L'assassin ne comprenait pas comment elle avait pu se libérer de la poupée d'ombre, mais il n'avait pas le temps de réfléchir. Peut-être la vue de son buste dénudé avait fait fléchir sa concentration un instant, il avait frappé sans réfléchir, par un genre de pulsion qu'il redoutait car c'est l'une des rares choses qu'il ne maîtrisait pas.
Il ne s'affola pas lorsqu'elle disparut dans l'ombre avec sa faux ; il restait de la lumière, chaque ombre était sienne et le renseignait sur la position de Piastol aussi sûrement que s'il la suivait sur une caméra. Mais il n'avait pas prévu que la lumière disparaisse.
Les Shikaku utilisait l'ombre de mille façons, mais la lumière était nécessaire. C'est elle qui créait les ombres, et multiplier les éclairages n'y faisait rien : il restait toujours une ombre. C'était là une grande partie de ce qui en faisait les assassins les plus efficaces. Pour leur échapper, il aurait fallu rester dans une pièce sans lumière pour l'éternité, ce à quoi aucun être ne pouvait se résoudre.
Dans les ténèbres, il n'y a plus d'ombre : juste les ténèbres.
En s'éteignant, la torche avait privé Milan d'un sens aussi bien que si on lui avait crevé les yeux ou percé les tympans. Les ombres avaient juste pu lui souffler, avant de mourir, que Piastol et sa poitrine bondissante allaient revenir le frapper. Il ne savait qu'une chose sur l'attaque à venir : elle viserait un point vital. Son assaillant était un assassin, et comme lui, ne connaissait pas d'autre façon d'attaquer. Tête, carotide, coeur, artère radiale ou fémorale ; ça ne pouvait être qu'un de ces points.
Il ne bougea pas d'un pouce, se contentant d'une brève pression sur la Hakujin, qui devint presque liquide, se répandant à son maximum le long du corps de Milan, avant de durcir pour couvrir les points vitaux.
Il ferma les yeux et attendit le coup.
Le monde vibra un instant, puissamment, et des couleurs sang et or passérent sous les paupières de Milan. Il ne s'était pas trompé, le coup l'avait pris à la gorge, et sans l'écharpe métallique de l'Hakujin sa tête aurait probablement roulé dans un coin de la pièce à présent.
Il rouvrit les yeux, groggy, à quatre pattes dans le noir. Il eut tout juste la force de faire reprendre à la Hakujin la taille d'un court katana, et roula silencieusement dans un coin de la pièce. Il se demanda si Piastol, elle, voyait quelque chose, et il arrêta sa respiration, aux aguets.