«
Les voilà... Les Pentaghast. -
Hmmm... Comme si nous n’avions pas assez de problèmes, et il a fallu que tu autorises leur visite... -
Ne sois pas ridicule, Tomeyrus, et range cette fierté mal placée où elle a sa place ! C’est leur fils qui vient, celui qui a fait ses classes militaires avec ton fils ! »
La tension qui régnait dans la pièce était à l’image de la tension globale qui animait Papua. Rhian était maintenant sûre de son fait, sûre de ses pressentiments qui venaient la tirailler la nuit, et dont Mélonye Harubaal, l’une de ses concubines, avait été le témoin direct.
Il s’était passé quelque chose. Il y a de cela plusieurs semaines, le fils du Roi, le Prince dauphin,
Herebos, était parti en campagne dans les profondeurs de Papua, comme une vague de brigands qui venaient depuis les frontières extérieurs du royaume, et s’en prenaient au comté le plus reculé de Papua,
El-Nolom. La nuit où il était parti, Rhian était venue se confesser à sa mère,
Khaora. Les dernières nouvelles dont on disposait affirmaient qu’Herebos était arrivé à
Solku, une cité papuanne éloignée, mais, depuis lors, Solku n’avait envoyé aucune nouvelle.
Et, pour ne rien arranger, la santé du Roi, le solide
Tomeyrus, déclinait. Une inexplicable douleur lombaire, qui se caractérisait aussi par des essoufflements cardiaques, et par une grande famille. De base, Tomeyrus avait un fort caractère, mais cette maladie le rendait irritable, car les apothicaires de Papua, pourtant compétents, avaient du mal à trouver ce qui lui arrivait. La réalité était que la femme et l’homme étaient tous les deux inquiets pour leur progéniture, car ils sentaient, comme Rhian, que le vent du désert était en train de changer. Rhian redoutait le pire pour son frère, et, chaque jour qui passe, sa détermination accroissait. Elle multipliait ses entraînements, en ne rêvant que d’une chose : partir vers Solku. Cependant, et tout aussi téméraire qu’elle soit, El-Solom était un comté très éloigné de Papua, et elle savait son royaume dangereux. Elle n’en avait pas parlé à ses parents, car ses derniers refuseraient, et, maintenant qu’Herebos ne donnait plus de nouvelles, Rhian savait que la garde avait été renforcée au sein du Palais Impérial.
*
Mais je dois y aller, il le faut... Je sens qu’Herebos a besoin de moi...*
Déjà, les rumeurs s’étendaient au sein de la population locale. Dans la capitale, Herebos était très populaire, un Prince proche de son peuple, dont les servantes disaient qu’il dormait lors des banquets, dormait comme un pied, et préférait généralement passer du temps dans les casernes, avec ses hommes, ou tout simplement aller dans la ville. C’était un homme qui respirait la joie de vivre, un homme simple, quelqu’un qui avait toujours regretté que les ambitions de Tomeyrus, vis-à-vis de Rhian, se limitent à la marier. C’était lui qui avait décidé de la former à l’épée. Quelle sœur serait-elle, si elle ne cherchait pas à le retrouver, alors qu’il était en péril ?
Mais, aujourd’hui, c’était une autre situation qui attirait leur attention. La vie d’un royaume ne pouvait pas juste tourner autour de la survie du Dauphin, et Papua, en ce jour, allait accueillir le fils du duc d’Aurélia, une province ashnardienne proche, mais qui, depuis quelques années, connaissait des frictions avec le royaume. Pendant des siècles, Papua et Aurélia avaient été, économiquement, et militairement, deux royaumes proches. La maîtrise aurélienne de la technologie naine leur permettait d’avoir des armures magiques, et même de maîtriser des rudiments de poudre à canon, ce qui faisait que l’armée d’Aurelia complétait à merveille celle de Papua. Et, pendant des siècles, Papua fournissait à Auréalia des minerais et des cristaux magiques dont Aurelia avait besoin pour son armée. En retour, Aurélia fournissait, outre de l’or, de la nourriture, car, même si Papua avait ses oasis, un royaume désertique avait toujours des problèmes d’alimentation. Pour cela, le commerce était essentiellement maritime, car Aurélia était situé à l’autre bout du grand lac où la capitale de Papua avait son embouchure, un lac si vaste qu’il était en réalité une véritable mer intérieure au sein de l’Empire.
