La rencontre avec Seiya était un coup très dur pour la rouquine. Elle qui allait déjà mal voilà que le sort semblait s'acharner sur elle. La pire rencontre qu'elle pouvait faire en cet instant. Elle se sentait très mal à l'aise face au jeune homme. Celui-ci n'était pas non plus à l'aise même si sa gêne sembla passer beaucoup plus rapidement que pour la rouquine. En l'observant, elle nota que malgré les cicatrices dues aux combats, il se portait bien, très bien même. Son sourire illuminait son visage. Il resplendissait. La jeune femme ne se doutait aucunement de la supercherie. Le polymorphe imitait son disciple à al perfection. Impossible pour elle, malgré son expérience, de faire la différence. Sans compter qu'elle n'était pas au mieux de sa forme. Elle se sentait un peu comme sonnée avec cette rencontre. Une part d'elle avait envie de s'enfuir, de courir se cacher loin et de ne plus jamais croiser la route de son ancien disciple, mais ce n'était pas possible. Pourtant, elle n'était pas lâche habituellement. Il fallait croire que ces dernières semaines avaient été particulièrement difficiles pour elle psychologiquement. Elle resta cependant là, devant lui, affichant un piteux sourire de circonstance. La réponse à sa question était des plus banales. Elle ne se voyait pas s'épancher sur son épaule. Elle ne l'avait jamais fait avec qui que ce soit. Au final, elle se retrouvait à raconter des banalités alors qu'elle avait horreur de ça.
La jeune femme eut un léger soubresaut alors que le nom de Seika venait dans la conversation et un éclair de douleur passa dans ses yeux bleus océans. Sa sœur était là aussi. Décidément, quand le destin vous haïssait, ce n'était pas à moitié. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux et serra fortement ses poings, enfonçant ses ongles dans sa chair. La douleur physique lui permettait d'évacuer la souffrance psychologique qu'elle éprouvait à cet instant et qui lui vrillait le cœur et l'âme. Il était là avec sa sœur, la sœur qu'elle lui avait ramené. La sœur dont elle avait patiemment retracé le chemin, se mettant dans sa peau, avançant dans ses pas afin de trouver la clé de l'énigme. Et elle avait brillamment réussi. Là où Seiya avait échoué, là où la Fondation Kido avait échoué, elle, elle avait réussi. Usant de sa profonde empathie, elle avait réussie l'exploit de se mettre à la place de Seika et finir par la retrouver. Elle avait ramené Seika au Sanctuaire et l'avait protégé contre les attaques d'Hypnos. Au final, frère et sœur avaient réussi à se retrouver. Mais elle, elle n'avait pas eu cette chance. Son frère, elle l'avait retrouvé mais juste pour le tenir dans ses bras alors qu'il exhalait son dernier soupir. Tôma était mort après avoir affronté Pégase et avoir reçu une flèche d'or en plein cœur. Jamais, ils ne pourraient se promener dans ce genre de festival. Jamais ils ne pourraient rattraper le temps perdu. Jamais !
« Non... Non... je ne... Je ne l'ai pas vu... »
Elle se contenta de hocher la tête concernant l'éloignement du Sanctuaire. Comprenait-elle ? Elle fit oui mais pensait non. La vie du jeune homme semblait idyllique alors que la sienne passait de Charybde en Scylla. Seiya s'adonna à lui donner quelques nouvelles qui ne l'intéressait plus dans le sens où elle n'était plus chevalier. Cependant, son comportement était particulièrement irritant. Il ne cessait de jeter des coups d’œil à droite et à gauche. Il continuait de chercher sa sœur et ne semblait parler à son ancien maître que par obligation. Si Marine n'avait pas encore l'impression de n'être rien, là c'était fait. Le douleur ne fit que s'amplifier en elle. Elle eut soudain envie d'éclater en sanglots et de se mettre à hurler juste pour qu'on la regarde, qu'elle est enfin l'impression d'exister, mais elle ne fit rien. Elle resta là, bras ballants, tête baissée. Il était bien loin le fier et droit chevalier de l'aigle.
Elle tenta de relever la tête. Après tout, ce n'était pas elle qui était en faute. C'était Seiya qui avait tué son frère, mais elle ne pouvait oublier que c'était elle qui avait tout appris à son ancien disciple. C'était un peu comme si c'était elle qui avait tué son propre frère. Les paroles se succédaient, de la pure politesse, rien de réel. Aucune chaleur. Aucune douceur ou tendresse. Rien du tout. Alors que la rousse répondait à une question des plus insignifiantes, une voix mélodieuse se fit alors entendre.
