Les troupes marchèrent longtemps, durant la nuit, s'élançant au travers des landes dévastées, détruisant tout sur leur passage avant même d'avoir des raisons valables de le faire. Néanmoins, ces régions infertiles ne contenant presque pas d vie, les dégâts causés ne furent pas bien différents des pertes que pouvaient faire une bataille de monstres, ou un violent changement climatique.
Cependant, au lever du soleil, les armées diaboliques posèrent leurs pieds noirs sur l'une des frontières du territoire ashnardien. Au Nord, plus exactement.
La vie ici n'était pas non plus très développée. Les tempêtes de neige régulières empêchaient la végétation de pousser, les animaux de pouvoir se nourrir correctement.
Il n'y avait vraiment qu'une personne qui aurait pu accepter de vivre pleinement de son gré dans un endroit pareil.
Ironiquement, cette personne était de la même race que les troupes qui se hâtaient dans sa direction, ayant détecté le somptueux château qui se découpait dans le paysage, les murs et les toits enveloppés de glace, brillant de milles feux dans la lumière de cette journée naissante.
Cadenza était encore sous sa couche, seule entre les draps, la servante avec qui elle avait passé la nuit s'étant empressé de se lever plus tôt pour commencer ses tâches quotidiennes. Ce fut cette même servante qui ouvrit la porte de la chambre avec violence, revenant dans cette pièce qu'elle avait quitté quelques heures plus tôt. La rousse ouvrit un oeil noir et releva son buste contre la somptueuse descente de lit en bois doré, menaçant sa domestique avec humeur :
- Si tu n'as pas de raison vraiment valable de venir me déranger à cette heure, Cordelia, je te garantis que je vais dépoussiérer mes geôles avec ta robe.
- Maîtresse, s'époumona la jeune fille, des centaines de démons s'avancent dans notre direction !
La rousse crut d'abord à un délire de la part de sa domestique. Des démons ? Une armée ? Quelle folie ! Si jamais il devait y avoir attaque, son mari lui aurait envoyé une missive...
A moins qu'il ne lui soit arrivé quelque chose.
N'ayant pas la moindre envie d'envisager cette option-là, Cadenza préféra se lever du lit, s'étirant calmement sans prêter attention à la mine terrifiée de son laquais. Vêtue d'une longue nuisette de soie blanche, presque transparente, aux manches longues et parfaitement taillée pour épouser au mieux ses formes bien dessinées, la démone ouvrit sa fenêtre et se pencha pour voir ce qu'il en était.
Au loin, dans le paysage, il y avait en effet un impressionnant cortège, formant une épaisse tâche noire dans la neige du paysage. Ils partaient dans une autre direction, occupés à d'autres but que celui de s'attaquer à un seul château tous ensemble. Mais certains venaient effectivement dans la direction de son domicile, probablement motivés par des richesses à piller ou des femmes à kidnapper.
- Oh, Maîtresse, qu'allons-nous faire ? demanda Cordelia d'un ton désespéré.
- Sortez l'armurerie au huitième étage, nous allons les accueillir comme il se doit, déclara l'intéressée d'un ton tranquille.
- ... heu, mais nous ne savons pas manier une arme, Madame...
- Je sais bien. Une fois que ce sera fait, réunissez les armures décoratives du château dans le couloir.
Complètement perdue, la domestique sortit de la pièce pour prévenir ses semblables et Cadenza en fit de même quelque instants plus tard. Elle considéra son armoire, mais son temps était compté : pas le temps de s'habiller, donc. Courant pieds nus dans les allées de sa bâtisse, elle atteint ses sous-sols en peu de temps et s'empressa, avec l'aide de quelques servantes, de transporter plusieurs bocaux, chacun contenant une boule de lumière plutôt sombre.
Quand les démons arrivèrent devant les portes du château, ils furent accueillis par un bien étrange spectacle.
Des hommes en armures noires, tous en rang devant la bâtisse, attendant les ordres de leur propriétaire.
Il n'y avait en effet rien dans ces armures : rien que du vide, et les âmes que Cadenza avait transféré dans le métal des décorations, se concoctant en un rien de temps une centaine de combattants à l'aide du stock d'âmes meurtrières que contenait son laboratoire.
Elle savait bien qu'accumuler les esprits des soldats mourants sur le champ de bataille servirait un jour à quelque chose...