Il y avait une règle à Terra, immuable et éternelle : quand quelqu’un partait, une autre personne venait prendre sa place. Étirez cette règle à l’échelle des villes et des nations, et vous la retrouverez. Quand les elfes avaient été éjectés de Nexus, les humains avaient pris leur place. Et, quand les humains quittaient les villes, ils laissaient derrière eux suffisamment de bordel pour attirer les monstres. C’était le cas de cette petite ville perdue, isolée, retranchée vainement derrière ses murs. De ce que Shaïra savait, le maître local avait perdu la raison, et avait vendu ses filles, ce qui avait déclenché des émeutes. Une guerre civile qui avait viré en épidémie mortelle. Des personnes avaient réussi à s’enfuir, et, d’après ce que la Lamia savait, les rares survivants (enfin, ils ne l’étaient plus, maintenant qu’ils l’avaient croisé) avaient suspecté le Roi d’avoir empoisonné sa propre population, en répandant des maladies dans les puits et dans les soupes populaires que la municipalité avait mis en place après les émeutes. De fait, on voyait encore, le long des rues, des graffitis et des tags se moquant du Roi, et des affiches de propagande vantant l’autorité de ce dernier, qui avait permis de sécuriser la ville contre les brigands et les monstres.
Maintenant que la ville était abandonnée, les cadavres pourrissants avaient attiré les créatures nécrophages, comme les goules. Ces dernières avaient creusé dans le sol, passant par les catacombes, les caves, ou les puits pour venir, la nuit, dévorer les cadavres. Des brigands venaient régulièrement prendre ce qu’il restait encore à prendre. Les dents en or des cadavres, les armes, les ustensiles de cuisine, les vêtements… Et, bien entendu, le château-fort. On disait que le Roi avait extorqué sa population, et qu’il avait vendu à prix d’or ses filles, entreposant dans son coffre une fortune colossale. Simple légende ou réalité, elle avait amené des bandits, des chasseurs de trésor… Mais une cité abandonnée était toujours un endroit dangereux, surtout dans les recoins sauvages des Contrées du Chaos. Outre les goules, il y avait parfois des manticores, descendant des montagnes, ou encore des drakes, sorte de petits dragons ayant du mal à voler, qui venaient depuis la forêt. Peu à peu, la nature reprenait ses droits, et la végétation commençait à envahir la ville. Le marché voyait aussi de l’herbe sauvage pousser.
Cet endroit abandonné était un paradis pour elle. Elle en avait entendu parler en cueillant deux voyageurs près d’une auberge, qui venaient justement de cette ville. Elle avait tué le mâle en le serrant dans sa queue caudale, broyant tous ses os, puis avait violé la mère. Elle l’avait baisé si fort qu’elle en avait fait une hémorragie interne, et était morte contre elle.
*Les humains sont trop faibles… Mais c’est vrai que j’étais en manque…*
Or, une Lamia sexuellement frustrée était toujours potentiellement mortelle pour ses amants. En ce jour Shaïra avait élu domicile dans le fort du Roi. Son cadavre continuait à pourrir quelque part… Elle avait fait de la salle du trône son nid personnel, et avait chassé le cadavre poussiéreux, le balançant en contrebas. Il ne devait plus en rester qu’un tas d’os, maintenant, et elle avait attendu… Des brigands étaient venus assez vite, et elle les avait laissés entrer dans le fort. Il y avait, fort heureusement, plusieurs femmes.
Le château-fort était plutôt grand, mais elle en connaissait tous les recoins. Elle avait attendu que ces idiots se séparent, et avait commencé par capturer les femmes, les ramenant dans sa queue dans la salle du trône, où elle les avait sauvagement baisées, afin de les engrosser. Ensuite, elle avait attaqué les hommes, mais sans les tuer. Elle les avait mordues, répandant en eux un poison extrêmement dangereux, qui ralentissait le système nerveux et le système musculaire, sans tuer la personne. Elle ne ressentait plus la douleur, ne réagissait plus, mais Shaïra pouvait ainsi prélever sur son corps de la viande fraîche et bonne, afin de nourrir les humaines.
C’était un endroit parfait. Discret et éloigné, il n’attirait que des bandes de rôdeurs qui venaient sans en avoir informé d’autres, afin d’être sûrs d’avoir le trésor. Et elle, elle s’en servait pour réapprovisionner son garde-manger, ou pour les fertiliser. Son nid douillet commençait à prendre forme, mais elle commençait à manquer de pondeuses. Hier encore, l’une avait tenté de s’enfuir, et s’était défenestrée. Quant aux autres, elles avaient compris que leur destin n’était plus que d’être des pondeuses, et cherchaient, soit à s’enfuir, soit à mourir. Shaïra avait dû en tuer une, qui ne faisait que des fausses couches, et qui était donc un estomac inutile.
*Il me faut de nouvelles femmes…*
Elle se disait ça en circulant dans la ville. La journée, il y avait peu de monstres, les nécrophages n’appréciant pas les rayonnements ultraviolets. C’était donc pour elle l’occasion de patrouiller, et c’est ainsi qu’elle vit deux beautés parfaites se rapprocher.
*Miracle ! J’ai dit ‘‘TOC’’, et l’Univers a répondu !!*
Shaïra se dissimula dans l’ombre, le long des ruelles, sur les toits, dans les maisons, voyant ces deux beautés, sans aucune protection, s’approcher du château-fort.
Elle les suivit donc, en filant le long de la façade du fort, pour rentrer par une fenêtre brisée, aussi silencieuse qu’un fantôme. Les deux femmes grimpaient le long de marches branlantes, qui craquaient sous leurs pas, et Shaïra n’avait donc aucune difficile à les pister, que ce soit par les bruits qu’elles faisaient, ou par leur doucereuse odeur. Une odeur de chair fraîche, de sexe. Elle sentait son excitation vibrer le long de ses écailles, et se forçait à se calmer.
*Oh oui, des jumelles… Oh, je vais les baiser, les baiser, et encore les baiser !*
Voilà un programme très riche, mais qui correspondait tout à fait aux aspirations de Shaïra. Elle voyait les deux femmes rejoindre les chambres où elle avait entreposé ses pondeuses… Et, quand ces dernières entrèrent dans une chambre, elles purent constater que le lit n’était pas vide.
Il y avait une femme dessus, nue, avec un ventre arrondi, les poignets et les chevilles attachés par des sangles, et qui releva la tête en les voyant. On put voir un éclair d’horreur traverser son regard à l’idée d’être à nouveau l’objet de la Lamia, mais, en voyant deux femmes, ce regard se mua en surprise… Puis elle hurla vite :
« VITE, DÉTACHEZ-MOI, VITE, AVANT QU’ELLE NE REVIENNE !! VITE, VITE !! »
Et, tout en hurlant, on pouvait voir que la femme était en train de pleurer…