Une promenade de beau matin.

Le ciel était clair et sans nuage. L'azuré qui s'étalait au-dessus du crâne de Zebra annonçait une belle journée, mais peut-être un peu trop chaude. Déjà, le soleil dardait furieusement ses rayons chauffants sur la place. Ce qui n'empêchait nullement les marchands de hurler et de gesticuler dans tous les sens, essayant d'attirer les passants devant leurs étals. On pouvait trouver de tout : nourriture, vêtements, esclaves, bibelots en tout genre... Le zèbre détourna la tête de ces piètres marchandises. Il était à la recherche d'antiquités, d'objets anciens de valeur. Et il cherchait depuis près de deux heures, en vain.

Le bruit de ses sabots sur le sol pavé attirait les regards étonnés des marcheurs. Zebra le savait, les créatures hybrides comme lui étaient sujettes à des mises en esclavage pures et dures mais, pour l'instant, personne ne l'avait importuné. Bien au contraire, la foule s'éclaircissait à son passage. Il trouvait cela agréable, puisque il pouvait avancer tranquillement, mais d'un autre côté il ne risquait pas de faire des rencontres. Le topaze qui brillait sur son turban lui rappelait sans cesse qu'il devait calmer la colère de la malédiction, par une bonne partie de jambes en l'air.
Il avait déjà copulé deux jours plus tôt, avec une femelle relativement imbibée d'alcool, et il n'avait pas nécessairement besoin d'apaiser dans l'immédiat l'esprit qui le hantait. Mais mieux valait se montrer prudent. S'il en avait l'occasion, il se devait de forniquer.

Il n'avait donc que deux souhaits fort simples à réaliser : une femme avec qui passer du bon temps ou des articles suffisamment vieux pour l'intriguer. Et, en deux heures de marche et d'errance, aucun des deux n'avait été exaucé. Il poussa un profond soupir, las et fatigué, agacé par la foule grossissant de minute en minute, à tel point que même sa carrure imposante était insuffisante à écarter les enquiquineurs.
Alors que le soleil gravissait lentement les échelons invisibles du ciel pour s'approcher du zénith, le zèbre fut bousculé pour la première fois. Un petit homme encapuchonné dans un vieux tissu vert kaki, rapiécé de part en part et sali par la poussière qui s'accumulait dans les fibres du vêtement.
Il dégagea l'intrus d'un simple tournemain et repartit en quête d'artefacts. En moins de dix minutes après ce premier incident, il fut bousculé plus d'une vingtaine de fois. Au bout d'un moment, il craqua et agrippa le malheureux qui venait de lui rentrer dedans. Il le leva au-dessus de sa tête d'une seule main, les muscles de son bras gagnant en volume sous le coup de la contraction. L'homme qu'il venait d'attraper, un pauvre bougre qui tremblait de la tête aux pieds, tenta de balbutier des excuses.

- Je commence à en avoir ras le cul de cet endroit de merde. Toi, le vieux, donne-moi soit une femme, soit un objet antique. Tu as trois secondes pour calmer mon courroux avant qu'il ne s'abatte sauvagement sur ta gueule, sous la forme de mon poing dans tes dents.

Il faisait clair, beau et chaud, enfin c'est ce que je pouvais voir depuis ma fenêtre. C'était un vendredi matin, j'avais besoin d'aller en ville pour m'acheter une nouvelle paire de lentilles car les anciennes commençaient à être usées à force de les mettre chaque soirs. Il me fallait aussi deux ou trois bouteille de saké pour bien commencer la journée, j'étais devenue une obsédée de l'alcool et du cannabis, je suis trop jeune, enfin c'est ce que mon oncle me disait même si je n'avais pas 23 mais 206 ans en réalité, pour mon oncle j'étais trop jeune un point c'est tout. Je lui faisais croire que je ne buvais plus mais il savait très bien que je mentais, il le lisait dans ma tête comme dans un livre ouvert.

Ceci étant, je pris une douche et m'en allait sous la rosée du matin, je préférait sortir le matin car il ne faisait pas chaud, il faisait frais. Je ne sortais pratiquement jamais la journée car j'avais la peau un peu sensible au soleil et si je n'étais pas protéger les gens sauraient que je ne suis pas humaine. J'avançais à pas lents profitant de cette terre inconnue où mon oncle m'avait envoyée me disant que je m'y ferait à cette nouvelle vie, tout en pensant à ces putains de prêtres qu'il fallait que je retrouve.. Enfin l'heure n'était pas aux rêveries loin de là.

J'arrivais maintenant sur la grande place, c'était comment dire euh blindé de monde, oui blindé de monde en un vendredi matin ça paraissait bizarre car j'avais l'habitude de sortir les vendredis et il n'y avait pratiquement jamais de monde. C'était peut-être un jour exceptionnel aujourd'hui qui sait. Les lentilles... C'était où déjà ? Ah oui la pharmacie, j'entrais donc aussi discrètement que je pouvais, pour ne pas attirer l'attention des personnes présentes. C'était fait, il me manquait l'alcool et les clopes !

