Échos [Sentinel Prime]

Noir. Sensation de malaise, d’être transportée, de ne pas pouvoir contrôler son environnement. Les lueurs, parfois, l’aveuglaient, au milieu de visages indistincts et stériles qui l’observaient. Peur, incompréhension. Les mots venaient dans tes oreilles et en ressortaient, tandis que tu plongeais dans le noir et en ressortait. Les machines clignotaient, émettant des bruits stridents, agressifs. Tu te voyais tourner la tête, légèrement, voyant des blouses blanches, des portes closes, des murs froids et gris, ternes et sinistres. Tes mains ? Tu ne les sentais plus, tout comme le reste de ton corps. Ta vision était flouée, tu t’absentais, filant dans les limbes de l’inconscient. Non, avais-tu envie de dire... Que me voulez-vous ? Que me faites-vous ? Mais rien n’arrivait à sortir de tes lèvres... Ou alors, tu ne l’entendais pas. Tes oreilles te donnaient l’impression d’être noyées derrière des voiles rendant impossible d’entendre quoi que ce soit. On te traînait, et tu voyais des fils électriques filer le long du plafond, formant comme de longs serpents rouillés te défiant. Rien à faire, et tu avais peur. Tu te débattais, jusqu’à arriver dans une salle.

Il y avait des instruments partout, des gens qui parlaient entre eux, te montrant leur dos. L’un d’eux se rapprocha de toi, et tu vis, par tes yeux effrayés, une seringue hypodermique apparaître dans sa main gantée. Elle se rapprochait de ton cou, comme le dard d’une guêpe prêt à te répandre son venin dans le corps... Tu te débattais, tirant vainement sur tes sangles., essayant d’écarter ta tête. Il n’y avait rien à faire. La seringue s’enfonça dfans ta nuque, et le poison se répandit, te faisant hurler.


« NOOOOOOOOOOOOOOONNN !! »

Le hurlement rugit dans tout le studio quand Carol se releva d’un coup, en nage. Ce qui l’avait réveillé était le son strident du tramway, faisant trembler les murs frêles de son studio. Elle se releva, sortant de son lit, et se mit à marcher, rejoignant rapidement sa petite salle de bains, et se regarda dans le miroir. Son pouls battait follement dans sa poitrine, et elle fit tourner l’eau du robinet, s’aspergeant le visage d’eau fraîche. Elle avait terriblement chaud, sans pouvoir se l’expliquer, et elle haletait.

*Qu’est-ce qui t’arrive, Carol ?! se demandait-elle en s’observant devant le miroir. Est-ce que tu es en train de perdre la raison ?*

Le même cauchemar, en boucle et en boucle, revenant fréquemment depuis plusieurs jours... Chacun des agents opérationnels du SHIELD dotés de capacités paranormales voyaient souvent un psychiatre. Carol savait que son dossier psychologique était suivi, que ce soit à cause de ses problèmes d’alcool, ou ses antécédents avec l’armée... Et, pour ne rien arranger, voilà qu’elle était en train de cauchemarder sur quelque chose... Quelque chose qu’elle ne s’expliquait pas, mais qui était pourtant bien là. À chaque fois, elle se revoyait dans ce couloir noir, le corps sanglé, les bras et les jambes attachés. Elle avait beau tenté de se débattre, elle n’y arrivait pas, et elle revoyait l’homme avec cette seringue... Que signifiait ce rêve ? Comment l’interpréter ? Miss Marvel ne savait vraiment pas quoi en penser

Elle se regarda à nouveau devant le miroir, et soupira.

