Le retour d’Airi sonna la fin du cours, si tant est qu’on puisse appeler cette séance un cours. Alice avait de plus en plus de mal à se concentrer, à réfléchir consciemment. Son esprit revenait sans cesse à l’énigme que représentait Corydon. Cet homme était une menace, car elle ne savait pas ses intentions. Envisageait-il de la capturer ? Cette idée l’angoissait. Alice avait grandi avec la peur qu’on ne la capture, qu’on ne fasse pression sur elle, en raison du système d’héritage très particulier de la Couronne royale sylvandine. Il ne pouvait y avoir qu’un seul héritier par génération, afin de préserver la pureté du sang sylvandin, ce qui était la grande fragilité de Sylvandell, car, si la chaîne se rompait, il était virtuellement impossible de la reconstruire, par exemple en concevant un autre héritier. Le risque était en effet de détruire l’alliance sacrée que les Sylvandins avaient fait avec les dragons d’Or, et qui constituait le fondement de la puissance militaire du royaume. Sans cette alliance, Sylvandell, s’il n’avait pas été rasé par les dragons, n’aurait jamais été une puissance militaire digne de ce nom. Alice prenait donc perpétuellement des risques quand elle quittait l’enceinte réconfortante du Château royal. Elle avait perpétuellement grandi en étant surprotégée, ce qui l’avait naturellement conduit à essayer, dans la mesure du possible, d’échapper à la vigilance de ses gardes, qu’elle avait alors pris volontiers pour des geôliers... Jusqu’à ce que Sylvandell arrive à mettre la main sur un demi-géant hagard, Hodor, qui s’était lié d’amitié avec Alice... Et vice-versa. Si elle avait pu emmener Hodor sur Terre, elle l’aurait volontiers fait, mais ce monde dérangeait le colosse, qui n’y était pas habitué, et n’était guère discret. À défaut, c’était Oberyn, un Commandeur relativement agréable, qui ne lui donnait pas l’impression de la prendre pour un tâcheron, qui se chargeait de veiller sur elle.
Plongée dans ses pensées, Alice essayait de réfléchir. Corydon avait eu mille occasions d’entendre parler de là. Bien que Sylvandell soit un petit royaume, les Nexusiens connaissaient plutôt bien les dragons dorés de Sylvandell, et ce notamment depuis qu’ils avaient permis d’incendier toute une flotte nexusienne lors d’un conflit maritime le long d’archipels où Ashnard avait entrepris de fonder un avant-poste, afin d’essayer de dresser un blocus maritime, pour aggraver les problèmes économiques ayant lieu à Nexus. Ce plan audacieux avait donné à plusieurs escarmouches entre des corsaires ashnardiens et les frégates nexusiennes, avant que les Nexusiens n’apprennent l’existence de cette base. Toute une flotte avait attaqué l’avant-poste ashnardien, une espèce de fort comprenant un port, et les Sylvandins étaient venus en renforts. Bon nombre de Nexusiens avaient été tués sous l’effet des dragons, et, même si Ashnard avait perdu son avant-psote, et beaucoup d’hommes, ainsi que sa mainmise sur tout un archipel, le goût amer de la défaite était temporisé par les dizaines et les dizaines de navires nexusiens qui avaient brûlé.
Depuis lors, Nexus cherchait un moyen de détruire Sylvandell, ou de briser l’alliance qui unissait les Sylvandins à Ashnard, se disant que séparer cette redoutable armée infernale de quelques massifs dragons ne serait pas une mauvaise idée. Or, n’importe quelle personne analysant un peu le fonctionnement de Sylvandell connaîtrait rapidement sa principale faiblesse : la fille du Roi. Si Tywill Korvander, Roi de Sylvandell, était un véritable géant invincible, sa fille, elle, était aussi frêle qu’une fleur du printemps. Ses muscles étaient inexistants, et elle faisait l’objet d’une intense production.
*Est-ce qu’il travaille pour Nexus ? Je ne dois pas oublier que la Terre et Terra entretiennent des liens...*
Alice en était là de ses réflexions quand Airi débarqua dans la pièce. Ginta ne semblait guère en mener large, et Airi annonça tout simplement la fin du cours. Ce rebondissement inattendu captiva les élèves, tandis que Corydon se mettait à parler rapidement, collant trois heures de colle à Airi. Cette dernière semblait plus agacée qu’autre chose, et, si elle était retournée vers sa table, c’était dans l’espoir de faire ses efforts.
« Pour la prochaine fois, vous finirez les exercices d'aujourd'hui si vous n'avez pas fini et vous me ferez une biographie de Metternich et vous trouverez un penseurs ou un écrivain dont le texte fera antithèse aux pensées de Metternich. »
Airi secoua la tête.
« C’est ça, cause toujours, tu m’intéresses... » marmonna-t-elle.
Elle fut la première à sortir, comme une trombe.
« Dé... Désolé, sen..., essaya de dire un Ginta perturbé.
- C’est pas un senseï ! s’énerva Airi dans le couloir.
- Mais il a un diplôme, tu l’as entendu ! rétorqua Ginta en la suivant.
- Ah ouais ? Sûrement récupéré dans une pochette-surprise, alors... »
Le raclement des chaises annonça la fin du cours. La secrétaire encouragea les élèves à rester calme. Alice aurait tout à fait pu rester dans le lot, mais elle savait qu’elle ne pouvait pas indéfiniment échapper à Corydon, ou à Escogriffe, quel que soit son nom. Ainsi, lorsque tous les élèves partirent, il ne restait plus qu’Alice, assise à sa place, fixant silencieusement Corydon.
« Qu’est-ce que vous me voulez, exactement ? »