Fort Elizabeth, première ligne de la zone de quarantaine formienne
- Il y a 43h.Bouteilles de bière à la main, Velma sifflotait joyeusement en avançant dans le couloir des dortoirs. Son tour de repos venait à peine de débuter, lui laissant 24h de tranquillité -à moins d'une alerte, bien sûr- qu'elle pouvait passer comme elle l'entendait. Et pour une fois, ça coïncidait avec les horaires de Jessy. Aaaah, Jessy. Une petite nouvelle de la section technique du fort, qui s'occupait de récurer les armures de combat et d'entretenir les engins de terrain. Une novice bien gaulée, qui avait besoin d'être rassurée parce qu'elle avait encore du mal à se faire à l'idée d'être stationnée aussi près du météore formien. Un cauchemar d'affectation quand on venait à peine de faire ses classes, assurément. Velma se félicitait déjà d'avoir proposé son épaule à la jeune femme, ce qui lui avait donné un accès rapide à ses cuisses à tout le reste.
Quand elles s'étaient organisé leur petite sauterie privée, moins de deux heures auparavant, Jessy avait expliqué à Velma qu'elle ne se sentait pas bien. Un peu nauséeuse, l'estomac lourd. "
Sûrement le rata infect de la cafet'", avait rétorqué la soldate. Jessy avait acquiescé sans grande conviction et Velma ne s'en était pas plus soucié. Un cacheton, une rasade de bière et hop ! La mécano serait vite d'attaque.
Visiblement, elles n'étaient pas les seules à s'être prévu un petit cinq à sept coquin. En passant devant les portes de quelques chambrées, Velma s'était réjouie d'entendre les cris et les gémissements qui filtraient. On s'amusait bien ce soir, à Fort Elizabeth. Et fort. Certaines camarades criaient bizarrement. Velma s'arrêta devant la porte de Jessy et tendit l'oreille vers le corridor, aux aguets. Elle entendait jouir, mais il lui semblait entendre la douleur. Et en soldate vétérante, elle savait la reconnaître. Ou alors son esprit lui jouait un tour ? Elle était fatiguée, après tout... Sa garde avait été longue. L'envie lui prit d'aller toquer à une porte mais celle de Jessy s'ouvrit et elle n'y pensa plus.
La mécano était là, devant elle. Et apparemment, plus très malade ! Un sein hors du débardeur, la belle était assez en sueur pour que le tissu blanc lui colle à la peau. Son teint était un peu livide, ses yeux cernés et... oh. Entre les cuisses, un gode vibrant était profondément enfoncé et remuait péniblement. Velma aurait dû s'amuser de la vue, s'en exciter même. Et pourtant, quelque chose l'en empêcha. Son instinct peut-être, qui lui criait qu'il se passait ici quelque chose de pas clair. Quant à Jessy, elle ne bougeait pas et respirait bruyamment.
- Jess chérie, tu... tu vas bien ?
Un cri d'horreur fit sursauter la soldate, qui en lâcha ses bouteilles de bière. Elles se fracassèrent sur le sol et éclaboussèrent ses rangers et les pieds nus de Jess, qui fit un pas ou deux sur les tessons. Velma n'y prêta aucune attention, trop occupée à scruter le couloir alors que sa main s'était automatiquement posée sur le flingue qui gisait contre sa cuisse. La tekhane en arma le chien et dégaina tandis qu'une des portes s'ouvrait, laissant passer une camarade couverte de sang. La femme voulu filer dans le couloir mais une furie fonça sur elle depuis l'intérieur de la chambre, la mordant si violemment à la gorge qu'une large gerbe de sang vint éclabousser la paroi la plus proche.
- Putain de merde !
Velma n'eut pas le temps de tirer. Poussant un cri inhumain, Jessy se rappela à son bon souvenir et la soldate n'eut que le temps de faire volte-face pour la voir lui fondre dessus en lui attrapant les épaules et la poussant de tout son poids contre le mur. Le dos musclé de la militaire percuta durement le boîtier d'alarme et la douleur l'empêcha de se défendre contre l'assaut de Jessy qui lui arracha la joue.
Alors que la sirène se déclenchait dans tout Fort Victoria, Velma poussa un hurlement profond qui résonna longuement dans le couloir...
Section Communication de l'armée régulière, Tekhos
- Il y a moins de 10h.Sur l'image de mauvaise qualité qui s'affichait sur l'écran de la salle de contrôle, la gradée semblait un peu lasse. La fatigue se lisait sur ses traits et au côté un peu débraillé de sa tenue -tout à fait excusable pour un rapport anodin.
