Les
Black Eyed Peas dans les oreilles, Amélie avait la main cramponnée à la barre du bus, et sortit quand les portes s’ouvrirent, la larguant à l’arrêt qu’elle recherchait. C’était une petite place dans le Quartier de la Toussaint, un square avec une fontaine au centre qui, disait-on, portait bonheur. Amélie aurait peut-être pu s’intéresser à l’histoire de cette fontaine, mais, pour l’heure, ses motivations étaient bien différentes, et n’avaient pas grand-chose à voir avec le patrimoine culturel de la ville... Sauf si on supposait que la drogue faisait partie intégrante du patrimoine culturel de n’importe quelle ville suffisamment grande pour contenir des trafiquants. Dans le fond, si on tenait compte de la crasse, de la misère, et des saloperies, Paris était bien loin de la ville-modèle qu’elle prétendait être, et il n’y avait aucune raison pour que Seikusu soit différente. Amélie, qui vivait ici depuis maintenant quelques mois, était bien placée pour le savoir. Cette ville était
laide, autant que Paris. On y rencontrait les mêmes animaux, les mêmes enfoirés, les mêmes salopards qui profitaient de la misère pour s’enrichir, qui chiaient sur la gueule des pauvres, et se moquaient d’eux derrière leurs sourires hypocrites et leurs cols blanc bien roulés. Bien sûr, il y avait toutes les petites frappes, les dealers, les petits caïds régnant sur leur ruelle pourrie, les brutes épaisses qui vous rackettaient, mais ils n’étaient que de la petite monnaie devant les
vrais salauds... Les financiers, les politiques, les pourris et les corrompus qui, tout en prétendant défendre les honnêtes gens, s’enrichissaient grassement sur leur dos. Amélie n’avait que du mépris pour eux.
Elle quitta la place de la fontaine, la capuche de sa veste rabattue sur sa tête, et laissa les Black Eyed Peas céder leur position à un artiste francophone, dont le morceau était en harmonie avec son état d’humeur :
Stromae et Orelsan disant à ces enfoirés d’aller se faire... Et Amélie n’en pensait pas mieux. En gros, elle n’était pas d’humeur, car elle était en
manque. Elle avait réussi à obtenir de l’argent auprès de Zetsu, et était allé voir leur fournisseur. Zet’ avait eu la sagesse d’esprit de ne rien dire. Il n’aimait pas ça... Qu’Amélie devienne une junkie, qu’elle sombre peu à peu dans la dépression. Amélie continuait à marcher, s’enfonçant dans des ruelles sombres, bien moins animées que les rues du centre-ville, où on trouvait de tout. Elle avançait rapidement, sachant où elle devait se rendre, tenant dans sa poche ses billets.
*
J’approche...*
Coupant Stromae, Amélie rangea rapidement son baladeur, et fila sur la gauche, dans une ruelle, une impasse avec des poubelles longeant un petit restaurant de quartier. Le restaurant servait de refuge à des Yakuzas, et c’était avec eux qu’Amélie comptait faire affaire. Ce n’était pas la première fois qu’elle venait, et ils vendaient du LSD, ce dont elle avait bien besoin en ce moment. La drogue lui manquait, et, avec l’abstinence, venait les cauchemars, qui l’empêchaient de dormir, et la rendaient irritable. Amélie remonta le long de la rue, et tapa à une porte verte. La porte s’ouvrit rapidement sur un Japonais en débardeur, un Yakuza avec des tatouages, une barbe mal rasée, et des lunettes de soleil glissant le long de son nez.
«
Qu’est-ce que tu veux, gaijin ? »
C’était un Guramu, l’un des plus puissants clans de la ville. Amélie avait toujours la capuche sur sa tête, et fit signe qu’elle voulait se piquer. Le Yakuza hocha lentement la tête.
«
Tu connais les tarifs, gaijin ? »
Elle hocha encore la tête, et l’homme fuma à nouveau, balançant une bouffée de cigarette sur ses yeux.
