Les yeux rivés vers les eaux saumâtres, la sorcière attendait avec une impatience grandissante. Elle fixait la brume qui s’élevait doucement, et frissonna sous la vague de chaleur qui les balaya soudain. Le silence se fit presque totalement autour d’eux. Plus de clapotis, plus de bruit de moustique. Même l’air ne faisait aucun bruit. Les seules activités sonores provenaient de lieux encore plus lointains, éclipsant ainsi ceux du Old Marie qu’elle n’entendait plus. Puis, des sons ténus se firent entendre, s’amplifiant de plus en plus. Une cacophonie que Céleste n’était pas en mesure de comprendre. Elle doutait même que ses oreilles puissent l’écouter sans dommages sans limite de temps. Mais à voir la posture de l’inconnu à ses côtés, ce devait être bon signe. Elle haussa finalement les épaules, et reporta son regard sur les eaux saturées de brume. La luminosité s’intensifia, à tel point que Céleste commençait à plisser les yeux. Son compagnon encapuchonné veilla à sa sécurité, masquant ses paupières pour ne pas qu’elle se grille la rétine. Le contact de sa peau contre la sienne fit frissonner la métisse, la chair de poule faisant se dresser les poils sur ses bras. Il était si froid…
Elle n’eut cependant pas le temps de s’appesantir sur cette sensation étrange qu’un rai de lumière vive, intense, l’aveugla momentanément malgré la main que son compagnon avait posé devant ses yeux pour la protéger. Légèrement désarçonnée, Céleste récupéra assez vite cependant. Son interlocuteur ôta sa main, et elle put admirer la créature apparue devant eux. Un magnifique étalon, irradiant une magie très puissante. Fascinée, la sorcière allait faire un pas en avant quand un geste de l’inconnu l’incita à s’incliner à son tour, comme il le faisait. Elle baissa donc la tête et inclina le buste en avant, jusqu’à ce que le cheval s’ébroue. Comme son compagnon se redressait, la sorcière en fit autant, et fixa ses prunelles d’ébènes sur la majestueuse créature qui se tenait face à eux. Nassmak était apparemment son nom, et étant donné le pouvoir qu’il dégageait, c’était un être puissant et dangereux. Tout ce qui plaisait à l’immortelle. Elle esquissa un sourire en coin, écoutant sagement les paroles de l’homme à capuche. Elle nota par ailleurs l’utilisation du nom d’Arsl’ath Malk, et le rangea soigneusement dans un coin de son esprit. Un démon dans ses contacts pouvait s’avérer être une très bonne chose si l’on savait comment en tirer bénéfice. Ce qui, évidemment, était en plein dans ses cordes.
Quand l’homme, ou le démon selon les récentes avancées de l’histoire, se tourna vers elle, il put trouver la sorcière qui se mordillait la lèvre avec convoitise. Elle avait le regard satisfait d’une chatte en observant Nassmak, mais elle consentit à le détourner vers son compagnon quand l’animal démoniaque s’inclina à son tour.
C’est sans aucune hésitation qu’elle accepta la main de l’homme à capuche, et qu’elle le laissa l’aider à chevaucher la splendide monture toujours inclinée. A peine fut-elle installée que ce dernier se redressa, et elle s’agrippa avec fermeté à la crinière de flamme de l’animal. Elle se sentit comme… Liée. Elle ne ressentait pas de brûlures alors que les flammes semblaient pourtant vivaces. C’était plutôt comme si, tant qu’elle était sur le dos de Nassmak, ces dernières la protégeaient, l’assimilaient. La sorcière rejeta la tête en arrière alors que son esprit s’ouvrait à celui du Seigneur Fugitif, et inversement. Elle partageait les visions de la créature, sans toutefois les comprendre forcément. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites alors qu’il la questionnait, qu’il lui délivrait un flot ininterrompu d’information. Elle était résistante, Céleste, mais même elle ne pouvait supporter autant, et tout d’un coup. Elle sentit son sang, chaud, couler d’une de ses narines, mais elle s’enivrait de la puissance de l’animal. Elle pourrait mourir juste pour ressentir cette sensation merveilleuse et douloureuse à la fois. Les doigts crispés sur la crinière enflammée, elle était comblée.
Son compagnon interrompit cependant tout cela, et même si la sorcière en ressentit une légère déception, elle lui en sut gré. Elle savait que son corps ne pouvait en supporter autant à la fois, qu’il lui faudrait s’y habituer. Elle posa son regard, encore troublé, sur l’homme à capuche, et esquissa un sourire sincère. D’une main leste, elle essuya le sang qui avait coulé de son nez, étalant probablement la substance sur son visage. Mais cela importait peu. Elle avait déjà nombre de bleus et d’entailles plus ou moins guéries. Sans compter la crasse du voyage…
Hochant la tête face aux dernières recommandations de cet inconnu, elle sourit plus largement. Avec un clin d’œil malicieux, elle le remercia chaleureusement, et promit d’accomplir la mission avec célérité et efficacité.
