Quand Rachel retourna dans l’appartement, Drake n’y était pas. Dehors, le soleil s’était couché, elle était gelée, et elle vit rapidement que les mallettes qu’il lui avait demandé de monter étaient en haut. Elle profita de ce léger moment de silence pour s’asseoir sur un fauteuil, et pour laisser ses pensées vagabonder. En chemin, elle avait envoyé un message crypté pour pouvoir communiquer l’équipe de Widow, et attendait confirmation. Le service de l’hôtel pouvait leur fournir une voiture avec un chauffeur pour aller jusqu’à Doomstadt. Un débat était actuellement en cours au sein du gouvernement latvérien pour savoir s’il fallait renommer la capitale sous son ancienne appellation, Hassenstadt. La capitale avait été renommée sur un caprice du Docteur Fatalis, en hommage à son nom de famille, mais aussi par rapport à sa mère, Cynthia Von Doom. Pour beaucoup, c’était le genre de petits caprices mégalomanes dignes de Lénine et de Staline. Peu importe le nom, Doomstadt était une ville très appréciée des étrangers, car elle était une symbiose parfaite entre l’architecture médiévale traditionnelle, et une technologie futuriste donnant à Doomstadt une ambiance oscillant entre le médiéval historique et le
steampunk à la sauce médiévale. Pour le coup, les connaissances maigres de Rachel sur ce sous-genre de la science-fiction ne lui permettaient pas de savoir quel nom employer pour désigner le style de Doomstadt. Avec l’ouverture de la Latvérie, beaucoup de touristes aimaient y aller, et il n’y aurait donc rien d’exceptionnel à ce que Drake décide d’y aller pour célébrer sa victoire.
La-li-lu-le-lo... La curieuse formule lui revenait fréquemment en mémoire. Pourtant, ce n’était pas en officiant au sein du SHIELD qu’elle en avait entendu parler, et elle était sûre que, si elle disait cette formule à bien des agents du SHIELD, ils seraient incapables de lui dire à quoi ceci correspondait. Elle en avait entendu parler avec son père, et secoua lentement la tête. Elle n’y avait jamais vraiment cru, et elle se voyait mal appeler son père pour lui parler de quelque chose dont elle savait qu’il ne dirait rien. Tout ça remontait à tellement longtemps... Et, si Rachel s’en souvenait bien, c’était parce que ses parents s’étaient disputés entre eux, ce qui était suffisamment rare pour qu’elle s’en souvienne, surtout au beau milieu de la nuit.
« Je sais ce que je fais, je n’ai pas besoin que tu me le rappelles ! »
Elle n’entendait jamais son père hurler sur sa maman, et c’était ça qui l’avait réveillé. Elle dormait à l’étage, mais elle avait eu beaucoup de mal à s’endormir, car elle avait un contrôle de mathématiques demain, et elle peinait à comprendre le fonctionnement du théorème de Thalès. Elle avait passé sa soirée avec sa Maman, qui l’avait aidé en lui faisant des exercices de géométrie avec des triangles. Elle était sortie de la porte de sa chambre, en se rapprochant de l’escalier.
« C’est dangereux et illégal ! Tu ne peux pas cautionner un tel programme !
- Nous parlons de sécurité nationale, de la protection de millions de nos concitoyens !
- Oh, je t’en prie, pas de ça avec moi ! C’est de contrôle dont il est question, de nos libertés individuelles, de la Constitution ! Tu as juré de la défendre, pas de l’opprimer en cautionnant ce programme !
- Le monde n’est pas aussi simple que ça, Véronique...
