Quelle appréciable créature il avait rencontrée là : appréciable était son aspect physique à la plastique souple, harmonieuse et pourtant énergétique et indubitablement solide, appréciable était son attitude faite d’une franchise dépourvue de minauderie qui n’excluait pourtant nullement une mutinerie perceptible, appréciable était son comportement de réserve face à ce qui l’entourait sans pour autant le rejeter… tout cela était positivement aimable en elle, et l’homme-loup immergé dans l’étendue liquide fraîche et calme, y barbotant tout à son aise comme si de rien n’était, la dévorait des yeux sans en avoir trop l’air, tel un chasseur tapi dans des fourrées attendant le bon moment pour se montrer sans vraiment savoir s’il optera pour une convivialité cordiale ou s’il se montrera sans ambages dans toute sa puissance. Quelle simplicité et en même temps quelle grâce dans la posture qu’elle prenait pour s’abreuver, buvant l’eau avec volupté et gratitude envers la nature sans pour autant se jeter étourdiment dessus à la manière d’un assoiffé au milieu d’un désert, se montrant ainsi véritablement louve ! Lorsqu’elle lui répondit avec une intention de badinerie évidente dans la voix, quelque chose dit à son interlocuteur qu’il s’agissait là d’une question rhétorique, et bien que la perspective de ce qu’elle mentionnait faisait redoubler son agitation naissante à la pensée que leur proximité allait monter d’un cran, il fit de son mieux pour n’en rien laisser paraître, se contentant de hocher les épaules comme si cela lui avait été égal, ce qui n’était bien sûr pas le cas, mais en bien des occasions, il fallait tout simplement savoir laisser l’effet se faire sans chercher à brusquer la tournure que pouvaient prendre les évènements en imposant sa volonté.
Et effectivement, l’effet se fit quand d’un bond –et quel beau bond !-, elle alla rejoindre ce qu’elle s’était choisie comme cabine d’essayage improvisée sous le regard toujours aussi insistant de Khral toutefois masqué par le rideau végétal bien qu’il pût percevoir ici et là un mouvement dans le feuillage qui ne faisait que renforcer son excitation. Puis tout à coup, après un temps si court qu’il ne s’y était même pas attendu, la diablesse blanche émergea de son perchoir dans toute sa splendeur sous les yeux ébahis et ravis de son admirateur, aussi peu vêtue qu’à la naissance, pareille à une loutre en pleine forme, impression qui se renforça lorsqu’elle disparût sous les flots avec à peine une éclaboussure pour y évoluer avec une telle agilité qu’on l’aurait crue quelque espèce amphibie extraordinaire à la voir glisser au sein des étendues aquatiques comme sur des coussins d’air sans que le loup-garou pût un seul instant détourner sa vue d’un pareil spectacle : de fait, l’animal en lui était des plus sensible à l’absence de vêtements qu’elle avait choisi d’assumer, et c’était une bonne chose que la relative obscurité ainsi que la turbulence de l’eau pût lui fournir quelque camouflage, sinon elle aurait pu s’apercevoir que certaines parties de son corps étaient particulièrement réactives à la vision du sien. Fasciné, il ne put s’empêcher de reculer instinctivement alors qu’elle se rapprochait de sa position, non pas à cause d’une quelconque crainte qu’il aurait ressentie, mais par un sentiment de déférence instinctive devant cette splendeur à l’apparence humaine mais à l’énergie presque tangiblement bestiale qu’il aurait été aussi criminel de brusquer pour son plaisir que de faire fondre une magnifique sculpture de glace pour étancher sa soif.
