« La folie des grandeurs, commenta le Roi en regardant l’île du crâne.
L’île était dotée d’une incroyable géographie, avec ses montagnes volcaniques et ses jungles denses, tout ce qui était nécessaire pour la création d’un repaire de magicien; reculé, difficilement accessible et dangereux. Il n’aurait pas eu tant de magie dans l’air qu’il se serait peut-être interrogé sur cet endroit, mais rien d’autre ne faisait ainsi changer la couleur de ses iris pour le doré. Il ne pouvait pas se tromper. Quoi qu’il y ait sur cette île, c’était puissant, vivant et méfiant. Mais il ne sentait aucune aura hostile provenant de la terre ferme, donc, il pouvait assumer qu’il n’avait pas été repéré. Il posa une main à sa ceinture et en sortit une flûte de verre, qu’il déboucha du pouce avant d’en avaler d’une traite le contenu. Aussitôt, il sentit son pouvoir s’engourdir, assez pour passer pour un simple humain. Il grommela néanmoins au goût abject de la substance, mais comme le voulait le vieux dicton d’alchimiste, si c’est mauvais, c’est bon, et donc, pas question d’altérer la recette. Du moins pas avant d’être au Palais.
- Vous croyez qu’elle s’y trouve, votre Majesté? Demanda Noah, son écuyer.
- Si elle n’y est pas, il sera toujours temps de reprendre les recherches, répondit le Roi en laissant tomber le petit récipient à potions dans la mer. Rentre au port au plus vite. Si je ne trouve rien, je t’y rejoindrai. Si je trouve quelque chose… et que je ne reviens pas, tu préviens Meisa.
L’écuyer hocha de la tête. Serenos l’aimait bien, ce petit. Il remplaçait parfaitement Frederick, bien qu’il ne sache pas tenir son silence. Il ébouriffa affectueusement la tête du jeune homme avant de faire tomber son manteau et sa veste, se retrouvant en tunique à manches courtes. Il s’assura qu’Ehredna restait bien en place à sa ceinture, et par mesure de sécurité, il l’attacha à son fourreau avec une petite chaine d’argent. Il la glissa ensuite à sa ceinture, qu’il ajusta pour qu’il ne la fasse pas tomber par mégarde. Il prit un brin d’élan puis s’élança vers le rebord du petit bateau et sauta à l’eau d’un plongeon.
Le contact avec l’eau glacée lui arracha un grondement de surprise et de protestation. Il ne s’attendait pas à ce que la mer soit aussi froide! Mais étant loin de la terre ferme, il aurait dû s’y attendre. Mettant de côté l’inconfort de l’eau froide, il entama la dernière étape de son infiltration et saisit entre ses lèvres une autre fiole. Grâce à une herbe spéciale qui produisait instantanément de l’oxygène au contact de l’eau, il se débarrassa du risque de se noyer sans avoir besoin d’émerger et commença à nager en direction de l’île. Il était peut-être inconvenant pour un Roi de se déplacer de lui-même pour une mission d’infiltration, mais Althea seulement savait ce qui pouvait arriver s’il avait envoyé quelqu’un d’autre faire le travail.
Il n’était pas dupe, Melisende se rendrait compte de sa présence bien assez tôt. Une décade n’était pas suffisante à une Ancienne pour oublier la signature magique unique d’une personne qu’elle avait côtoyée et même éduquée dans les arts de la sorcellerie, et lorsqu’elle le détecterait, il lui faudra jouer avec finesse. Il nagea sans problème jusqu’à terre, et posa le pied sur la plage, crachant la fiole de respiration aquatique au sol sur lequel elle tomba en poussière. Il détacha Ehredna du fourreau et fit rouler ses épaules en s’avançant vers la jungle. Il fit à peine un pas dans la direction qu’un trait d’arbalète passa à deux pouces de sa tête. Il lâcha un soupir dépité. « Évidemment, elle a des gardes. Mais maintenant, je sais qu’elle est ici. » Pensa-t-il, à demi-satisfait de cette conclusion. Une silhouette étrangère sortit de l’ombre des arbres, révélant un homme, qui tenait dans les mains l’arbalète qui avait tiré. Il s’arrêta à la sortie de la jungle, ses yeux vides rivés sur l’étranger qu’il avait tenté d’éliminer.