*Il faut que je me trouve un nouveau taf’...*

Elle avait officiellement démissionné du boulot qu’elle faisait depuis qu’elle était à Seikusu : caissière dans une petite épicerie de quartier. Son patron était un raciste obèse, misogyne et xénophobe, qui était actuellement en procès contre une ancienne employée l’accusant de harcèlement sexuel. Il vomissait sur Carol autant qu’il avait envie de se la faire, la sous-payant. Avant que Rachel ne la retrouve, et qu’elle ne se décide à retourner au service du SHIELD, Rachel peinait à boucler ses fins de mois. Maintenant, l’argent commençait à s’accumuler dans son compte en banque, et elle envisageait très sérieusement de déménager, de quitter ce studio pourri pour un bel appartement au cœur de la ville... Ou près de la plage. Cependant, Carol ne voulait pas que travailler pour le SHIELD. L’armée l’avait déjà trahi une fois, et elle ne tenait pas à refaire cette même erreur.

Carol avait vu la brochure en allant à l’agence de Seikusu se chargeant de l’emploi. Elle y avait trouvé un papier parlant d’une offre d’emploi dans un aérodrome privé, et le nom lui avait rappelé de lointains souvenirs. Le passé revenait la voir, et elle était convaincue que les visions qu’elle avait étaient des réminiscences... Il ne pouvait clairement pas s’agir d’un cauchemar issu de ses phobies.

« Il faut que tu te calmes, Carol, se disait-elle, parlant à elle-même. Ces rêves finiront bien par partir... »

C’est ce qu’elle espérait... Mais pas uniquement. Carol se retourna, délaissant sa salle de bains, et fila dans son lit, l’esprit embrumé par des pensées contradictoires. D’un côté, elle voudrait bien retrouver un cycle nocturne paisible, mais, de l’autre, elle voulait aussi réussir à mieux comprendre ces rêves... Car elle avait le sentiment que ces rêves voulaient dire quelque chose... Mais quoi ?

*Je deviens folle...*

Le pire, c’est que c’était demain qu’elle avait rendez-vous à l’aérodrome… Ou ce matin, plutôt.


Macross Air... C’était le nom d’un aéroport privé situé près de Seikusu, dans la grande forêt entourant cette dernière. Un aéroport privé avec des petites pistes, le genre d’endroits que les gens allaient voir pour faire leurs baptêmes de l’air, ou se lancer dans des sauts en parachute. Et Macross... Ce nom lui avait dit quelque chose, et les souvenirs avaient afflué tandis que le conseiller chargé de l’aider à trouver un emploi lui expliquait calmement toutes les démarches à faire et les entreprises les plus susceptibles de correspondre à son profil.

Avant d’être Miss Marvel, une super-héroïne super-sexy capable d’absorber l’énergie et de voler à une vitesse supersonique, Carol avait été une pilote de l’US Navy... Une pilote douée, suffisamment talentueuse pour piloter les prototypes expérimentaux de l’armée, notamment ceux faits par Stark Industries. On ne devenait cependant pas pilote sans formation, et son entraînement avait été fait dans l’une des meilleures écoles d’aviation de l’armée américaine, l’United States Navy Figher Weapons School... Plus connue sous l’appellation « Top Gun ». Une école mondialement connue depuis le fameux film avec Tom Cruise, un film qui avait bercé l’enfance de Carol. Les avions l’avaient toujours passionné depuis son enfance, et il suffisait parfois de peu de choses pour ça... Les enfants étaient tellement manipulables.

Elle avait été à Top Gun, et elle s’en était bien sortie... Si bien que l’US Navy l’avait accepté sans trop de difficultés. Et, pendant ces quelques années de formation, elle avait rencontré différentes personnes... Dont Kyle Macross. Le retrouver ici tenait du prodige, mais Carol était depuis longtemps convaincue que Seikusu devait exercer une sorte de magnétisme mondial amenant tous les individus de la planète à finir par s’y retrouver.

Pour l’occasion, Carol avait enfilé un costume sobre et élégant à rayures, nouant ses longs cheveux en queue de cheval. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas très habituée à une telle tenue... Elle avait l’habitude des débardeurs, des treillis, ou de sa combinaison moulante. Cependant, il valait mieux faire bonne impression pour la première fois. Même si elle pouvait désormais voler par elle-même, elle devait bien admettre que se retrouver dans le cockpit d’un avion la démangeait... L’aviation, ça avait toujours été sa grande passion.

