La gemme atterrit dans les mains dextres de Cochette qui n'eut aucun mal à se mettre sur sa trajectoire. Au moment même où ses doigts touchaient la surface dure et bleue, la terranide n'est plus maîtresse de son corps. Elle est encore quelque-part, spectatrice, mais parfaitement impuissante à bouger la moindre extrémité. La transition a été presque invisible : seul un bref moment d'absence dans le regard a pu être perceptible. La stupeur passagère est facile pour le dragon à justifier, qui se contente de contempler le joyaux.
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Ce n'est pas un vulgaire cailloux ! fait la voix mi-courroucée mi-professorale de Cochette.
Ne sous-estime pas sa puissance.« Quel plaisir de la toucher de nouveau. Tu ne peux pas imaginer la puissance qu'elle renferme. Le Maître n'a aucune idée de comment s'en servir. Heureusement. Mais quel gâchis. »-
Je pourrais en profiter plus tard, ment-elle, un regret filtrant dans sa voix.
Ne bouge pas.Elle se baisse et rangeant le poignard à sa ceinture, attrape la potion à ses pieds. Elle fait tourner quelques secondes le liquide dans la fiole, puis va s’asseoir près de la souris agonisante et fait sauter le bouchon. Lentement, dans un geste presque maternel, elle approche le verre du museau sanguinolent. Elle incline le remède à quelques degrés seulement de l'horizontale, faisant en sorte qu'il soit à la limite de couler dans la bouche du supplicié.
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Incline-toi, prosterne-toi. C'est ma condition. Le front contre la terre, chevalier. Ton ami souffre le martyr ; il est tellement faible. Il t'en sera reconnaissant.Un sourire apparaît sur ses lèvres lorsque le chat obéit de mauvaise grâce à sa directive. Elle caresse alors gentiment le crâne de la souris, et renverse quelques gouttes du précieux liquide sur son œil fendu. Ainsi appliqué, il possède un effet local : l’hémorragie s'arrête, laissant un amas de sang coagulé. Un gage de bonne foi.
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Reste comme ça, chat… Il est si beau de voir un guerrier à terre…Elle s'éloigne d'un pas, repose la potion, et après un dernier regard, enfonce presque machinalement la gemme dans le sac qu'elle porte. La terranide possédée décroche l'épée magique de son dos. Elle la prend à deux mains, et commence à faire quelques moulinets. Sa technique, qui a peu à envier à celle de son propriétaire légitime, est assez étrangement sophistiquée et puissante pour une voleuse. Aux grands coups de taille dont elle fait la démonstration, il est manifeste qu'elle est élaborée pour une musculature plus impressionnante que celle à sa disposition.
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C'est une lame d'exception. Mais elle est courte. Beaucoup trop petite. Je connaissais un monarque qui possédait un espadon nommé Écorche-Vague. Il n'avait pas ce problème.Un regard à Wilem, et il comprend le pourquoi de la dimension réduite. Malgré sa force, le chevalier ne mesure pas plus d'un mètre trente.
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Voyons comment elle tranche.Avec un jeu de jambes d'épéiste, Cochette prend un élan et semble porter un coup fatal au barde recroquevillé. Pourtant, l'acier, en une trajectoire précise, ne fait qu'effleurer la chair sur toute la longueur de son corps, déchirant en revanche très aisément la tunique verte. Wilem, pensant sans doute au pire, s'est relevé. L'esprit incarné le sermonne avec un certain sarcasme.
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Je ne le tuerai pas. Pour qui me prends-tu ? Ta soumission était ma condition. J'ai une parole. Mais puisque tu t'es levé…Elle jette l'épée sur le sol, et reprend la dague. La voleuse attrape la souris sous les épaules, et l'oblige de même à se mettre en position verticale, le soutenant si nécessaire. Elle tire sur ses habits déjà endommagés, jusqu'à ce que ceux-ci se déchirent et tombent ; découpent rapidement ceux qui tiennent encore. Elle présente ainsi le barde nu et dégoulinant d'eau et de sang face au chevalier.
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Je ne vois pas d'autre solution que de redéfinir notre accord.Sa main libre se dirige vers le bas-ventre du terranide. Ses doigts fouillent dans la fourrure mouillée et en extraient un sexe qu'ils pressent sans douceur. La lame s'approche du scrotum, qu'elle caresse de son tranchant.
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Je veux voir ta verge. Bandée, fière. Voir si l'échelle ridicule de ton arme est à celle de ton phallus. Fais ça, et je te promets qu'il gardera son anatomie entière.Elle plisse le nez, en un dégoût franc. La menace castratrice est toujours aussi efficace vis-à-vis des hommes. Son ton devient alors menaçant, il juge qu'il a maintenant acquis assez d'autorité pour donner directement des ordres.
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Ridicule, quel orgueil. Frotte la avec la boue. Frotte-toi dans la boue, chat.Son regard est terriblement dur et froid, mais sa lèvre inférieure tremble légèrement, comme s'il se retenait de rire. Il jubile, et il sait qu'il n'est pas le seul dans cette situation.
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Tu étais puissant, tu étais courageux et tu étais altruiste…Puis sans prévenir, sa dague tranche bourse et verge du souriceau. Un impressionnant geyser de sang sous pression jaillit soudain de l'entrejambe estropiée. Une flaque rouge se forme rapidement sous le malheureux. Cochette le lâche, et il s'effondre à genoux.
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… et ça ne t'a servi à rien.Enfin, le rire de la terranide éclate, effrayant et sombre, sans plus rien d'humain qui ne le traverse. Elle jette la dague, attrape l'épée.
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Pour avoir une parole, il faut être quelqu'un, pauvre chose. Et je ne suis plus personne.Un mouvement de balancier, et l'arme de guerre s’abat sur l'épaule du barde, lui sectionnant net le bras droit. Même scénario : l'artère éclate, éclaboussant de son fluide rouge. Huvud, le regard fou, exulte. Il prend un deuxième élan, et c'est cette fois la tête qui part…
« Adieu changeur de formes, j'ai aimé te connaître. »… et alors que le cou est sectionné, le corps supplicié disparaît, ne laissant derrière lui qu'une marre de sang.
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Ah, vous mourrez toujours trop vite. Mais j'ai eu ma dose.Il jette l'épée à l'eau ; eau qui se déchaîne un moment. La silhouette majestueuse d'un dragon aquatique se forme, happant le précieux morceau de métal et l'emmenant vers des abysses où il disparaît. Puis à nouveau, tout redevient calme. Le regard de Cochette est vide un instant, et lorsqu'elle revient à elle, elle s'attrape brusquement la tête, comme prise d'un violent mal de crâne.
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Oh, c'était affreux.*
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Mes geôles ne sont pas un endroit très agréable pour ceux qui y sont enfermés. Naturellement, c'est parce qu'elles ne sont pas faites pour ça. Lorsqu'on y apparaît par mégarde – par exemple suite à une mort malencontreuse – on voit une cellule vide et nue. La pénombre enveloppe les murs de granits, leur donnant un aspect gris sombre, rugueux. Le sol est tout aussi peu hospitalier, et blesse les pieds nus à chaque pas. Un anneau de fer, lié par une chaîne épaisse à un pylône de béton central, retient une jambe du prisonnier. Malgré ça, il y a également des barreaux, qui donnent sur un couloir dont l'obscurité empêche de distinguer les détails, mais où on devine en face d'autres cellules semblables. Des courants d'air glacés y passent, de temps en temps.
Rien de très original, en matière de prison… mais qu'est-ce que vous voulez ? C'est dans les vieilles marmites qu'on fait… Enfin, c'est un lieu que j'aime bien.