution, mais je crains que cela ne demande des efforts, je ne suis qu'un simple employé.Le disant, il tendit la main. Peu difficile de savoir ce qu'il désirait, alors elle lui tendit ce qui lui restait dans sa bourse, soit quelques pièces d'argent, ce qui aurait dû lui payer une nuit à l'auberge ce soir, mais elle espérait que cela soit un investissement sur le long terme. Le gobelin hocha la tête.
- Je vais vous présenter au banquier nain Goldur, lui pourra vous aider.*
**
Contrairement à ce qu'Aëlya avait cru, et espérer, le gobelin ne la mena pas dans les hauteurs de la Banque de Fer, mais bien dans les sous-sols. Car la Banque de Fer avait basé son système de fonctionnement sur son architecture, ainsi, plus un client avait rendez-vous haut dans les étages, plus celui-ci était prestigieux. Mais Aëlya n'avait jamais entendue parler de banquiers logeant dans les sous-sols. C'est donc dubitative et inquiète qu'elle se laissa guider dans un dédale de couloirs, ouvrant sur des pièces où étaient stockées des fournitures, ou bien d'autres bureaux pour gobelins, quand ils s'arrêtèrent enfin devant une porte quelconque.
Sans autre forme de cérémonie, le gobelin frappa et sans alla. Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit sur le nain le plus gros et certainement le plus petit qu'Aëlya ait jamais vue. Mais des deux, ce fut le nain le plus surpris, cela faisait des lustres qu'il n'avait pas eu d'affaires, on ne lui donnait que celles où il fallait généralement dire « non » au client, en particuliers à ceux louches, ou tout simplement dont on voulait se débarrasser. Parfois car on estimait que c'était une perte de temps et qu'aucun autre banquier n'en avait à perdre.
Mais Goldur n'avait jamais eu la chance de recevoir une cliente aussi belle et jeune et il en tomba des nues. Puis, se ressaisissant, il cru à une énième moquerie de la part de ses confrères, mais voyant la douce et frêle jeune femme avec son regard inquiet, il dû bien se mettre à l'évidence que tel n'était pas le cas et il l'invita à entrer.
C'était un petit bureau enfouit sous des montagnes d'archives qu'il dût déplacer pour trouver une chaise où inviter cette jeune demoiselle à s'asseoir. Cela fait il dû enlever d'autres piles de son bureau afin de pouvoir la regarder lorsqu'il s'asseyait de l'autre côté. Cela fait et, évitant tant bien que mal de laisser son regard plonger sur ce corps hypnotisant, sur cette poitrine qui se soulevait et se baisser au rythme de sa légère respiration, ses lèvres douces et roses comme des fleurs, son regard violet où il cru se noyer.... il finit par reprendre ses esprits et lui demander :
- Charmante dame, dites moi tout, quelle affaire vous amène ici ? Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider.Alors, Aëlya lui expliqua sa situation, lui exposant son nom véritable, le conflit dans sa contrée d'origine, la prise de pouvoir par son frère, frère qui la cherchait de par le monde pour l'exécuter ou la laisser pourrir dans des geôles.
Ce résumé lui prit près d'une demi-heure, et encore passa-t-elle sur toutes les dernières aventures qu'elle avait vécu avec sa fuite de la forêt du Nord et le passage à Port-Réal où elle dû trouver un navire. Aëlya sentit comme un poids la libérer une fois qu'elle eut terminé d'exposer son malheur. Quand au nain, il balbutia et, tout en cherchant dans ses archives :
- D'accord... d'accord... d'accord... Pas de lettres ou cachets pour vous identifier, mais j'ai, avec moi, la liste des personnes recherchées de part le monde. Vous comprenez, afin que nous puissions nous assurer d'éventuels... tracas. Et, avant toute chose, je dois respecter la procédure et être certain de votre identité. Ah, voici, l'avis de recherche vous concernant, dit-il en extirpant un parchemin en particulier.Le nain l'observa et son attention se fit plus intense, son regard fit plusieurs allers-retours de Aëlya au parchemin, une étrange lueur dans le regard :
- Dis donc, ils vous ont... un peu...Oui, je sais, ils ont cette tendance à s'arranger avec la réalité pour accroître les recherches, passons. Qu'en est-il de mes comptes ?En effet, sur les avis de recherche, Aëlya put constater que sa plastique avait été modifiée, laissant apparaître une poitrine beaucoup plus grosse qu'elle ne l'était en réalité, même si elle n'avait pas à se plaindre. Une façon, en effet, d'être certain qu'un minimum de mercenaires se lanceraient à sa poursuite.
- Maintenant que je suis certain de votre identité, repris-t-il en ayant du mal à ne plus comparer l'affiche d'Aëlya, affiche qu'il allait bien garder de côté pour meubler sa solitude, étant donnée l’attractivité de cette image, j
e dois vous dire que votre compte a été bloqué par votre frère. Vous ne pouvez rien en retirer pour l'instant. Nous pouvons tenter de débloquer l'affaire puisque nous ne sommes pas sous sa juridiction... Je vais en parler à mes confrères, toutefois, cela peut prendre du temps, à moins que...Le nain se fit des plus insistants en observant le creux de son bustier. Puisqu'il avait la possibilité de se contenter de chair fraîche plutôt que d'une affiche, il ne voulait pas passer à côté de cette affaire. Mais Aëlya se leva :
- Cela prendra le temps qu'il faut, mais je ne lâcherai pas cette affaire. Je repasserai demain. Au revoir.Et elle s'en alla, d'un pas plus décidé qu'elle ne l'était réellement. Elle n'avait désormais plus un sou et aucun espoir d'en voir arriver très prochainement. Aëlya soupira, que n'aurait-elle donnée pour un bain rafraîchissant, qui l'aurait aidé à réfléchir.
Elle se dirigea vers l'auberge du
Dragon d'or. Elle était passée à côté en entrant en ville. Elle se trouvait dans le quartier du port et l'un des matelots travaillant dans le navire qui l'avait amené ici, L'Espérance, lui avait indiqué que cette auberge recherchait de jeunes femmes. Serveuses ou musiciennes, il ne se souvenait plus de la fonction demandée.
Aëlya espérait qu'il ne s'agissait pas du métier de serveuse car, étant donnée l'auberge, cela était un métier dégradants puisque marins, mercenaires et aventuriers, généralement ivres, n'étaient plus en état de raisonner, s'ils l'étaient sobres, et
les tenues des plus légères et l'ambiance des plus chaudes. Quant à la musique, elle avait appris à chanter lors de son enfance et espérait que cela serait le poste obtenu, si tant est qu'elle pouvait en obtenir un. Mais elle n'avait plus le choix et se dirigea donc vers l'auberge.