Il ne restait plus qu’à espérer qu’elle n’avait pas trop perdu en cours de route. Sa voiture filait le long de la route menant à l’aérodrome, partant à la rencontre de son passé... Pour le meilleur et pour le pire.

Macross Air était, à la vérité, un aéroport civil des plus acceptables. Le terrain acheté pour une bouchée de pain à l'époque comportait assez d'espace pour accueillir quatre pistes d'envol dont l'arrivée se faisait entre huit immenses hangars alignés quatre par quatre, de chaque côté du domaine délimité par de hautes barrières surmontées d'une couronne de fils barbelés. La plupart des hangars étaient aujourd'hui fermés (mais utilisés comme garages de location pour de petits appareils extérieurs à l'aéroport, ce qui faisait toujours une rentrée d'argent) et seuls trois étaient véritablement actifs : un pour l'hélicoptère qui servait aux baptêmes et autres visites de la région par les airs, un autre pour un avion destiné parfois à être réservé pour des cours d'aéronautique et plus souvent pour d'autres baptêmes, pour peu qu'on préféra deux ailes à un rotor. Le dernier n'avait rien d'officiel et abritait un avion qui n'avait rien à faire sur ce genre de petit aéroport; un F14 Tomcat désarmé que Kyle était parvenu à récupérer par un vieux contact de l'armée. Arrivé à l'état de quasi-carcasse, le F14 avait entièrement été remis en état par le personnel de Macross Air sur son temps libre et ce sur plusieurs années. Aujourd'hui capable de voler de nouveau (théoriquement, puisque les tests n'avaient pas encore été décidés), il faisait office de trésor pour ceux et celles qui l'avaient ramenés à la vie.

Si les pistes et les hangars ne comptaient plus aujourd'hui que peu de monde, c'était tout aussi vrai pour le bâtiment administratif qui vous recevait dès lors que vous passiez le lourd portail automatique du site. Sur trois étages, cet élégant bâtiment de verre et d'acier n'en comptait que deux pour les affaires, le dernier ayant été aménagé pour laisser les Macross y vivre tranquillement. Beaucoup de bureaux étaient à présent vides et Janet (qui dirigeait l'aéroport) avait installé le sien non loin de l'entrée. Ne restait qu'une secrétaire aujourd'hui en congé et Timothy, le benjamin de la famille, pour bosser dans les locaux désespérément vides. La crise économique avait fait du mal à tout le monde, après tout... Et même quelqu'un comme Janet ne pouvait se battre contre l'économie mondiale. Elle parvenait néanmoins à tenir l'entreprise à flots, bien que ce fut chaque mois un peu plus périlleux que le précédent.

Et pourtant, il lui avait fallut embaucher. Cela n'était pas de son goût ni de celui de son frère, qui lorgnait son discret mais joli décolleté tout en lui parlant.

- Je croyais qu'on avait pas le pognon pour embaucher.

- J'ai besoin d'un pilote, génie. Sinon, mêmes les survols touristiques de la ville et de la région vont nous passer sous le nez et on foutra la clé sous la porte à vitesse grand V. Je te rappelle que tu ne veux pas piloter, Kyle.
 
- Tout ce que j'ai dis, c'est que jouer les guides aériens avec ces gros cons de touristes ne me faisait pas bander.

