- Tenez. Au fait, mon nom est Ïrika. Et vous ?
- Merci. Je me nomme Kelrym. Ravi de faire votre connaissance, Ïrika. Et bon appétit !
L'aveugle hocha un peu la tête en guise de salut, la laissant ensuite légèrement penchée comme il en avait l'habitude. Si il avait eu les yeux ouverts, elle aurait pu penser qu'il se contentait de fixer le foyer crépitant... mais là, seul le jeu tranquille des flammes sur son visage présentait un intérêt, soulignant légèrement ses traits fins tandis que ses paupières restaient obstinément closes. Le morceau de lapin tendu par la jeune femme à la main, le masseur commença à grignoter du bout des lèvres et en silence. Irika ayant manifesté une envie de faire la conversation, aussi bégnine fut-elle, le masseur décida de faire lui-même un pas dans cette voie.
- Vous avez dit en arrivant que vous êtiez perdue. Ou voulez-vous aller ? Je connais la région, peut-être pourrai-je vous aider. Pourquoi pas même cheminer un peu avec vous, si le hasard et vous-même le permettez ! Bien que ce soit un territoire relativement tranquille jusqu'à la prochaine grosse ville, les voyageurs isolés sont des proies idéales pour les brigands qui sévissent ici et là.
"Surtout si il s'agit de femmes seules", se retint-il d'ajouter pour ne pas l'effrayer. Kelrym la trouvait bien imprudente d'ainsi vagabonder en Terra, même si elle avait peut-être quelques pouvoirs magiques et autres dons martiaux. Les routes n'étaient pas sûres et une femme avait encore plus de raisons de s'inquiéter de ces -mauvaises- rencontres probables. De plus, à sa halte précédente, on avait averti l'homme en blanc sur l'évasion d'un fugitif armé qui pourrait lui tomber dessus à la moindre occasion. Un fou dans la nature, entre les bestioles les plus libidineuses qu'on pouvait imaginer. La vie sexuelle des créatures de Terra était particulièrement active et il fallait se méfier de tout, de la bête flaque d'eau aux plus monstrueux trolls. Dans l'idée, il aurait été logique qu'elle en vienne à se méfier aussi de lui, tout aveugle et aimable qu'il était... ce qui n'aurait pas été pour froisser Kelrym outre mesure. Il retourna à son morceau de lapin un moment, avant de reprendre.
- Je suis masseur et acuponcteur, je vais et viens entre les villes et les villages pour proposer mes modestes services. Et vous, qu'est-ce qui vous fait prendre la route ? Le commerce ? La nécessité ? Une quête épique et tortueuse ? La promesse de retrouver un jeune homme transi d'amour ?
Kelrym aimait deviser avec les inconnus qu'il se retrouvait à découvrir au fil des kilomètres avalés et des étapes marquées le long de son perpétuel voyage. Parfois, les gens se montraient incroyablement diserts avec les inconnus. On lui avait livré de nombreuses tranches de vies, certaines tragiques et d'autres cocasses, quelques fois touchantes et émouvantes. Avec le temps, il avait apprit à apprécier ces moments d'intimité entre deux étrangers qui ne seraient probablement jamais amenés à se retrouver. Ce soir n'était finalement qu'un soir comme les autres, bien qu'il avait plus rarement l'occasion d'un tête-à-tête sauvage avec une demoiselle.
Curieux, l'aveugle se demanda à quoi elle pouvait ressembler. Ïrika était-elle splendide ? Plutôt un laideron ? Une noble en fuite ou une paysanne un peu paumée ? Pour le savoir, il fallait lui parler... Et lui proposer de la toucher, mais Kelrym se voyait mal le lui proposer après cinq minutes et un morceau de lapin.
Question de tenue, tout de même.