« Faites demi-tour, étranger, l’intima l’homme, un grand gaillard aux cheveux bruns, aux épaules d’armoire à glace. Ce sont les terres de la Maitresse. Vous n’y êtes pas le bienvenu.
- Mon garçon, je ne suis le bienvenu nulle part, répliqua Serenos en levant sa lame. Vous devriez poser cette arme. J’ai pour règle de ne pas blesser un homme désarmé. Mais si vous la pointez encore une fois vers…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que l’esclave leva son arme une nouvelle fois et orienta son carreau vers le Roi, visant sa poitrine. « Il ne vise pas la tête… il veut s’assurer de me toucher. Ce n’est pas un amateur. » Comprit Serenos. « Mais moi non plus. »
Lorsque le trait fut décoché, le Roi leva sa lame devant lui. Il ajusta l’angle de son arme et saisit de sa main ganté le plat de sa lame. Le trait frappa son arme, et fut dévié par l’angle, l’envoyant dans les flots derrière le Roi, qui se mit à courir aussi rapidement que ses jambes lui permettaient en direction de son adversaire, essayant de réduire le plus possible la distance qui les séparait. Il n’avait aucune chance de gagner contre une arbalète à distance, mais au corps à corps, il n’avait rien à craindre de cette arme. De plus, l’arbalète avait un défaut très handicapant; elle prenait un temps fou à être rechargée. Pour gagner un peu de distance, l’esclave se mit à courir en direction opposée tout en faisant tourner la manivelle qui tendait la corde. Lorsqu’il fit volte-face, un nouveau carreau prêt à être tiré, Serenos n’était pas là. Il n’eut qu’à peine le temps de se retourner, par contre, qu’il fut surpris par l’épée du Roi, qui rencontra le bois fragile de son arbalète et la fit sauter des mains de son propriétaire, avant que Serenos ne la lâche. Le poing du monarque heurta puissamment le visage du géant, et celui-ci tomba à la renverse, mais pas sans que l’Usurpateur lui entoure le cou de son bras et lui assène, une fois au sol, une copieuse série de coups de poing au visage, lui brisant les os du nez et des joues sous leur impact. Le colosse tenta de se défaire de Serenos, mais celui-ci lui saisit le bras d’une jambe et se garda hors de portée de l’autre, jusqu’à ce que ses coups aient raison de la connexion entre la réalité et l’esprit de son adversaire, qui sombra bien vite dans les ténèbres de l’inconscience.
Le Roi s’assura que son adversaire était bien hors d’état de nuire avant de relâcher son étreinte sur sa gorge. Il remarqua alors un collier autour du puissant cou de l’esclave et il le lui arracha brutalement, le jetant au loin avec dégoût. La simple vue d’un dispositif d’esclavage lui donnait envie de vomir. Agité et nerveux, il prit le temps de se calmer avant de reprendre la route, une fois qu’il eut prise ferme sur ses émotions. Il regarda alors son épaule, qui saignait légèrement. Il avait bien dévier le trait, mais pas assez pour l’éviter complètement. Il gronda un peu.
« Je n’ai plus la force de mes vingt ans, ca, c’est sûr. » Soupira le royal quadragénaire.
Il massa son épaule endolorie par les coups répétés puis récupéra Ehredna sur le sol, la rangeant prestement dans son fourreau avant de reprendre sa route, redoublant de vigilance. La forêt était peuplée d’une faune incroyable, à commencer par des humains, mais aussi des satyres, des esprits naturels liés au monde physique, et encore bien d’autres. Il passa même à un cheveu d’être repéré par une Lamia qui se désaltérait par-là, et il dût agir rapidement pour neutraliser un Terranide de type Lupus pour éviter qu’il ne sonne l’alerte.
***
Le jeune homme passa ses doigts fins et pâles sur les épaules de Melisende, remontant ses doigts vers sa nuque pour ensuite lui agripper sa chevelure d’ébène. Il se pencha alors vers sa nuque et y posa des baisers aussi glacés que son âme. Devant la Sorcière se dressait un énorme miroir enchanté qui lui montrait le visage, certes plus âgé et plus mûr mais toujours aussi unique, de Serenos. Ses yeux brillant d’un or pur démontrait que le sang qu’elle lui donna jadis s’était, de toute évidence, ajusté à son hôte. Pour Xeos, voir le visage de son géniteur vieillir ainsi était un plaisir malsain qu’il consuma sans la moindre gène, puisqu’il ne faisait que confirmer que ses manigances portaient leur fruit; Serenos vieillissait et faiblissait, alors que lui ne cessait de gagner en puissance. Le Traître posa ses mains sur les hanches nues de la sorcière, humant son délicieux parfum, tout en la laissant regarder le miroir.
