«
Ce chocolat chaud n’est vraiment pas de trop... N’est-il pas, Princesse ? »
Esquissant un léger sourire, Alice avala un peu du contenu de la tasse, un chocolat chaud bouillonnant, qui eut pour effet de la réchauffer.Elle leva sa tête vers l’homme qui venait de lui parler, reconnaissant l’élégant Conseiller Impérial ashnardien,
Emhyr var Emreis.Celui qu’on surnommait «
La Flamme Blanche », probablement en raison de ses quelques mèches de cheveux blanches, portait un manteau laissant apercevoir, ici et là, les pans de sa toge impériale, alors qu’il se rapprochait d’Alice. Assise sur un gros caillou lisse, la jeune femme buvait du chocolat chaud en se détendant. Elle observa Emhyr s’approcher devant elle, ses gants en cuir marrons attrapant lui aussi une tasse de café, qu’il buvait légèrement.
«
En effet... Même pour moi, il fait plutôt froid ici... »
Emhyr se fendit d’un léger sourire complice, hochant la tête.
«
Les rares fois où j’ai été à Sylvandell m’ont effectivement donné le sentiment que ce royaume n’était pas des plus chauds qui soit. »
Alice tourna brièvement la tête vers les trois chariots noirs qui étaient à l’entrée de la grande caverne. Ils portaient des blasons impériaux, témoignant d’une caravane ashnardienne diplomatique. Des
gardes noirs d’élite, des démons ashnardiens particulièrement redoutables, recouverts d’armures noires d’ébonite, surveillaient silencieusement la grotte. Faire route avec eux était un peu déprimant. Non contents d’être assez effrayants à regarder, ils ne parlaient quasiment jamais, se concentrant exclusivement sur leur mission : protéger les ambassadeurs, ce qui incluait, outre Emhyr et Alice, une magicienne spécialisée dans la pyromancie,
Loria, surnommée «
La Reine des Glaces ». Alice avait surtout sympathisé avec les quelques courtisanes présentes dans la délégation, à savoir une Ôkami s’appelant
Kaori, une jeune guerrière ayant des gènes de lapin,
Azurath, et une neko répondant au doux de nom de
Tomi.
Emhyr s’assit en face d’elle, observant silencieusement la grotte, se malaxant les doigts pour se les réchauffer.
«
Quel endroit charmant... »
Alice ne dit rien, se replongeant dans ses souvenirs.
Le cortège se trouvait dans une profonde grotte, à l’entrée d’une vaste région glaciaire. Pendant des années, cette région n’avait jamais attiré l’attention des Ashnardiens. L’endroit était isolé, fermé de tout, coupé du monde, et était progressivement entré en ligne de compte, au fur et à mesure que les agents ashnardiens obtenaient des informations mentionnant l’existence d’un «
paradis de glace ». Les informations émanaient généralement d’esclaves en fuite qui avaient été arrêtés par les agents ashnardiens dans les colonies. Des Terranides qui affirmaient chercher à se rendre dans un paradis isolé du monde, un endroit où l’esclavage n’existait pas, et où les Terranides vivaient en paix. Un eldorado qui faisait, depuis des années, l’objet de rumeurs. Depuis quelques mois, cependant, ces rumeurs s’étaient intensifié. Il y avait toujours eu des mythes et des légendes circulant sur une sorte de territoire où chacun pouvait vivre en paix. Généralement, il s’agissait de profondes jungles équatoriales, et les autorités ashnardiennes n’y avaient jamais véritablement accordé une quelconque importance.
Cet endroit, manifestement, était différent. Alice ignorait le contenu de toute l’affaire, mais, de ce qu’elle avait cru comprendre, le Conseil Impérial avait de bonnes raisons de penser qu’il existait, dans cette région, une ville, entourée d’épais murs, la protégeant des vents frais. Zon’Da. Le nom était ressorti de différents rapports, et, il y a environ une semaine, une petite patrouille ashnardienne s’était approchée de la région. La patrouille traquait un dangereux monstre qui avait attaqué des marchands, et cette traque les avait conduite dans la montagne, où ils étaient tombés, à leur surprise, sur une tribu de «
Terranides armés d’arcs et d’épées », selon le rapport rendu par le sergent de la patrouille. Rien n’attestait cependant de la présence d’une tribu par ici. Qui étaient ces gens ? Les Ashnardiens, méfiants, avaient appris que ces créatures appartenaient à une tribu, la tribu du Soleil, et s’identifiaient comme des Miqo’te : «
on dirait de curieux nekos, bien qu’ils s’énervent quand on les appelle ainsi [...] Nous voyons en eux de vulgaires Terranides, qui prétendent relever de l’autorité de Zon’Da, du peu que nous avons compris [...] Je pense que, si notre troupe aurait été moins nombreuse, ils auraient essayé de nous attaquer ; manifestement, les étrangers qui n’ont pas de longues oreilles velues les inquiètent un peu ». Le rapport avait remonté la hiérarchie jusqu’à figurer dans les sessions du Conseil Impérial. Emhyr var Emreis avait décidé de se rendre en personne sur place, afin de discuter avec les locaux, et un rendez-vous avait été prévu dans une grotte, à la lisière de ce territoire désolé et gelé.
Alice s’y était rendue pour plusieurs raisons. Pour commencer, elle représentait un État qui, tout en étant autonome, s’était soumis à l’autorité d’Ashnard. Ensuite, Alice aspirait à avoir une gouvernance différente de celle de son père, axée, non pas sur la guerre, mais sur la diplomatie, et caressait l’idée de faire de Sylvandell une sorte de passerelle entre l’Empire ashnardien et d’autres États terrans. La première question qu’elle s’était posée était de savoir s’il fallait considérer Zon’Da et les tribus autour comme un État autonome, ou comme autre chose. Politiquement parlant, un État n’existait que s’il était reconnu comme tel par d’autres États. D’un point de vue juridique, l’apparition d’un État nécessitait la réunion de différents critères : l’existence d’un territoire libre et suffisant, l’existence d’un peuple autonome ayant la conviction d’appartenir à une entité politique globale, la «
Nation », et la présence d’un corps politique qui gouvernait l’ensemble.
Ce qui tracassait surtout Alice était la possibilité de tomber sur des individus hostiles à Ashnard, qui les attaquerait. C’était pour ça qu’elle était accompagnée par son propre garde du corps, un redoutable demi-géant s’appelant Hodor. Trop gros pour rentrer dans les chariots, il avait suivi la caravane à pied, et était assis dans un coin de la caverne. Hodor avait été récupéré par des patrouilles sylvandines, et était un individu répétant inlassablement le même mot : «
hodor ». Personne ne savait à quoi ce mot correspondait, et on avait donc décidé de l’appeler ainsi : Hodor. Tout aussi curieusement, la seule personne à laquelle Hodor s’était attachée était Alice, qui la surveillait depuis qu’elle était toute petite. Tout en étant un peu simplet, Hodor comprenait les ordres. Bien souvent, sa corpulence faisait qu’Alice ne pouvait pas l’emmener avec elle, mais, ici, dans des espaces aussi vastes, Hodor n’était pas de trop.
Le groupe était à l’entrée d’une immense caverne, et les Miqo’te, en théorie, devaient venir de l’autre côté. Les Ashnardiens étaient arrivés les premiers, et avaient commencé à s’installer, sortant des caisses pour sortir de quoi préparer du chocolat chaud, afin de se réchauffer. Dans un coin, Loria s’amusait à observer les murs de glace.
Il ne restait plus qu’à attendre la venue des autres.