L’origine du litige remontait à il y a environ vingt ou trente ans, et faisait actuellement l’objet d’une procédure judiciaire interminable entre Papua et Aurélia, devant la Cour Impériale. C’était un problème économique, mais qui, en réalité, venait de l’opposition entre deux personnalités fortes et butées : le duc d’Aurelia d’un côté, et Tomeyrus de l’autre. Le problème était multiple, et était notamment lié aux taxes à l’importation de Papua, ainsi qu’à la détérioration de certains modèles d’armures auréliennes, attribuées à la défectuosité de gemmes... Mais, derrière ces arguments juridiques faisant la joie des Avocats qui s’amusaient à éplucher tous les contrats, il y avait surtout l’échec de tractations diplomatiques et économiques visant à créer, entre Aurélia et Papua, une armée conjointe pour défendre les frontières de Papua. Le royaume de Sable était situé le long d’une frontière, et il était donc fréquent que les incursions brigandes, orcs, ou les vagues de monstres, frappent Papua. Un souci connu tout autour du Grand Lac, et qui avait amené, une fois, les principales puissances locales à se regrouper sur une île au centre du Lac, pour tenter d’y mettre un terme, car les brigands n’hésitaient pas à attaquer les autres royaumes.
C’est durant ces tractations que tout avait échoué entre Papua et Aurélia, gelant le commerce entre eux. Tomeyrus reprochait au duc d’avoir voulu violé la souveraineté de Papua, et le duc d’Aurelia reprochait au Roi sa véhémence, et son incapacité à vouloir envisager une coopération stratégique globale. Les deux en étaient restés là, et étaient trop têtus pour se dire qu’ils avaient agi tous les deux comme de fieffés idiots. Mais Herebos, lui, avait publiquement dit être favorable à la réouverture des échanges, et que Papua avait besoin de l’aide des armées d’Aurelia. Ainsi, quand le duché d’Aurelia avait sollicité une visite officielle, Khaora avait répondu favorablement à la missive.
Ce n’était pas le duc en personne qui venait, mais son fils, Galahad. Lui et Herebos avaient mené ensemble des campagnes ashnardiennes, et, dans ses lettres, Herebos n’avait pas tari d’éloges sur Galahad de Pentaghast. La raison officielle de ce voyage était qu’Aurelia souhaitait rouvrir les marchés, qui avaient été gelés quand Papua avait augmenté ses taxes.
«
Ils ont entendu parler de notre faiblesse... Des incursions dans El-Nolom... Tout ce que les Auréliens veulent, ce sont prendre le contrôle de nos mines, de nos gisements. Nos cristaux sont les plus purs de la région. »
Tomeyrus n’en démordait pas, mais Khaora savait se montrer inflexible, et, comme le Roi était fatigué, elle n’eut pas trop de problèmes à l’envoyer au lit, pendant qu’elle-même et Rhian devaient accueillir le brave duc.
«
Je n’ai jamais rencontré ce Galahad, Rhian, mais j’ai foi dans le jugement d’Herebos. Il m’a confié que Galahad trouvait ces querelles absurdes, et je le pense aussi. Nous avons perdu de l’or en rompant nos liens avec Aurelia, c’était une décision absurde... »
Rhian ne pouvait qu’être d’accord, car elle savait lire des livres de comptes. La Papuanne, néanmoins, et contrairement à son père, espérait bien que Galahad ne soit pas
juste là pour rouvrir un marché. En revanche, ce que les deux femmes ignoraient, c’est qu’Herebos avait beaucoup parlé à Galahad de sa sœur. Quand Galahad lui affirmait qu’il ne serait jamais amoureux, Herebos, en souriant, lui disait juste qu’il n’avait vu que les fermières d’Aurelia, et que, le jour où il poserait les yeux sur sa sœur, il en tomberait éperdument amoureux. C’était sa «
prophétie ». Mais Herebos avait aussi dit autre chose, quand il cessait de sourire, et qu’il sentait l’inquiétude lui étreindre le cœur, à l’idée des batailles qui les attendaient dans les Contrées du Chaos, dans ce
wasteland sauvage et meurtrier.
«
Si jamais je venais à disparaître, lui avait-il dit,
je veux que tu me jures, sur ton honneur, que tu veilleras sur ma sœur. Mon père a tort quand il pense que je ferais un bon Roi, et qu’elle devra se marier. Moi, je suis un guerrier, et je ne sais faire que ça. Les galas m’ennuient, les repas interminables me sont de vraies plaies. Elle, elle a l’étoffe d’une Reine. »
Qui sait ? Peut-être que Galahad venait vraiment pour satisfaire cette requête ?