« Votre clémence ne semble pas avoir été appréciée, ô Melisende. Voyez mon père qui est de retour, pour vous enchaîner à nouveau. Ne vous avais-je prévenu de sa ténacité? Ne vous avais-je prévenu contre votre pitié? Peut-être a-t-il même découvert notre secret, qu’en pensez-vous? Peut-être n’est-il pas là pour vous enchainer, mais faire ce que vous n’avez su faire? »
Xeos ne la provoquait aucunement, car ses mots avaient bien peu de poids. Ce qui lui importait, c’était de réaliser les dessins de son maître et de gagner Melisende à sa cause. Jusqu’à maintenant, elle s’était montrée indécise, voire indifférente à ses propositions, mais il avait l’éternité devant lui pour la convaincre. Entretemps, il se contentait de lui tenir compagnie, de la tenir sur ses gardes et surtout sous sa coupe; Xeos avait un étrange pouvoir, un pouvoir puissant, qui provenait, selon ses dires, de l’être qu’il servait. Lui-même n’en parlait que peu avec Melisende, car la nature de son maître pouvait la mettre particulièrement hostile à l’idée de joindre leurs forces, puisque son maître avait eu des parts dans ce qui avait causé la déviance de Melisende, la colère de ses semblables et surtout son emprisonnement. Évidemment, le Maître n’avait pas jugé bon de garder ce genre de souvenirs chez elle, et l’en lui avait privé, mais avec les stimuli suffisants, tout peut être renversé, à commencer par un sortilège.
Serenos était l’un des derniers êtres vivants de ce monde possédant le sang des Ashanshi, les Anciens comme les appelaient les profanes, et ce uniquement grâce à Melisende qui lui a sauvé la vie. Cette partie-là, sincèrement, même le Maître ne l’avait pas prévue; pourquoi Melisende était-elle allée contre le plan et l’avait-elle sauvé plutôt que de l’achever? Encore aujourd’hui, Xeos ne pouvait que spéculer. Surtout qu’il n’y avait aucune trace de l’enfant qu’ils avaient conçu en paiement pour sa survie. Même Melisende l’ignorait, mais quelque chose laissait Xeos supposer qu’elle s’était servie de la magie justement pour le garder hors de sa propre portée. Que manigançait Mélisende? Quel était son but? Toutes ces questions enrageaient le puissant jeune Érudit autant qu’elles lui donnaient davantage envie de posséder Mélisende, qui ne faisait que lui filer entre les doigts, aussi farouchement indépendante que le vent, et insaisissable que l’air.
« Quoi qu’il en soit, vos esclaves auront raison de lui avant qu’il ne trouve votre repaire. Veuillez m’excuser, mais je dois faire mon rapport à mon maître. »
Révérencieux et courtois, le jeune homme s’inclina devant la maîtresse de l’île et sortit de la pièce.
***
« Tu vas finir dans mon estom… »
Serenos planta une aiguille dans la peau écailleuse de la Lamia, lui coupant la parole. Elle alla protesté, mais soudainement, sa bouche lui tomba, grande ouverte. Ses yeux devinrent soudainement très lourds, tout comme son corps, et elle tomba sur le sol, prise d’une fatigue soudaine et terrassante. Elle émit quelques ronflements suite à sa chute, profondément endormie. L’anesthésique était une puissante drogue fabriquée à partir de la Poussière du Marchand de Sable, une plante relaxante utilisée principalement pour endormir les patients en vive douleur, mais qui avait assez de puissance pour endormir un éléphant en quelques secondes, et pouvaient donc être létale à une telle dose. Heureusement pour elle, les lamias avaient une résistance naturelle aux poisons, et ne risquait donc pas de mourir d’une surdose, et Serenos n’était pas là pour faire un massacre, mais pour trouver Melisende. Il pensa se remettre en route, mais le poison de la Lamia commençait à faire effet, et il tomba contre la queue de la dame-serpent.
« …Bon…sang… » dit-il tres lentement.