Elle se massa la nuque en soupirant après avoir rapporté des faits sans grand intérêt, puis évoqua le sujet de filles sujettes à ce qu'elle appela en grinçant des dents "une crise de nymphomanie aïgue et spontanée". Plusieurs mécanos avaient presque agressés quelques camarades en se plaignant de bouffées de chaleurs. Et elles s'étaient montré violentes en cas de refus, si bien que leurs officiers avaient dû les faire maîtriser avant de les placer en quarantaine à l'infirmerie du fort.
"
[...] La section médicale me rapporte que les soldates concernées sont un peu plus calmes, pour le moment. Je crois que leur...leur frénésie sexuelle s'est calmée. Nous cherchons des explications autres qu'un contact formien, puisque nous n'avons pas croisé de créatures depuis deux bonnes semaines déjà. Il est possible que l'agitation vienne des températures en hausse dans cette partie de la zone de quarantaine alliées aux émanations d'une de nos cuves de carburant, qui a été endommagée suite à une mauvaise manoeuvre lors d'un chargement, il y a deux jours." Elle poussa un nouveau soupir las.
"Enfin. Certains cas sont moins graves que d'autres et quelques filles ont été autorisées à regagner leurs chambres. C'est au moins ça. Je laisse la situation sous observation pendant les 48 prochaines heures, et je demanderai l'appui du QG selon l'évolution de la situation. Vous trouverez un rapport médical plus approfondi avec l'enregistrement du doc-"Dans le fond de l'écran, une lumière rouge se mit à pulser et une sirène d'alerte couvra tous les autres bruits. On vit la femme se lever d'un bond, la caméra captant l'instant où elle se saisissait du holster de son arme réglementaire pour le passer à la ceinture avant qu'elle ne quitte la pièce. Une fraction de seconde plus tard, le message annonçant la fin de transmission clignotait.
D'un clic de souris
Askandy Belldandra, générale en charge de la section de communication pour l'armée de Tekhos, coupa l'enregistrement et laissa le pc afficher son écran de veille, soit une représentation 3D du logo des forces militaires.
Elle croisa les mains derrière le dos et posa son regard sur ses officiers.
- Vous allez envoyer une unité m'éclaircir cette merde, lâcha-t-elle tout de go.
Quelques hochements de tête approbateurs et ce fut tout. Rien d'étonnant à ça : envoyer une escouade aussi près de la ligne de front contre les formiens, c'était risquer de les envoyer à la mort avant même qu'elle n'atteigne son but. Personne ne voulait envoyer ses soldates au hachoir si facilement et surtout avec si peu de précisions, pour ne pas se prendre le savon de leur -presque certain- échec à ramener les informations désirées. Askandy continua néanmoins son exposé ; elle imposerait son choix si nécéssaire à la fin.
- Depuis l'envoi de ce message, plus aucune communication n'a été possible avec Fort Elizabeth. Il faut s'assurer de son sort et ce quel qu'il soit. Si cette station est tombée, nous avons une faille cruciale dans notre système de défense et nous devons impérativement prendre des mesures. - Une attaque ennemie, générale ? hasarda l'une des officiers.
- C'est plus compliqué que cela. Nos avant-postes sont truffés de capteurs et autres systèmes de détection. Biométrie, rayons X, mouvement, chaleur, son... Je vous passe la panoplie complète, mais les forts de première lignes sont équipés de façon à ne pas se laisser surprendre par des attaques furtives. Les détections sont immédiatement signalées au fort et au central de comm' où nous nous trouvons actuellement pour que nous puissions réagir le plus efficacement possible. Or, aucune intrusion n'a été rapportée et l'équipement est en parfait état de marche. Nous ignorons donc ce qui a déclenché l'alarme intérieure et coupé les communications. - C'est peut-être... enfin...une erreur humaine ? Un incendie, et le commandant posté là qui aurait oublié de faire son rapport par la suite le temps de gérer les dégâts ?
Askandy afficha un léger sourire en coin. Proprement glaçant, à vrai dire. Sa façon à elle de fusiller du regard un interlocuteur et de lui faire baisser les yeux. Cela ne manqua pas et l'officier s'intéressa soudain au bois de la table autour de laquelle toutes se retrouvaient à cet instant, pendant que Belldandra se fendit d'une explication.