«
Retire ta capuche... »
Amélie obtempéra, restant toujours silencieuse. Il regarda ses yeux, et eut la conviction qu’elle n’était pas une flic. Il se retourna, parlant à un complice. Amélie entendit du bruit, et fit bien attention à ne pas jeter un coup d’œil. La police de Seikusu avait juré de mettre un terme à l’activité des gangs, notamment des Yakuzas et du trafic de drogues. Les Guramu étaient plutôt nerveux, car ils étaient au cœur de ce trafic.
Quelques instants plus tard, elle vit plusieurs seringues, et elle tendit ses billets, tout froissés. Le Yakuza les prit, puis elle attrapa rapidement les seringues, les enfouissant dans la poche de sa veste, et l’homme la regarda en grognant.
«
Qu’est-ce que t’attends ? Fous le camp, sale pute ! »
Amélie n’avait quasiment rien dit, et s’écarta, partagée entre la honte, la peur... Et un plaisir instinctif en voyant ces seringues, un plaisir qui était encore plus terrible, en lui nouant l’estomac. Elle marcha rapidement, sortant de la ruelle... Et vit une voiture noire, une berline, remonter rapidement la rue, et s’arrêta devant le restaurant, en double file. Amélie cligna des yeux, et vit une autre voiture approcher, libérant des hommes armés d’Uzis et de pistolets, qui entrèrent dans le restaurant. Elle entendit alors des coups de feu, et écarquilla les yeux. Elle venait d’assister à une guerre des gangs, et entendit alors de coups de feu venant de l’impasse.
La porte métallique s’ouvrit en grand, et elle vit le Yakuza qu’elle avait aperçu tantôt se mettre à courir, se tenant le flanc. Du sang coulait de son débardeur blanc, et il tenait dans la main un pistolet. Blessé, il haletait, de la sueur coulant le long de ses muscles saillants. Il se retourna, faisant feu au jugé. Une balle atteignit la porte, provoquant un écho assourdissant qui amena Amélie à hurler en posant ses mains sur ses oreilles. Dans le dos de l’homme, un tueur débarqua, portant entre ses mains gantées un fusil à pompe à canon scié, et fit feu. Ce fut comme si un éclair venait de rugir dans la ruelle. Amélie vit le haut de la tête du Yakuza se transformer en une bouillie rouge. Son corps tomba lourdement sur le sol, et l’un de ses yeux rebondit sur le sol, atterrissant à quelques mètres d’Amélie. Muette, cette dernière vit cet œil, flottant dans son sang, qui la regardait. Elle vit alors le tueur la regarder, puis vit la gueule noire du fusil à canon scié.
*
BARRE-TOI !!* hurla une voix dans sa tête.
Rien à faire, ses jambes étaient comme tétanisées. La bouche entrouverte, incapable de pleurer, comme en état de choc, Amélie voyait le canon noir de cette arme... L’homme appuya sur la gâchette.
Clic.
L’arme était vide, et ce fut ce petit bruit qui réveilla Amélie. Elle vit le canon s’ouvrir en deux, l’homme glissant rapidement sa main dans sa poche pour attraper des chevrotines.
*
MERDE, FOUS. LE. CAMP !!!*
Cette fois, Amélie obtempéra, et se mit à courir, tandis que, dans son dos, le mystérieux tueur hurlait. D’autres hommes sortirent du restaurant, et la canardèrent avec un Uzi. Amélie hurla en sentant les balles pleuvoir autour d’elle, et courut à droite, filant dans une petite rue piétonne, avec un escalier. Sa main gauche glissa sur la rampe, et elle sauta les cinq dernières marches, continuant à courir, entendant les tueurs se dépêcher.
Amélie courait sans se poser plus de questions, et fila sur une autre ruelle, menant vers la rue... Où elle heurta alors un homme.
«
Ugh ! »
Amélie tomba sur les fesses. Au loin, les tueurs venaient d’entrer dans une de leurs voitures, et s’élancèrent à la poursuite de ce témoin inattendu et gênant.