Janet soupira en levant les yeux vers le plafond, toute disposée à envoyer son frère Kyle au Diable. Elle n'en fit rien et préféra s'enfoncer dans son fauteuil, tapotant de ses ongles manucurés sur son clavier d'ordinateur. Le frère et la soeur, ces derniers temps, avaient du mal à s'entendre quand ils parlaient de la gestion de Macross Air. Janet se serait bien passée d'une embauche qui allait alourdir les charges et faire fondre encore un peu plus le maigre capital du petit aéroport, mais Kyle n'était pas disposé à "s'abaisser" à piloter pour le civil. Lui préférait visiblement réparer les engins volants quand il ne fricottait pas avec la mécano. Kyle était paumé, Janet le savait. Et récupérer le scarabée ne lui avait certainement ouvert une nouvelle vocation qui l'aurait remit sur les rails... Elle s'en sentait mal, parfois. Du talent de gâché, d'après la directrice de l'aéroport. Et voir son frère dans cet état d'errance n'était pas davantage pour lui plaire.
Toujours était-il qu'il fallait penser à faire tourner la baraque, si ils voulaient pouvoir nourrir la famille et payer les derniers employés. C'était donc après de longues reflexions que Janet avait daigné s'ouvrir au recrutement d'un pilote, en espérant qu'il soit prêt à voler pour un salaire somme toute assez modeste. Du moins le temps que les affaires n'aillent mieux.
 
- Reste pour l'entretien, au moins. Je veux ton avis, parce que je n'ai pas envie de m'apercevoir trop tard que l'agence pour l'emploi nous a refilé un incapable qui n'a jamais volé que sur Ace Combat.

- Okay, céda Kyle. Si je peux t'inviter ce soir à bouffer.

Janet esquissa un sourire. Elle et son frère n'avaient pas flirté depuis très longtemps, maintenant. Bien qu'ils se considéraient tous deux trop adultes à présent pour prétendre que coucher ensemble serait une bête erreur après un verre de trop, l'idée qu'il tente de la séduire "comme avant" le temps d'un dîner lui faisait plaisir. Elle avait besoin de se changer les idées et, lorsque le sujet Macross Air était mis de côté entre eux, ils étaient toujours aussi complices.
Aussi attendirent-ils l'arrivée du postulant à l'annonce en réglant quelques détails quant au contrat et aux questions à poser pour bien cerner le candidat. Janet vérifiait dans le même temps son très seyant tailleur, ajustant dans la foulée la chemise un peu froissée de son frère.

- Il va falloir passer au lycée, au fait. Janet soupira.

- Pourquoi ?

- Cassandra est insupportable, il paraît. Ils menacent de la virer.

- J'irai. Et dès que je lui mets la main dessus, je la recadre.

- Si c'est comme la dernière fois, la "recadrer" en vous finissant au saké pour dormir dans l'hélico... T'es nul quand tu fais le papa. Elle grimaça. Enfin, le grand frère.

- Pour sûr. Je suis meilleur dans le rôle de l'amant.

Comme pour joindre le geste à la parole, sa main glissa sur la hanche de Janet et s'arrêta sur une de ses fesses. Kyle en fut quitte pour une petite gifle, qui sembla l'amuser plus qu'autre chose. Toutefois, sa main préféra aller se réfugier dans l'une des poches de son jean's délavé et déchiré.

- Ne plaisante pas avec ça, Kyle. J'ai besoin de toi pour tenir la famille et l'aéroport, pas pour que tu me sortes le numéro du lourd graveleux. Si je veux m'envoyer en l'air, je sais très bien qui aller voir.

Janet n'était pas tout à fait franche. Elle ressentait pour son frère une attirance plus que fraternelle et complice et Kyle ne l'ignorait pas. Leur penchant depuis longtemps consommé, les jumeaux avaient convenu de se tenir à carreaux dans l'intérêt de leur frère et de leur soeur et dans celui de l'affaire familiale. Si elle repoussait les avances de Kyle, ce n'était pas par conviction mais pour éviter que cela ne finisse par trop empiéter sur leur vie déjà un peu compliqué. Mais le soir, quand elle le croisait sous la douche, Janet admettait que sa volonté flanchait aisément. Néanmoins, au bureau, rien ne savait la détourner de son poste et de son devoir.
De plus, elle entendait déjà une voiture se garer sur le parking non loin de sa fenêtre, signe que d'éventuelles réjouissances n'auraient pas le temps d'être ici fêtées.