- Le commandant de Fort Elizabeth, c'est Jesta O'Reilly. Un officier plus décoré que vous toutes ici, qui a affronté les formiens dès les premiers jours du conflit. Son compteur de missions en territoire hostile est l'un des plus hauts de l'armée. Vous voulez savoir qui est Jesta O'Reilly ? Une soldate qui, alors qu'on lui a proposé un poste de bureaucrate bien à l'abri dans la capitale en remerciement de son dévouement, a préféré réclamer une mutation sur la ligne de front. Voilà qui est Jesta O'Reilly. Tout sauf une minette dépassée par les événements impromptus et les situations de crise. La générale serra les poings dans un crissement de cuir. Son explication rendait la situation encore plus surprenante, plus dure à accepter. Comment quelqu'un du calibre d'O'Reilly avait pu laisser une situation dégénérer jusqu'à ce que l'armée doive considérer Fort Elizabeth comme perdu pour la cause ? Ce qui s'était passé là-bas devait absolument être élucidé. Un nouveau type de formien absolument indétectable ? Une mutinerie ? Un "simple" accident ?
- J'ai une unité pour cette mission, générale. Toutes les têtes se tournèrent vers la voix qui venait de s'exprimer. Dans son fauteuil,
Flavia Bennington savourait son petit effet. Askandy détailla la blonde au cache-oeil. Un officier nouvellement promue, qui avait les dents longues et assez de tripes pour foncer tête baissée dans la mêlée. Une femme expérimentée et solide dont l'unité était spécialisée dans les missions de reconnaissance. Des éclaireurs hors-paire, disait-on. Efficaces, malgré leur petite tendance à trop aimer la pyrotechnie lors des combats.
Autour de Bennington, les autres militaires se détendirent un peu. Ce n'étaient pas à elles que revenait la gamelle pleine de merde et elles s'en montraient tout à fait satisfaites. En plus, Flavia était considérée comme une pétasse arriviste... un échec la remettrait à sa place pour de bon.
- Mais, avec votre permission, j'ai une demande. Askandy plissa les yeux, mais l'invita à parler en hochant la tête à son attention.
- Je veux qu'on m'autorise à inclure à cette mission un Devastator que je choisirais moi-même.Quelques râclements de gorge autour de la table. Un ricanement même, que personne ne prit la peine de relever. La général déposa son regard d'acier dans l'oeil unique de son officier, la jaugeant en silence le temps d'un instant qui parut s'éterniser. Flavia ne cilla pas, soutenant le défi de sa prunelle claire.
Un ange passa avant que la voix d'Askandy ne vienne enfin rompre le silence pesant qui s'était installé.
- Accordé. Les autres officiers s'agitèrent sans oser montrer plus avant leur agacement, comme elles turent par lâcheté leurs protestations. Aucune n'avait osé se proposer avant Bennington et maintenant il était trop tard pour ça. Belldandra fit rompre la petite assemblée et attendit que les autres soient parties pour apostropher la volontaire en privé.
- Que les choses soient claires entre nous, Bennington. Dans une quinzaine d'heures, je devrais expliquer à la Grande Sénatrice en personne pourquoi un fort de la première ligne en zone de quarantaine ne répond plus, comme je devrais lui expliquer que j'ai perdu un de ses plus grands héros de guerre. Je veux des réponses convaincantes à lui fournir, sinon je vous jure que je ferai en sorte que vous finissiez votre carrière à récurer les chiottes de l'académie. - A vos ordres, mon général.
Intérieur du transport de troupe blindé de l'unité Hellcats
- En ce moment. Flavia achevait de sangler sa combinaison, maintenant que son exposé de la mission était posé et ses troupes briefées. Cinq femmes en plus d'elle, parfaitement rôdées au combat contre les formiens. A l'intérieur du véhicule lourdement renforcé, le
Hammer, l'ambiance était relativement bon enfant. Les soldates s'envoyaient quelques vannes en vérifiant leurs armes et en achevant de préparer leurs tenues et paquetage. La situation pourtant potentiellement critique ne semblait pas les émouvoir mais Flavia n'en faisait pas grand-cas : elle savait que ses
girls seraient prêtes à agir le moment venu. De plus, elles se sentaient concernées. Fort Elizabeth et Jesta O'Reilly étaient des légendes militaires qui avaient bercé leurs classes à l'académie et aujourd'hui elles pourraient découvrir les deux ; une chance et un honneur, à n'en pas douter. Gare aux formiens si ils avaient attaqué ces monuments !
Ce qui était un peu plus préoccupant -et encore- c'était la présence de l'impressionnante forme armurée qui reposait sagement dans un coin du Hammer, comme un vieux robot déglingué qui attendait qu'on le switch sur On. C'était là en fait un Marines mâle, le fameux membre des
Devastators qui avait été réclamé par Bennington. De la chair à canon derrière une armure archaïque... Une hérésie au vue des standards de l'armée tekhane. Pour autant, ces survivants avaient leur intérêt. L'expérience, l'ignorance de la peur, la "domestication" et l'efficacité d'armes qu'on ne trouvait plus dans les rangs matriarcaux actuels.