- C’est curieux, je croyais que c’était le rôle des militaires de tout simplifier et celui des avocats de tout voir en nuances de gris... »Le téléphone sonna soudain, l’arrachant à ses pensées. Rachel réalisa qu’elle était dans le noir, ce qui donnait à la pièce une atmosphère assez lugubre, comme si elle était une espèce de fantôme. Le seul éclairage venait de son écran de portable, qui clignotait pour lui annoncer qu’elle venait de recevoir un SMS. Sa main se pencha machinalement vers la table basse sur lequel reposait l’appareil cubique, et elle l’ouvrit. Le message était des plus sibyllins, émanant d’un expéditeur «
privé » :
Iron Valley
L’
Iron Valley était le nom d’un bar branché de Doomstadt, mais, dans ce message, c’était un code pour annoncer en réalité un autre bar. Un moyen de brouiller les pistes. Black Widow se trouvait en réalité dans un bar-restaurant du quartier historique de Doomstadt, le
Jetelry, un jeu de mots douteux entre le mot anglais «
jewelry » et l’auteur Kevin Wayne Jeter, à l’origine littéraire du terme «
steampunk ». Le propriétaire du
Jetelry avait du trouver ce jeu de mots amusant. Il était dans un quartier constitué de petites rues, d’impasses, un endroit parfait pour s’enfuir en cas de surveillance policière. Typiquement le genre d’endroits que Widow appréciait.
Il était temps de retrouver le jeunot handicapé. Rachel sortit rapidement de l’appartement, et alla à la réception, au rez-de-chaussée. On lui annonça que Monsieur Noventa s’était rendu à l’
Abbey Road, un restaurant-cabaret sympa qui se trouvait au sein de l’hôtel, ouvert pour les clients de l’hôtel, mais aussi pour de simples voyageurs. Rachel remercia poliment l’homme, puis hésita un peu. Peut-être devrait-elle enfiler une robe de soirée ? Elle portait un simple jean avec une veste, et c’était le genre d’endroits très sélect où il ne faisait pas bon griller sa couverture. Si elle venait voir Drake, après son baiser de tout à l’heure, on penserait à un rendez-vous romantique. Mieux valait donc qu’elle porte une tenue de circonstance.
Rachel remonta donc dans l’appartement, et trouva rapidement une tenue convenable...
Une robe désignée par MNM Couture, spécialisée dans les robes de luxe à plusieurs centaines de dollars. Comme quoi, le SHIELD avait les moyens. Elle l’enfila, et, même si elle trouvait que la robe mettait un peu trop en valeur ses seins, elle décida de la conserver. Avant d’aller voir Drake, elle retourna à la réception, et demanda à réserver une voiture pour sortir en ville tout à l’heure. Le standardiste hocha lentement la tête, disant qu’une voiture serait prête dès que Monsieur Noventa le souhaiterait. Satisfaite, Rachel retourna ensuite dans l’
Abbey Road. Le maître d’hôtel, professionnel, lui indiqua que Monsieur Noventa l’attendait à une table. Sous le regard des mâles, une femme fatale aux cheveux sombres venait de chanter
Why Don’t You Do Right, accueillant les vivats quand elle eut terminé. Rachel en profita alors pour se rapprocher, et se plaça dans le champ de vision de Drake.
«
Je dois admettre qu’elle chante plutôt bien. »
Elle s’assit face à lui, plantant son regard dans le sien. La chanteuse optait désormais pour une autre chanson,
Cry Me A River. Elle lança la première syklabe en penchant sa tête contre le micro, la tenant pendant une dizaine de secondes, mettant légèrement en valeur son buste, avant de se lancer sur les accents longs et entraînants d’Ella Fitzgerald.
Drake s’était changé, et Rachel savait que, pour lui, c’était toujours une épreuve. Elle l’aidait sans trop de problèmes, avec ce professionnalisme qu’il trouvait si frustrant en temps normal, et qu’il appréciait ici. L’aider n’était pas si difficile que ça pour elle. Durant ses études, elle avait souvent fait des stages dans des associations venant en aide aux anciens combattants, ou dans des maisons de retraite, des maisons médicalisées... Les Hawkes étaient une vitrine vivante pour le patriotisme et les saintes valeurs de l’Oncle Sam.
«
Tu t’es changé sans trop de problèmes ? »
Ce fut tout ce qu’elle arriva à dire. Les relations sociales, ça n’avait jamais été son fort... Mais ça, on finissait par le savoir, à force.