Carol arrêta sa voiture sur un parking devant le bâtiment central, une petite structure métallique se dressant au milieu de plusieurs pistes et de hangars. La jeune femme ignorait que l’aérodrome était dans une situation financière difficile, mais elle n’en aurait pas été surprise. L’entretien d’avions et d’hélicoptères était extrêmement onéreux, et, pour compenser ça, il fallait forcément mettre des prix assez élevés pour permettre à de jeunes bambins de pouvoir voyager dans le ciel... La tâche était d’autant plus difficile que le Japon, depuis les années 1990’s, n’était jamais vraiment sorti de la crise économique, un peu à l’image des États occidentaux. Il suffisait de voir la valeur monétaire du yen pour s’en convaincre. Carol sortit de la voiture, n’en voyant aucune autre sur le parking des visiteurs. L’endroit semblait totalement désert, comme si elle venait de débarquer dans une base-fantôme. Elle se demanda même, furtivement, si elle n’était pas dans un film d’horreur, si cette annonce n’était pas celle d’un psychopathe tueur en série qui comptait la découper en rondelles dans un hangar. Peut-être qu’en allant les ouvrir, elle verrait une succession de corps pendus au plafond par leurs propres intestins à des crochets de boucher ? L’image parvint à arracher sur ses lèvres un sourire amusé, et elle s’avança vers l’entrée.

Outre son costume, Carol arborait fièrement des Ray Ban Aviator en traversant le parking. Une porte l’amena dans la salle d’accueil, avec une rangée de sièges et un bureau. Il y avait un distributeur de boissons dans le coin... Et personne. Elle regarda autour d’elle, sans voir qui que ce soit, et s’approcha du comptoir, s’attendant presque à trouver, comme dans ces vieux films d’hôtel en campagne, un petit bouton permettant de déclencher une sonnerie.

« Euh... Allô ?! »

Est-ce qu’on lui avait fait un canular douteux ? Pourtant, Macross Air n’avait pas l’air d’être un hoax. Elle regarda autour d’elle, et entendit alors du bruit venant d’une salle latérale. Un gamin hirsute débarqua ensuite, et Carol retira ses lunettes, par question de politesse. Le jeune homme lui expliqua s’appeler Timothy, et voulut s’assurer de son identité. Sans rien dire, mais surprise par le fait qu’un adolescent soit en train de s’occuper de l’accueil plutôt que d’être au lycée, Carol tendit sa carte d’identité. Le regard du garçon semblait avoir du mal à rester en place, oscillant entre la photographie, le visage de Carol, et ses seins. Assez rapidement, elle sentit le garçon introverti qui devait avoir du mal avec les filles. Elle aurait été jusqu’à soutenir le cliché du passionné de mécanique se plongeant dans un monde fait de machines et de mathématiques, compliquant encore plus le fait de devoir sortir avec des filles... Même si Carol avait tendance à croire que les filles du 21^ème siècle devaient être un peu plus sensibles à l’informatique, aux jeux vidéos, et aux gadgets robotiques, que celles du siècle dernier. Timothy lui expliqua qu’elle était attendue à côté, et elle le remercia par un sourire éblouissant, puis s’avança. Avec sa queue-de-cheval, elle faisait beaucoup plus jeune.

À l’armée, elle avait pris l’habitude de les nouer en une longue tresse, ou de les conserver ainsi. Le fait qu’elle soit dans l’US Navy lui avait permis d’éviter de les couper, mais elle savait que l’armée n’aimait pas les femmes avec de trop longs cheveux. Carol n’en avait jamais vraiment su l’explication... Le machisme inhérent à l’armée, sans aucun doute. Elle se dirigea vers la porte menant au bureau de la femme, et toqua à cette dernière, puis l’ouvrit.

Dans sa tête, elle se demandait si Kyle se souvenait d’elle. À l’académie, elle était plutôt refermée sur elle-même, passionnée par son avion, et ayant des appréhensions à l’égard des hommes, qui voyaient en elle, soit une incompétente blonde incapable de faire quoi que ce soit de ses dix doigts, soit une pin-up envoyée pour leur remonter le moral.