Il n'en restait plus beaucoup. L'armée les éclusait au mieux pour s'en débarrasser mais certains coriaces subsistaient. Comme celui dont Bennington caressait pensivement l'arête du casque. Si elle avait demandé son intégration, ce n'était absolument pas innocent.
Elle ne dit ni ne fit rien de plus et s'éloigna pour rejoindre le pilote à l'avant du Hammer, ses doigts glissant sur l'épaulière fatiguée du Marines.
*
* *
Mercurius tourna un peu la tête pour regarder Bennington s'éloigner, puis ses optiques firent le point sur les différents membres des Hellcats. De nouveaux compagnons d'arme, qui ne l'aimaient sûrement pas. Bah. Il n'en avait rien à faire. Ses frères Devastators avaient été les seuls camarades valables qu'il n'ait jamais eu, mais les formiens les avaient réduit à rien. Eux et les manipulations politiques d'un gouvernement qui avait trouvé ses propres créatures finalement trop encombrantes. Qu'on lui donne l'occasion de combattre à nouveau était une aubaine. Si il faisait ses preuves grâce à Flavia, peut-être l'autoriserait-on à intégrer de nouveau le service actif ? Mercurius se raccrochait à cet espoir pour se sortir de la vie misérable qu'il subissait depuis qu'on l'avait écarté du front.
Pour tout masculiniste qu'il était, le Devastator avait toutefois un respect certain pour les soldates des premières lignes comme O'Reilly et ses sbires. Tenir face à ces saloperies spatiales depuis si longtemps était un exploit appréciable au-delà des considérations sexuelles et sociales et Mercurius s'estimait lui aussi chanceux de rencontrer de si bons militaires.
Pensif, l'homme étreignit la poignée de l'
épée-tronçonneuse qui battait contre sa cuisse. Artefact brutal et rassurant, tout comme le
bolter qu'il portait également. Il avait eu le droit de prendre, par précaution, un armement un peu plus lourd mais qui devrait rester dans le Hammer si son utilité n'était pas avérée.
Tranquillisé par la présence de ces armes, Mercurius retourna à sa veille silencieuse et écouta les conversations qui s'échangeaient dans le blindé.
Quelques minutes plus tard, ce dernier s'arrêtait et déployait antennes et radars. On entendit Flavia passer des appels radio qui restèrent sans réponse, et la commandante finit par quitter le cockpit du Hammer pour attraper son fusil. D'un coup, l'atmosphère s’appesantit tout le monde se prépara comme un seul homme.
- Allez, mes cailles, enfilez votre tenue de bal ! Pas de musique dans la salle des fêtes, on va aller voir si des emmerdeurs n'ont pas gâché la boum. Le Hammer reste ici sous camouflage, vous allez me muscler ces culs flasques en marchant jusqu'au Fort. En selle, les artistes. Mercurius, en tête de file ! Le soldat armuré se leva sans rien dire et dépassa ses camarades pour se diriger vers les portes du véhicule qui s'ouvrirent, dévoilant le désert de la zone de quarantaine formienne. Il fit quelques pas à l'extérieur, faisant tourner les détecteurs intégrés à son armure pour repérer toute menace immédiate éventuelle puis fit signe aux autres que tout était clean. Bennington sorti donc, suivie des quatre autres.
De la roche à perte de vue. Au niveau de la ligne d'horizon, on pouvait apercevoir un bâtiment puissant qui surmontait une haute muraille qui s'étendait loin au-delà de la vue. La délimitation de la zone de quarantaine autour de la Ruche, no man's land où la loi du plus fort régnait plus intensément que les lois de Tekhos. Ces terres désolées avaient été gorgées de sang durant les premières années de l'invasion spatiale et les tekhanes stationnées là payaient presque chaque semaine leur tribut aux horreurs de la guerre.
Comme un veilleur silencieux mais inflexible, Fort Elizabeth et ses ailes s'imposaient comme un bastion de l'ordre et de la sauvegarde du matriarcat. De hauts miradors puissamment armés, des portes et des murs pensés pour résister à des tirs de missiles, des chiennes de guerre équipées pour livrer le plus éprouvant des conflits. La prétention de Tekhos à défendre ses positions et ses enfants, coûte que coûte.
Une citadelle imprenable qui, d'aussi loin, semblait figée dans le temps et prise dans un pesant silence de mort.
En formation serrée, les Hellcats et leur Devastator engagèrent la route vers Fort Elizabeth et ses mystères.