« A bientôt, Présage l’Omniscient. »
Un hochement de tête plus tard, et elle s’adressa à Nassmak, autant mentalement que verbalement, utilisant l’une des nombreuses références cinématographique qu’elle avait acquises venant de la Terre et de ceux qui en avaient foulé le sol.
« Hue, Cannabis, lança-t-elle avec un grand sourire. »
Et Nassmak obtempéra. Elle ferma soigneusement les yeux, s’agrippant avec confiance à l’animal tandis qu’il se déplaçait. Elle lui avait demandé de l’amener au plus près de l’homme qu’elle devait trouver, et de la prise qu’elle devait ramener.
Le trajet fut court, mais il sembla durer longtemps pour la sorcière. Tant de magie, tant de pouvoir… La puissance que dégageait Nassmak était enivrante, et Céleste devait lutter pour ne pas se laisser tenter à ouvrir les yeux. L’animal communiquait avec elle, passant d’un sujet à un autre sans transition, et l’esprit de la brunette était envahie de paroles qui se chevauchaient, qui se télescopaient, d’images qui tentaient de s’imposer à elle. Grisante sensation, mais dangereuse.
La créature lui fit par contre clairement comprendre lorsqu’ils furent arrivés. Ouvrant de nouveau les yeux, la sorcière sourit, et le remercia. Autant mentalement que physiquement, alors que ses mains flattaient l’encolure de Nassmak. Elle glissa souplement de sa monture puissante, et fit quelques pas. Elle ignorait ce qu’elle cherchait, mais son moyen de transport le savait, et une image s’imposa à elle, éclipsant toutes celles qui flottaient dans son esprit.
A présent, elle s’éloigna du cheval, aussi silencieusement qu’à l’accoutumée. Elle pénétra dans la tour inquiétante, franchissant les défenses magique aussi aisément que s’il s’était agi d’un fil tendu devant elle. Elle avait un instinct pour ce genre de chose, et cet instinct lui avait servi un nombre incalculable de fois. Visualisant l’objet de sa venue, elle se laissa guider par la voix de Nassmak qui lui indiquait le lieu de sa présence.
Une fois, elle faillit tomber sur le traître. Elle l’entendait marmonner, repérant plusieurs fois le nom de Présage et d’Arsl’ath Malk. Elle hésita à le supprimer. Mais plusieurs arguments vinrent s’opposer à ce projet. Elle ignorait absolument tout des capacités de cet homme, et elle avait déjà une cible. Elle s’esquiva alors discrètement, et poursuivit son avancée. Elle esquiva plusieurs autres pièges de pouvoir, dont un de justesse. Mais elle ne se fit pas repérer par le traître paranoïaque, et elle se trouva enfin face à son but.
Avec minutie et délicatesse, Céleste laissa sa magie se répandre autour du trésor, masquant aussi bien ses traces que celles qu’elle pourrait laisser. Elle réduisit son fardeau à la taille d’une aiguille, et le glissa dans un carré de tissu protégé avant de le mettre dans son décolleté. Satisfaite, la brune se permit de laisser un petit souvenir au traître, bardant la pièce de pièges indétectables avant de s’esquiver.
Elle ne tarda pas à rejoindre Nassmak. Pourtant, lui qui était resté à l’extérieur de la tour, renâcla quand elle s’approcha. Le temps s’écoulait apparemment différemment à l’intérieur des murs torturés. Elle pensait n’y avoir été que quelques heures, et pourtant, cela faisait plusieurs jours que l’animal l’attendait. Elle le flatta, le remerciant d’avoir attendu, avant de grimper agilement sur son dos avec toute l’expérience conférée par de nombreuses heures de chevauchée.
Elle ressentit une soudaine fatigue, quand ils quittèrent Gral-Salath. Comme si ses nerfs lâchaient soudain. Comme si elle avait été plus que tendue durant sa mission. Elle s’endormit comme une masse, juchée sur la silhouette imposante de Nassmak, fermement agrippée à lui. Elle lui faisait confiance pour la mener à bon port. Par ailleurs, elle était aussi rassurée quant à son trésor, bien à l’abri dans son décolleté. Elle ne se réveilla même pas quand sa monture arriva à destination, l’épuisement lié à la magie et à la tension de sa mission l’ayant plongée dans un lourd sommeil, peuplé des visions de Nassmak, de ses questions perpétuelles et de ses rêves.