*Et bien... Je suppose que je serais fixée sous peu.*

Au moins, elle leur avait envoyé son CV avant de venir ici, ce qui était toujours ça de pris.

Timothy prenait son travail de secrétaire à coeur. Il adorait donner un coup de main à Janet lorsqu'il le pouvait, quitte à mettre ses propres obligations lycéennes de côté pour jouer les petites mains dans les bureaux de Macross Air. Sa soeur aînée s'en plaignait, lui reprochant de ne pas penser à l'avenir et tout et tout, sans jamais parvenir à le chasser pour de bon. Cette aide, l'administration de l'aéroport en avait bien besoin. Et le gamin faisait de mieux en mieux son boulot, ce qui n'était pour rien gâcher. Une fois que Carol l'eut dépassé, Timothy fila dans le petit bureau que Janet lui avait donné et, très pro, avait contacté cette dernière pour lui signaler l'arrivée de la postulante.
Kyle et Janet arrêtèrent donc leurs conversations privées et le grand sujet de "où est-ce qu'on va manger ce soir" s'évapora dans l'air quand la blonde en costume à rayures passa la porte. Janet se leva de son siège pour aller à sa rencontre en lui offrant un sourire des plus polis, son frère se contentant de froncer un peu les sourcils en la détaillant de haut en bas tandis qu'il tirait sur la clope qui s'était allumée dans la foulée. Kyle ne fut pas long à comprendre qu'il connaissait l'inconnue, bien que quelques dizaines de secondes furent nécessaires à la remettre tout à fait. Plutôt que de la saluer et tandis que Janet l'introduisait en se présentant et lui servant les mondanités d'usage ainsi qu'un siège, Kyle se saisit du CV et acheva de s'assurer qu'il avait bien en face d'elle Carol Danvers.
Voir quelqu'un de Top Gun ici, à Macross Air, était une chose étrange.

- Commençons par vos références M^elle Danvers, entama Janet en cherchant le CV.

- Elles sont très bonnes, ses références, Janet. Je peux t'assurer que les lignes quant à sa formation militaire sont des plus véridiques et je ne doute pas trop du reste. Comment va, Danvers ?

Janet regarda son frère en haussant un sourcil interrogateur, pendant que Kyle adressait à Carol une parodie de salut militaire assortie d'un sourire. Toutefois, c'est en lui tendant la main qu'il lui souhaita le bonjour pour de bon. Kyle n'avait plus de peine à se souvenir de Carol. Comme beaucoup d'autres, il avait lorgné sur le cul et les seins lourds de la blonde lors de ses classes à Top Gun (une femme comme ça avait de quoi intéresser tout ce qui était en âge de copuler, à l'armée autant qu'ailleurs) et n'avait pas oublié tout à fait ses résultats non plus. Pas qu'il en ait eu le détail en tête, mais Kyle se souvenait qu'elle le dépassait d'un cran. Son égo de mâle en avait souffert un peu à l'époque, bien que cette frustration machiste était évanouie depuis belle lurette à présent.

- Bon... bien, cela va nous faire gagner du temps. Janet s'était rapidement reprise, comme toujours. Je n'étais pas convaincue qu'une pilote se réclamant comme produit de Top Gun se présenterait dans notre petit aéroport. Remarquez que, quelque part, il fallait un sacré culot pour mettre ça sur un CV pour le grossir artificiellement et l'assumer derrière.

Elle montra du doigt le CV que Kyle tenait toujours en main et ce dernier lui rendit. Janet le parcouru rapidement avant de revenir à Carol. Puis elle reprit.

- Votre parcours est intéréssant, M^elle Danvers; ce qui me pousse à me demander pourquoi vous postulez ici. Je ne vais pas vous mentir : la situation de Macross Air est difficile et vos références sont plutôt bonnes. Nous ne pourrons pas vous fournir un salaire qui correspondrait logiquement à vos attentes. La brune lorgna sur son frère avec un air de reproche. Mais nous avons besoin d'un pilote.