Pour autant, lorsqu’elle refit surface et se dirigea vers lui, il ne la laissa pas croire qu’il aurait pu se sentir intimidé et fit de même, si bien qu’ils ne se trouvèrent plus qu’à un mètre et demi de distance à se toiser l’un l’autre : il aurait suffit à l’homme-loup de tendre le bras par la toucher, pour sentir sous ses paumes cette peau vigoureuse et souple, et cette simple pensée suffit à lui donner des frissons alors que ses pupilles se teintaient en arrière-plan de quelque chose de passionné et lubrique résultant de l’atmosphère électrique qui semblait s’être instaurée depuis qu’Ouka avait fait son apparition, et avoir redoublé en intensité depuis qu’elle l’avait rejoint. Cependant, quand la voix de celle dont il mirait les traits avec une insistance presque troublante se fit entendre, cela lui remit un peu les pieds sur terre, et, cessant de se comporter comme s’il avait vu le Saint-Esprit, il se passa une main sur le visage en un geste de réflexion pour se donner une contenance. Bigre, la première question ne lui posait aucune difficulté, mais la seconde était plutôt pointue dans ce qu’elle impliquait : il ne pouvait être sûr de ce qu’elle voulait dire, mais si elle pensait à ce à quoi il pensait, alors elle avait connaissance de Terra –non pas que ce fût étonnant pour un être comme elle en fait-, et sa personne en revêtait par conséquent un intérêt décuplé !
« Je ne vis pas ici non. » Commença-t-il par répondre avec un air détaché, dessinant pensivement des arabesques dépourvues de réel sens dans l’eau du bout de la griffe. « J’y passe juste de temps en temps au détour de l’un ou l’autre voyage… et puis j’ai l’habitude d’évoluer en forêt. »
Cela amenait en quelque sorte le deuxième sujet, et celui auquel il lui serait le moins évident de répondre sans atermoyer étant donné que les portails n’étaient pas un point dont on pouvait discuter à la légère : passer d’un monde à un autre en l’espace de quelques secondes à peine, voilà quelque chose que l’on abordait pas entre le boulot et les enfants ! D’ailleurs, elle-même avait l’air de savoir l’importance qui lui était inhérente à voir à quel point elle était tendue, se tortillant sur place d’une manière si embarrassée, si mignonne, si… désirable qu’il en avait envie de s’avancer, de la prendre contre lui et de…
Hum ! Un peu de tenue ! Saïl était comme irrémédiablement laissé de côté maintenant qu’Ouka était aussi proche, mais ce n’était pas une raison pour agir comme un loupiot en rut, que diable ! Il savait faire preuve de maîtrise de soi, se montrer obligeant, délicat et poli, et s’il ne voulait pas avoir l’air d’un rustre de la pire espèce aux yeux de cette demoiselle toute faite de charme animal, ce n’était pas le moment de se mettre à baver devant elle, mais plutôt de lui apporter le plus d’informations qu’il lui était possible afin de la rassurer, elle qui semblait si nerveuse. Dans cette optique, il s’approcha d’elle sans précipitation de façon à lui montrer qu’il ne lui voulait aucun mal, et leva doucement les mains pour lui enserrer délicatement le visage entre ses considérables pattes, devant lutter pour ne pas tressaillir à toucher cette peau si attirante et si plaisante à sentir, avant de se pencher vers elle jusqu’à ce que leurs fronts se touchassent, de sorte que leurs yeux n’étaient plus qu’à quelques infimes centimètres l’un de l’autre, chacun ayant ainsi tout le loisir de contempler les iris de l’autre, ce que Khral ne se priva pas de faire alors qu’il reprenait la parole :
« Je ne vous prends pas pour une folle. » Son ton était dépourvu de toute agressivité, résonnant d’une bienveillance et d’une assurance presque lénifiantes. « Il existe bien des « passages », mais moi-même, bien que je connaisse leur existence, je n’ai pu jusqu’ici connaître leur fonctionnement : ils sont comme les trous d’une taupe, apparaissant et disparaissant tels des nuages sous l’effet d’un vent invisible. »
Achevant sur ces mots, il prit une posture moins directe qu’il espérait ainsi moins potentiellement intimidante, et se redressa, laissant au passage glisser ses mains le long des joues d’Ouka pour les poser sur ses épaules en une attitude protectrice, sans appuyer, sans forcer, la laissant réagir en toute liberté.