Ici-bas l'air s'écoulait en un brasier humide, transmuant la roche en une brise aride. Pour ne rien arranger, l'eau acide des rivières avait décrété qu'elle fleurirait avant même de prendre racine, défiant les flammes-nuages qui roulaient sous le sol. En somme, la météo était agitée, meurtrière et abstraite, aux Enfers. Au dehors, l'insécurité était telle que même le plus téméraire des Princes de l'Excès, Vaelh, se refusait à quitter sa demeure. A l'abris derrière les fenêtres de son domaines, il se distrayait à regarder les pauvres âmes qui tentait vainement d'échapper à la nature impie du Sous-Monde. Dans leur course folle d'un abris illusoire à l'autre, elles se faisait dépecer par les roches, électriser par l'eau, consumer par le vent, écarteler par le feu dans une absurdité telle que la vue d'un tel spectacle aurait brisé mille et une fois un esprit non-initié. Mais l'Incube, habitué à mieux -ou à pire, tout dépend des points de vue-, se détourna paresseusement du cataclysme.
Et voilà qu'à mesure qu'il errait dans son palace, l'ennuis s'empara de lui. Impossible d'aller jouer dehors et donc aucun rival à provoquer, aucune guerre à déclencher, aucune orgie d'excès à occasionner ! Il restait l'option de tirer quelque divertissement de son personnel, mais voilà bien longtemps que cette bande de larves ne l'amusaient plus. Il faudrait les remplacer. Mais par qui ? Bah, voilà bien un problème ennuyeux qu'il confierait... Eh bien... A ce même personnel qu'il débaucherait. Quelle ironie ce serait ! Rien que-
ႰႱႴႵႠႢႣ ႧႫ, souffla une brise surnaturelle.
Les yeux du Démon s'écarquillèrent sous la surprise. Il s'immobilisa et tendit l'oreille, l'incrédulité la plus totale peinte sur ses traits parfaits.
ႰႱႴႵႠႢႣ ႧႫPas de doute... C'était... Lui/Elle/Eux/ça ; l'un de ses enfants perdus. Parce que oui, Vaelh était père ! Mais pas un père au sens humain du terme, avec une progéniture de chair et d'os, mais d'avantage des enfants intemporels, aussi immortels et fluctuants que le savoir. Il était le géniteur -par quelque odieux rituel qu'on gardera secret- d'entités faites de malice et d'intelligence qu'il éparpilla dans le monde des vivants comme un fermier disperse ses grains sur un sol fertile en attendant qu'ils germent.
Et voilà qu'aujourd'hui, l'un de ces enfants dont il n'avait pas eu de nouvelles depuis environs six infinités d'éternités -ce qui représente quand même un petit bout de temps, même d'un point de vue Démoniaque- entrait en contacte avec lui. Quel doux moment de bonheur ! Moment qui fut plus savoureux encore lorsque l'Incube se rappela de la consigne laissé à ses rejetons avant de les disséminer :
Soyez libres. Volez, nagez, brûlez, rampez, stagnez. Pervertissez, convertissez, assujettissez, qu'importe. Mais si quelqu'un vous comprend, que je le goûte à travers vous. Vos entrailles s'éparpilleront pour m'ouvrir la voix si je juge cette âme digne.
Et elle sera nôtre.Tout ça remontait à si longtemps... Enfin l'un(e) de ses fils/filles/choses/non-chose/néant/tout qu'un mortel était parvenu à trouver et à comprendre ! Et en plus, il s'agissait là de l'un de ses descendant que Vaelh n'avait pas entendu depuis sa création : ႧႿႣႻႽჀჀ჻ჄჂႵ჻ႭႬ჻Ⴀ. Pour la prononciation, visualisez le bruit que produiraient 69 aveugles suffoquant chacun à 96 dixièmes de seconde d'intervalle dans une sphère d'airain corrodée. Cet adorable petit rejeton s'était donné la forme d'un vieux livre, classique mais efficace pour piéger le curieux, le prophète et l'érudit. Il contenait les soupirs, murmures, gémissements, plaintes, vagissements rituels qui permettaient à la non-réalité de creuser un tunnel jusqu'au plan des mortels pour qu'y transitent quelques voyageurs d'Outre-Monde.