- Un hélico de touriste, un avion civil utilisé pour les cours de pilotage. Parfois quelques avions privés pour des richards de la ville. Les appareils ne sont pas bandants mais très bien entretenus et tu auras le droit de jouer à la mécano autant que tu veux, sans compter que tu peux crécher dans un coin du hangar si ça t'emmerde de rentrer chez toi un soir. Kyle haussa les épaules. Et qu'on pourra s'enfiler des bières à la maison en parlant du bon vieux temps et en se disant qu'on aurait dû coucher ensemble entre deux simulations notées.

- Kyle...

- Rooh, quoi ?

Kyle avait préféré déployé des arguments que Janet n'aurait jamais pensé à avancer pour convaincre Carol. Il estimait avoir une idée de ce qu'une ancienne pilote pouvait désirer et entendait mener l'entretien à bien en amenant les choses différemment. Il se contenta d'un léger sourire et d'une nouvelle bouffée de nicotine, la brunette écrasant un soupir dans le même temps.

- Vous avez peut-être des questions, mademoiselle ?

Ce serait un entretien à trois. Carol reconnut rapidement Kyle, occupé à fumer, mais regarda surtout Janet, en comprenant rapidement que c’était elle la patronne ici. Est-ce qu’elle se sentait nerveuse ? C’était un sentiment amusant, quand on savait tout ce qu’elle faisait en étant Miss Marvel... Cet entretien représentait peut-être sa chance de pouvoir replonger dans l’aviation, en évitant de retourner au sein de l’US Air Force, ou du SHIELD. Elle avait déjà refusé catégoriquement de retourner dans un avion militaire, après le traumatisme qu’elle avait vécu. L’aviation civile lui convenait mieux, et l’entretien commença assez rapidement. Kyle, fort heureusement, la reconnut assez vite, et elle esquissa un sourire devant sa parodie de salut militaire. Visiblement, il s’était renseigné suffisamment pour savoir que Carol avait rejoint l’armée... En soi, ça n’avait rien d’étonnant, car elle n’avait jamais masqué, à l’académie, son intention de rejoindre l’armée, et de devenir pilote de chasse. Comme beaucoup d’Américains suivant le 11/09, elle avait développé un fort patriotisme, qui s’était mélangé à sa passion pour l’aviation. Contrairement à Rachel, elle n’aurait jamais pu s’imaginer dans une caserne militaire, mais piloter des avions de chasse, bombarder des bases ennemies, piloter des hélicoptères d’assaut afin de venir secourir des Marines piégés... Voilà ce qui la tentait bien. Même si la spécialité de Carol portait sur les manches des avions, elle savait aussi se charger des hélicoptères... Ce qui avait été dûment noté dans son CV.

Honnête, Janet lui expliqua que la situation financière de Macross Air n’était pas fameuse, et que, si elle était embauchée, ce serait pour un salaire en-dessous de ses qualifications. Elle se contenta de hocher la tête, acquiesçant silencieusement. Restée debout au début, elle avait fini par s’asseoir en face de Janet. Carol savait que, quand on sortait de Top Gun avec les honneurs, on pouvait théoriquement se faire embaucher n’importe où, que ce soit dans les compagnies d’aviation, ou auprès de particuliers... En tant que pilote de jet d’un riche émir arabe, elle aurait pu se faire des millions de dollars en surfacturant ses compétences. Cependant, Carol ne faisait pas ça pour l’argent.