« Seiya ! Ah, te voilà Seiya, je t’avais cherché partout ! »
La jeune femme qui ressemblait étonnamment à la femme chevalier s'approcha du duo. Elle était belle et semblait heureuse, pleine de vie, épanouie. Tout ce que Marine n'était plus depuis longtemps si tant est qu'elle l'ait jamais été. La tendresse filiale des deux jeunes gens était une évidence tout comme leur bonheur. La main sur l'épaule de la rouquine lui fit l'effet d'une brûlure au fer rouge. Elle se dégagea assez brusquement avant de faire face à Seika.
« Oh, Marine ? Quelle surprise ! Est-ce que tu veux rester un peu av… »
Seika fut brutalement interrompue par le chevalier Pégase qui toussa pour tenter d'attirer l'attention de sa sœur. S'il avait cherché à le faire discrètement, c'était raté. Marine comprit à quel point elle les dérangeait, elle le dérangeait. Elle n'était qu'un accident dans leur journée de festivités. Elle ne répondit même pas quand Seiya la salua. Elle les regarda s'éloigner. Ils n'avaient même pas cherché à comprendre pourquoi elle ne répondait pas, elle ne disait rien. Ils s'en moquaient. Il s'en moquait. Elle lui avait tout donné et il l'avait piétiné sans une once de pitié. Plongée dans la foule, la jeune femme se sentait plus seule qu'elle ne l'avait jamais été. Les larmes se mirent à couler pour de bon sur ses joues sans qu'elle ne cherche à les arrêter.
« Ça va mademoiselle ? »
La voix semblait venir d'outre tombe alors que ce n'était qu'un passant qui s'adressait à elle. Marine le regarda sans rien dire pendant un moment avant de se tourner et de s'enfuir en courant. Elle ne savait pas où elle allait mais elle avançait droit devant elle, bousculant les passants, provoquant cris et indignations mais elle n'en avait pas grand chose à faire. Les gens ne faisaient pas attention à elle, pourquoi ferait-elle attention à eux ? Le reste de la journée, elle le passa à déambuler dans les rues de la ville. Parfois en larmes, parfois les yeux rougis mais toujours le regard hagard, perdu. Ses pas finirent par la mener dans un bar à l'allure douteuse mais elle s'en fichait. Elle se rendit dans un coin de la pièce et déposa un de ses précieux billets sur la table.
« Vodka. »
Le barman hocha la tête, encaissant le billet avant de lui apporter le verre. Marine n'avait jamais bu de sa vie. Elle ne connaissait pas grand chose aux alcools si ce n'est quelques noms. Elle avait dit vodka comme elle aurait dit rhum ou bière. Il semblait juste que la vodka était le plus costaud. Elle attrapa le verre et, à la première gorgée, elle eut l'impression qu'on lui passait la trachée au lance-flammes. Elle toussa et provoqua quelques rires mais elle n'en avait rien à foutre. Elle prit une nouvelle gorgée et toussa moins. A la fin du verre, l'alcool commençait déjà à agir, elle sentait moins la brûlure dans sa gorge. Son verre vide, elle reposa un billet sur la table.
« Un autre. »
Le barman ne rechigna pas à prendre le billet et resservir la rouquine. Les verres se succédèrent et la jeune femme sentait les effets se faire sentir. Une certaine forme de bien-être l'envahissait et elle se rendait compte qu'elle se foutait de tout. Elle éclata de rire toute seule, passablement ivre. Un jeune homme vint alors s'asseoir avec elle, sur la banquette miteuse.
« Ben alors ma belle, t'es toute seule ? Mais faut pas boire seule voyons... »
La rousse ne répondit rien, se contentant de redemander un verre. Elle n'aurait plus d'argent pour se loger et se nourrir à ce rythme mais elle s'en moquait éperdument.
« Si tu cherches de la compagnie, je suis là ma belle. »
Pas de réponse, Marine s'intéressait plus à son verre qu'à l'homme près d'elle. Prenant son absence de réponse pour un oui, les mains masculines commencèrent à courir sur le pull et le jeans. Le visage de l'inconnu plongea dans son cou et la rousse était dégoûtée par son contact mais se laissait faire. Au point où elle en était, elle se moquait totalement d'elle-même. Elle n'était plus rien alors que son corps serve à un homme en chaleur, ça ne changerait pas grand chose. Sans quelle le sache alors, l’œuf avait changé, évolué, le visage s'était reformé et pleurait des larmes de sang.