Et en cette heure, une âme mortelle qui comprenait ce livre-rejeton s'affairait déjà à ouvrir un passage dans la plus parfaite des ignorances.
Merveilleux.
Tandis que le monarque des plaisirs s'extasiait de pouvoir voyager pour rendre visite aux mortels, la réalité se fissura dans le couloir qu'il arpentait en une plaie suintante d'énergies abstraites. Lascive, la faille déploya de stupéfiants tentacules de pouvoirs qui virent flirter avec le sixième sens du Démon, celui qui lui servait à "goûter" sa "nourriture" sans même la toucher pour en savoir plus sur elle. Le grimoire avait déjà "goûter" sa détentrice lorsque celle-ci l'avait ouvert et lu, et partageait cet arôme avec son maudit père au travers de la voie magique.
Expérimenté, aussi ancien que le temps lui même et fin gourmet, il ne fallut à Vaelh qu'une poignée de secondes pour réussir à se représenter celle -parce que c'était une femme, il en était à présent sûr- qui palpait son grimoire-fils/fille/être. Son physique se dessina dans ses pensées comme s'il avait déjà connue la Terranide et qu'il en gardait un souvenir frais, précis. Il apprit aussi le timbre de voix de la Louve, sa grâce, son harmonie... Il fit rouler son caractère dans sa gorge, comme pour savourer une lampée d'un vin hors de prix. Mais il n'apprit rien sur son passé, ses choix, ses joies et ses erreurs -la magie à ses limites-.
Elle est convenable, conclut-il. Pas si goutu que ça selon des standards démoniaques, mais pas si banal selon des critères mortels.
Convenable...
Sur un dernier sourire, Vaelh fut happé par les tentacules du vortex pour y être mâché et avalé.
*
**
Pendant ce temps là, le grimoire entre les mains de Shad n'était plus aussi docile qu'aurait du l'être un simple livre. Ses pages se tournaient furieusement sans l'avis de Louve, lui imposant la lecture de passages très précis dont les mots-runes gonflaient jusqu'à devenir obèses, jusqu'à masquer tout autre symbole sur la page. Parfois, le grimoire crachait sur les lois de la physique en... retournant ses pages. Le bas devenait le haut, et le haut le bas, tout ça sans que la feuille ai à se déchirer. Puis, enhardi d'avoir été ainsi lu, le livre se mit à vibrer. Subtilement au début, puis subitement avec une violence telle qu'il quitta les mains de Shad pour s'en aller frétiller sur le sol tel un poisson hors de l'eau. Le maudit bouquin semblait avoir de la force, à en juger avec les impactes lourds qui résonnaient sur le sol. Enragé, il se jetait même contre des meubles, ouvrant sa couverture comme une gueule sans dent dans le futile espoir de les dévorer !
Mais le pire -comprendre le plus troublant- était encore à venir.
Comme si toute la scène n'était qu'une simple vidéo, le livre et le meuble qu'il secouait se figèrent, mis en pause. Puis, comme si le curseur de lecture avait été avancé de quelques secondes, le livre disparu du pied du meuble qu'il tentait de dévorer en un clin d’œil, brusquement, pour réapparaître dans les airs, sage et figé. Il s'ouvrit alors lentement, ses pages et sa couverture se distordant en des figures impossibles telles que des cubes à trois côté, des sphères sans faces ou des pyramides à angles droits. La chose se déployait, gagnait en volume tout en ruinant la plus élémentaires des géométrie.
Et d'un coup, un affreux bruit d'os plié jusqu'à son point de rupture se fit entendre. Toutes les runes qu'avaient contenu le livre furent éparpillées comme le sont des entrailles après un coup de hache en plein ventre. Elles filèrent dans tous les sens, décrivant des arabesque dignes de giclées artérielles... Et se figèrent en l'air. Là, elles s'agencèrent en cercles concentriques autour du grimoire-qui-n'en-était-plus-un et se mirent à rayonner. Chaque rune se liait à sa voisine par des connexion d’énergie dorée, formant des cercles nets, avant que ces cercles ne se connectent entre eux pour former un disque épais. Comme une rose qui fleurit en vitesse accélérée, le grimoire se déploya au centre de ce disque jusqu'à en heurter les bord.