Elle allait lui répondre, mais Kyle enchaîna, en soulignant que les activités de l’aérodrome avaient vraiment l’air mal en point. Tout ceci surprenait un peu Carol. Il y avait une base militaire à proximité, et elle se demandait pourquoi les Macross n’avaient pas cherché à passer un contrat avec l’armée, que ce soit pour stocker certains hélicoptères ou avions, ou pour proposer leurs services. Même si tout était en train de se privatiser, l’aviation, vu les sommes astronomiques qu’elle représentait dans l’investissement, relevait encore beaucoup du domaine étatique, notamment militaire. Carol aurait pu poser ce genre de questions, mais elle estima que la comptabilité de Macross Air ne la regardait pas. Cette Janet avait l’air d’être un esprit assez avisé, et, plutôt que d’intervenir, elle choisit de s’accoler contre le dossier en croisant les jambes, laissant la sœur et le frère dialoguer entre eux. Kyle avait l’air d’être un homme blasé, qui termina une longue tirade en soutenant que lui et Carol auraient dû s’envoyer en l’air à Top Gun.

L’intéressée le regarda sans rien dire, avant de reporter son attention sur Janet.

« Hum... »

Elle réfléchit un peu, puis lui répondit :

« Pour commencer, j’aimerais préciser que le salaire ne m’intéresse pas... Avant d’arriver au Japon, je travaillais effectivement pour le compte de l’armée, et j’avais en charge un prototype expérimental d’avion supersonique. Vous en avez peut-être entendu parler ? C’était un avion spécial développé par Stark Industries ayant pour but de pénétrer dans de très hautes altitudes. Il y a eu... Un accident... Et... »

Carol se tut pendant quelques secondes, les yeux dans le vague. Elle se revoyait sur le point d’envol, une base américaine en plein cœur des Etats-Unis. Stark avait eu l’idée de cet avion après le succès de SpaceShipOne, un avion privé expérimental financé par un milliardaire excentrique et qui avait réussi à voler à plus de 100 kilomètres d’altitude, en étant largué depuis un avion plus gros dans le ciel. Elle se revoyait s’envolant en flèche, dépassant très largement la vitesse du son, sentant tout l’appareil vibrer tout en s’enfonçant au-delà des nuages, jusqu’à voir la surface courbe de la planète et les étoiles.

« ...Des astéroïdes... Une pluie d’astéroïdes a atteint la carlingue... »

Sa voix était distante. Elle se revoyait dans l’espace, quand le radar commençait à résonner dans l’habitacle, l’avertissant d’une menace immédiate. Carol secoua alors la tête, en revenant à elle.

« Hum... Désolée... Disons juste qu’il y a eu un accident, et qu’on m’a mis ça sur le dos. Après ça, j’ai quitté l’armée... Manière polie de dire qu’on m’a gentiment foutu dehors. J’ai un boulot de merde qui me sert juste à payer les factures, et j’aimerais bien avoir un manche entre mes mains, à nouveau. Piloter des avions civils, faire voler des gosses dans des hélicos, ça m’irait tout à fait... Après tout, c’est comme ça que j’ai voulu devenir pilote. »

Il y avait eu Top Gun, oui, mais aussi son baptême de l’air. Ses parents s’étaient assez opposés à ce que Carol soit une pilote de l’US Air Force, précisément parce que c’était une tâche difficile. Son père avait voulu l’amener dans un avion, en pensant que voir à quel point on se sentait petits dans le ciel inciterait Carol à abandonner. Elle y pensait encore avec le sourire, car c’était exactement le contraire qui avait eu lieu.

« Quant au salaire... Je suis déjà sous-payée en travaillant comme caissière dans une épicerie minable par un patron qui est encore plus pervers que votre frère et ses allusions sexuelles... Ce sur quoi il n’a pas beaucoup changé de l’académie... Sans vouloir vous vexer. »

Boum, c’était gratuit, ça. Une petite pique, à l’ancienne... C’était comme ça que Carol avait appris à grandir au sein de l’armée. Là où Rachel réagissait derrière une froideur excessive à donner des coups de givre à Mr. Freeze, Carol, elle, manipulait la provocation et les réparties sèches et fusantes.

« Donc, pour répondre clairement à votre question, avoir un faible salaire ne me dérange pas. Quant aux questions que j’ai à poser... Et bien, j’ai bien peur de n’avoir que des choses classiques à demander : mes horaires, les engins que je vais devoir piloter, ce genre de choses. »