La créature se mit finalement à lécher le sol, en serrant les dents. Ephemera avait une vision assez alternée de la réalité. N’ayant pas de yeux, sa vision était assez difficile à comprendre pour les autres, et encore plus à expliquer, car elle n’était pas non plus aveugle. Dans l’obscurité, elle voyait, parfois encore plus clairement que les personnes ayant leurs yeux, mais, quand la luminosité était trop forte, Ephemera était presque aveugle. La lumière, voilà sa plus grande faiblesse : en plein jour, elle était comme les vampires des contes. Dans l’obscurité, grâce à sa magie d’Ombre, elle pouvait voir, et, même quand l’éclairage était faible, comme c’était le cas à Drakengord, elle voyait toujours. Elle vit ainsi la femme lécher le sol, avalant sa propre urine, lavant plus ou moins bien ce dernier. Les fouets, qui continuaient à s’abattre sur son dos, vinrent lentement à se calmer, et, quand la créature s’approcha d’Ephemera, et se mit à lui parler, cette dernière les suspendit.
« Pardon de parler sans autorisation maîtresse, commença-t-elle, mais je pense avoir compris ce que vous attendiez de moi. Je serais une bonne chienne à partir de maintenant. J'aimerais que vous m’appreniez à aimer la douleur. »
Ephemera hocha lentement la tête après cet aveu. C’était... Surprenant. Elle se demanda brièvement si cette dernière ne mentait pas, mais il ne lui semblait pas percevoir la moindre malice dans ses propos. Ephemera n’était pas un détecteur de vérité sur pattes, mais elle estimait toutefois être suffisamment avertie pour déterminer le vrai du faux. Après y avoir réfléchi, elle répondit... Par un coup de fouet supplémentaire.
« Pour commencer, tu vas devoir apprendre la discipline, petite chienne, rétorqua-t-elle. On ne parle que quand je t’y autorise. »
Le fouet claqua à nouveau. Oh, comme Ephemera aimait ce son ! Ce *TCHAC* sonore était particulièrement jouissif, comme une sorte de bol d’air frais dans sa vie. Oui, la Dame des Ombres était cruelle, mais elle ne cherchait pas à le cacher. C’était une perverse, et c’était précisément ce qui faisait son charme. C’était une femme qui avait tout compris. Avoir un disciple ? L’idée était séduisante, même si la femme la trouvait un peu absurde. Mais, après tout, l’idée était suffisamment originale pour la tenter. Cependant, Ephemera savait très bien que les disciples étaient souvent la principale raison de la chute des maîtres. Si elle apprenait à la Reine Rouge à être sournoise, fourbe, et machiavélique, tôt ou tard, son esclave se révolterait contre elle. Or, ce serait d’autant plus problématique qu’Ephemera savait que la Reine Rouge était plus forte qu’elle. Elle avait sur elle un ascendant psychologique qui se justifiait par sa cruauté. La former, c’était prendre le risque de la voir se retourner contre elle.
Il était donc tentant de la tuer, mais, d’un autre côté... D’un autre côté, la Dame des Ombres pouvait trouver une quelconque utilité en une puissante esclave, comme un genre de garde du corps. Elle pesait le pour et le contre, ayant bien conscience que ce serait dangereux. Elle craignait de commettre la même erreur que son père, soit commettre fierté et arrogance, et choisir d’avoir des disciples uniquement pour s’admirer dans sa propre puissance, sans voir que ces disciples qu’on formait pouvaient retenir la leçon bien mieux que ce qu’on avait espéré. Ephemera avait paradoxalement toujours été servile envers les puissants, elle qui semblait pourtant être un paradigme d’autorité et de domination, mais sa soumission avait toujours été feinte.
« La discipline, oui, voilà ce que tu as besoin de savoir... Car, vois-tu, le monde n’est pas amour. Il n’est pas non plus force brute, ou violence. Non. La première chose qui régit ce monde, petite chienne, c’est cette chose qui pousse les gens à travailler, cette force qui pousser les démons serviles à obéir à leurs maîtres, cette force qui contraint les jeunes enfants à dormir la nuit, cette même force, encore, qui va contraindre les individus à s’unir sous une même bannière. Cette chose, ce n’est pas l’amour, ni la force, l’union, la solidarité, c’est la peur. Ce n’est pas plus compliqué que ça. »
Elle parlait à voix basse, tout en se penchant vers sa proie, finissant ainsi par murmurer contre son oreille :
« Tu veux te former, petite salope ? Apprendre à aimer la douleur, hum ? Alors, tu dois apprendre à accepter tapeur, et à t’y complaire. Tu dois laisser parler ta haine, ta rage, tous ces sentiments induits par la peur. Tu dois vivre avec eux afin de pouvoir mieux les utiliser, et n’accorder de l’amour qu’à ta propre personne. Ton amour envers moi ? Je m’en moque, et je serais blessée si tu devais m’aimer. C’est la haine que tu dois ressentir à mon égard. La haine pour tout ce que je te ferais subir, pour la liste innombrables d’atrocités que tu souffriras. »
Une fois lancée, elle ne s’arrêtait plus, et les idées commençaient à déferler dans son idée. Rien qu’à y penser, elle en frémissait, presque comme une collégienne sur le point d’inviter son amant au bal. Elle poursuivit à nouveau :
« Je vais te réserver un traitement qui te fera comprendre ce qu’être en Enfer signifie. Si tu laisses parler ta rage, ta fureur, alors, tu apprendras à aimer faire souffrir. Sans moi, tu n’es qu’un jeune chien fou, incapable de comprendre ce qu’il fait. Je t’apprendrais à quel point le simple fait de tuer est inintéressant, et à quel point il est jouissif et gratifiant de faire souffrir, de torturer. Tes proies doivent voir la mort, non pas comme une fin, mais comme une récompense pour le tourment qu’elles subiront. Quand tu auras compris cette leçon, salope, alors, tu aimeras te faire fouetter. »
Ephemera se releva alors. Tout ce long discours ne répondait pas forcément à la question posée par la Reine Rouge, mais il avait aidé Ephemera à comprendre certains points, qu’elle se mit alors à poser :
« C’est décidé, je vais te réserver un traitement très particulier. Je vais voir jusqu’où je peux aller avec toi. Et, si tu arrives à survivre, alors, petite femme, tu comprendras que le point commun à toutes les créatures vivantes, c’est notre capacité à souffrir. Et, quand tu domineras enfin ta douleur, tu pourras enfin te prétendre vivante. »