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- Ne faites donc pas si mauvais minois. Le prince Cael est un excellent parti, princesse. C'est un homme parfaitement éduqué, d'un goût certain. Il jouit d'une excellente réputation et, qui plus est, est fort joli garçon.
- Oui, Naan, je n'en doute pas... Accoudée à la partie vitrée de la portière de son calèche, la princesse
Opale Gloire-Etoile laissait reposer son fin menton sur le dos de sa main, le regard flânant sur la route ensoleillée de cette magnifique journée d'automne. La contrée de Melynas, en cette saison, était tout simplement magnifique. Tout y semblait calme et serein, comme si la folie du monde n'existait plus dans cette bande territoriale neutre entre la patrie elfique d'Opale, Syl-Helsaïnn, et le royaume de Paravel vers lequel elle se dirigeait à bonne allure. Un trajet long mais tranquille qui la séparait de la première rencontre avec son futur mari, le prince Cael. Un homme sûrement aussi bien que le dépeignait avec enthousiame Naan, la servante personnelle d'Opale. Peut-être l'homme idéal... Mais surtout, pour la divine princesse, l'homme que la politique et les choix de son père lui avaient imposé.
Cet état de fait la minait et même le somptueux paysage de Melynas qui défilait au fil des kilomètres parcourus ne parvenait pas à lui rendre son beau sourire.
Opale n'était pas d'accord avec la destinée qu'on lui imposait, mais Opale n'était pas une rebelle dans l'âme pour autant. Fille unique de la lignée royale de Gloire-Etoile, elle avait été éduquée de façon à devenir la plus noble des épouses qu'on pouvait imaginer. Aussi belle que racée, cette elfe pour qui des hommes abandonnaient foi et logis n'était pourtant pas froide ou inaccessible. Le peuple aimait son caractère jovial et généreux, comme il aimait à dire que sa princesse était la plus belle chose qui existait à travers Terra. Une étoile divine incarnée dans la chair, le désir charnel sous sa forme la plus gourmande. Oui, Opale était belle. A s'en damner. Elle le savait mais se refusait à en jouer. Les hommes -et les femmes- ne présentaient aucun intérêt pour elle. Trop facilement, ils préféraient voir le contenant sans prêter une quelconque importance au contenu. Et Opale se sentait plus objet que femme, elle qui ne rêvait que de l'amour pur et sincère dont on abreuvait les contes que sa vieille nourrice lui racontait.
Le mariage imposé avec le prince Cael, aussi charmant que ce dernier pouvait être, était donc une terrible souffrance. Une insulte qui la blessait. "
Il s'agit de raison d'état", avait argué son père. "
Tu n'auras guère de mal à lui plaire et tout ira bien !", avait enchérit sa mère.
L'attelage s'arrêta et le capitaine de l'escorte vint taper à la portière de la calèche. Comme beaucoup, il peina à s'adresser à sa princesse directement dans les yeux. Inévitablement, les regards se perdaient sur les affriolantes profondeurs de son décollété. Ce n'était pas un vice que d'en porter, malgré son imposante poitrine et l'effet que la chose donnait à ses seins : pour Opale, c'était un test préliminaire. Peu réussissaient à le passer haut la main.
Le capitaine signifia que le petit convoi s'arrêtait un temps pour nourrir les chevaux et les rafraîchir. Naan s'en égaya et descendit pour aller préparer à sa princesse une petite collation (ce qui serait parfait pour aller flirter discrètement avec l'un des gardes), tandis qu'Opale ne semblait que peu se soucier de l'arrêt. Au moins lui faisait-il gagner quelques minutes de pseudo liberté.
Ses beaux yeux se perdirent dans les bois environnants. Il serait s'y facile, de mettre fin à cette agonie ! Même si elle avait toutes les chances de finir rattraper, ce serait un beau pied-de-nez à ceux qui prétendaient la contrôler. Ce serait si facile, oui...
...
...et si ?
Ses lèvres pulpeuses se réhaussèrent d'un sourire et elle quitta à son tour la calèche, relevant sa robe pour que le bas ne traîne pas à terre. Opale embrassa l'endroit des yeux et vit que les gardes étaient tous autour de la petite tablée que préparait Naan, aidée de son prétendant. Rassemblés ? Parfait ! Il ne manquait qu'une personne, dont elle se mit en quête aussi tôt pour la trouver à rôder non lon -probablement à s'assurer que le convoi n'était pas suivi et que l'endroit était sûr.
Il s'agissait de sa garde du corps. Une de ses rares amies sincères, en plus d'une personne fiable. La pauvre avait enduré quelques colères du roi pour avoir laissé Opale l'entraîner dans ses frasques de jeunesse. Jamais elle ne l'avait laissé tomber pourtant. Aussi régulière que le soleil qui succédait à la lune, la guerrière lui revenait invariablement. C'était cela qui lui avait valu le surnom affectueux par lequel Opale l'apostropha en lui adressant sa moue la plus enfantine.
Ce qui n'était jamais très bon.
- Dis, mon Hirondelle, tu me suivras où que j'aille ? Un sourire tendre plus tard et elle lui soufflait d'autres mots à l'oreille.
- Car je veux m'en aller sans plus attendre... Puis elle se tourna vers le groupe. De ses lèvres s'échappèrent quelques mots d'elfique alors que ses doigts graciles traçaient dans l'air quelques symboles lumineux en direction du groupe. Quelques gardes relevèrent la tête par l'étrange manège de la princesse, intrigués, une fraction de seconde avant que le sort ne soit terminé. Une exclamation s'éleva de la bouche d'Opale et un claquement sec retentit dans une explosion de lumière qui sembla durer quelques courts instants. Quand la luminosité revint à la normale, Naan et les gardes étaient figés sur place et présentaient des visages pétrifiés dans d'amusantes expressions de surprise.
Opale ne perdit pas de temps (enfin, un peu, pour s'amuser des traits de certains) et attrapa les rênes du premier cheval venu. N'hésitant pas à relever entièrement sa robe pour grimper en selle, la princesse se tourna ensuite vers l'Hirondelle et lui tendit la main.
- Viens, dit-elle simplement avant de lancer l'animal au galop, riant aux éclats de cette liberté fraîchement acquise.