Il y eut alors un flash aveuglant, un bruit de fin du monde que seule Shad entendit... Et une brise. La plus douce de toutes. Elle vint caresser les joues de la Louve tandis que celle-ci récupérait du flash de lumière, comme pour la consoler et la réconforter. Lorsqu'elle put à nouveau y voir clair, elle constata que le disque de lumière n'était plus qu'une fine corolle emplie d'un vortex d’énergie pourpre-bleue qui accouchait de... Quelque chose. Quelqu'un. Une silhouette imprécise en émergeait et descendait sur le sol en empruntant une volée de marches invisibles, aériennes et moelleuses avec une grâce qui n'avait rien de comparable à celle des mortels. Quand l'être toucha le sol, sa silhouette se précisa. Un mâle à n'en pas douter, drapé de nuages d'or qui ne masquaient que le bas de son corps et son cou.
Mais il n'était clairement pas humain.
Sa peau d'ivoire se tendant sur une musculature impeccable, artistique même, qui grâce à ses reliefs capturait la luminosité dorée des habits-nuages dans un jeu d'ombre d'une impossible sensualité. A chacun de ses mouvement, cette même musculature roulait avec lasciveté, vouant chacune de ses fibres à une danse aguicheuse qui avait ce don d'éveiller... Certains instincts primaux chez les spectatrices. Ses simples mouvements renvoyaient une grâce aussi impérieuse qu'abstraite.
Sa crinière d'encre et de platine flottait autour de son visage comme une divine auréole, affirmant une visage qui n'était que majesté et prestance.
Ses yeux, deux billes d'encre aux iris d'or, se rivèrent dans ceux de la Louve ; l'espace d'un bref instant, elle put y lire une sagesse et une malice sans âge, qui baignaient dans un lac sans fond de luxure. Il sembla jauger cette femme au dessus de laquelle il était penché...
Puis il sourit. Et ce fut comme si sa beauté n'avait rien représenté à côté de cette nouvelle perfection qui baignait son visage. Tout sembla devenir fade autour de lui. Si fade, si gris, si insignifiant et laid. C'était comme si Shad avait été condamnée à ne connaître la vie qu'un noir et blanc, qu'en ligne droite et angles cassants et que subitement, elle découvrait les plus merveilleuses des couleurs, les plus sublimes des courbes. C'était comme si elle n'avait jamais rien senti d'autre que la fange des bas fonds d'une ville, et que brusquement la plus divine et lascive des fragrances, celle de cet avatar doré, éveillait son odorat.
A chaque seconde qui s'écoulait, ces mêmes couleurs, courbes et fragrances semblaient... Communiquer avec la Louve de manière très, très instinctive, chatouillant ses sens, glissant contre ses fantasmes, soufflant doucement sur les braises d'un désir qui ne manquerait pas de se raviver en un fulgurant brasier. Cette étrange aura semblait lui murmure...
Approche-toi... Éprouve-moi... Effleure moi... Flirt avec moi... Touche moi... Caresse moi... Goûte moi... Dévore moi... Colle toi à-L'Envoyé salue la mortelle, émit l'être dans un soupir chargé de lubricité. Comparer sa voix au plus doux des nectars pour les oreilles aurait été un euphémisme insultant. Elle roulait dans l'air avec persistance et assurance, massant les tympan de la Louve avec une telle douceur que toute la musique du monde devait lui paraître bien fade à présent.
L'Envoyé est réjouit, poursuivit l'incarné sans se départir de sa théâtralité.
Puisque aujourd'hui il retrouve l'un de ses descendants. Que la mortelle soit félicité d'être l'instigatrice de tels retrouvailles. Vaelh marqua une pause, instaurant une once de dramatisme et d'importance aux paroles qui suivraient.
Les Puissances Primordiales en soient témoins, la mortelle à ouvert le Passage avec succès. Pareille exploit mérite récompense, mais avant ça... La mortelle doit souffrir une ultime formalité.Vaelh flotta de quelques centimètres en avant, s'approchant indécemment près de Shad.
La mortelle doit s'offrir à l'Envoyé. Si elle y consent, qu'elle pose sa paume dans celle que l'Envoyé lui tend, dit-il en s’exécutant.
Le silence s'installa, lourd et tendu, tandis que Vaelh gardait son regard hypnotique rivé dans celui de la Louve.
Allait-elle accepter ?