Je marchais vite cette fois-ci car le manque de nicotine commençait à se faire ressentir et je n'avais pas envie de m'énerver pour rien, j'arrivais devant un commerçant et sa charrette, lui achetant deux cartouches de cigarettes et quatre litres de saké pour que ça me fasse une semaine complète. J'avais fini mes achats, je n'avais plus rien à faire ici, il fallait que je rentre avant que le soleil soit au plus haut, j'avançais encore et toujours vers mon but, mon appartement ! Mais en marchant j'aperçus au loin une foule de gens qui entourait quelque chose qu'est-ce que ça pouvait être à cette heure du matin ? Je bousculais les gens pour m'approcher de ce qui était un règlement de compte, je voyais un gars enfin une créature bizarre, un homme zèbre ? A ce que racontait les gens autour un vieillard l'aurait bousculé et l'homme zèbre lui demanda une femme ? Quoi une femme ? c'était quoi ce délire.

*Eh toi, lâche ce vieil homme tu veux* Lui dis-je avec insistance

Mon ton était menaçant, l'homme zèbre se croyait être un gros dur devant tous les passants mais un minable pour moi, je détestais que les gens s'en prennent au plus faible pour moi il n'étaient rien d'autre que des moins que rien.

 

Les bégaiements terrorisés du vieillard ne trouvèrent une pause que lorsqu'une voix féminine s'éleva de l'assistance. Le museau de Zebra se tourna dans la direction de la nouvelle arrivante. Une belle femme brune, au style un peu sombre. Le zèbre leva un sourcil intéressé avant de se retourner vers sa victime proche des sanglots.

- Eh bien, on dirait que tu t'es révélé plus efficace que prévu, grand-père, dit-il en le déposant au sol.

Il entreprit ensuite de l'épousseter et lui donna une pièce, en guise de remerciement pour les services qu'il venait de lui rendre. Interloqué, le vieil homme remercia l'homme-zèbre brièvement et s'éloigna, partagé entre un étonnement tout à fait compréhensible et un reste de frayeur qui agitait ses membres de petits tressaillements bien visibles.
Zebra reporta son attention sur la belle inconnue qui venait de l'interpeller. D'après sa voix, il était évident qu'elle était en colère, et qu'elle lui en voulait. Qu'à cela ne tienne, il avait demandé une femme et les dieux lui en avaient envoyé une. Il voulut cependant s'assurer d'une chose, aussi demanda-t-il sur le ton de la conversation, comme si rien ne s'était passé :

- Vous ne possédez rien qui soit ancien sur vous, n'est-ce pas ?

Ce disant, le topaze maudit sur son front se mit à miroiter légèrement, comme si l'esprit hanté qui l'occupait était conscient qu'il pourrait peut-être bientôt se repaître. C'était une sorte d'avertissement à Zebra : ne te rate pas, ou ressens ma colère. Mais bon, il était habitué aux transformations en équidé-momie, il n'y prêta donc pas attention. D'ailleurs, l'éclat de la pierre précieuse était presque imperceptible pour toutes autres personnes que lui. Il n'y aurait rien eu de surprenant si cette jeune demoiselle n'avait rien vu. Le contraire, en revanche, l'aurait été davantage.

Zebra continuait d'observer l'inconnue sous toutes ses coutures. Elle était belle, et c'était une femme, aucun doute à ce sujet. Il pouvait légitimement espérer, après avoir passé deux longues heures à marcher sans rien trouver, à se faire bousculer et insulter par nombre de personnes, que cette femme lui apporte également des artefacts... Ce ne serait qu'une compensation, rien de plus.
Enfin, mieux valait éviter de se plaindre, les dieux avaient eu le mérite de lui envoyer une compagnie fort charmante, et pour cela Zebra leur en était reconnaissant.

Il attendit donc la réponse de la belle, ainsi que la suite des évènements.

J'étais en colère, cette créature la se croyait tout permis, mais putain il se prenait pour qui lui aussi ! Ça y est il était plus grand et plus fort que tout le monde ici sur cette place et ça lui donnait le droit de faire attirer l'attention sur lui ? Non mais je rêve, j'avais envie de lui en foutre une à ce zèbre à la con. Mais bon je n'avais pas non plus envie d'attirer l'attention sur moi. Je le regardait déposer le vieil homme au sol, après quoi il lui donna une pièce pour le remercier, mais le remercier de quoi ? De lui avoir ramener une femme ? Ah beh la il allait être servit l'animal.

Je le regardait m'observer, en faisant de même, pour un animal il était fort costaud, il se baladait à deux pattes, je pouvais ainsi clairement voir ses abdominaux. Mais c'était un animal bon sang de bon soir ! Je n'étais comme pas devenue zoophile ! Oula non, jamais de la vie. J'arrêtais de réfléchir comme une idiote quand il me demanda si je possédais quelque chose d'ancien. Quelque chose d'ancien ? Mais moi-même je suis ancienne, j'ai 206 ans ! J'avais envie de lui dire pour lui faire fermer sa bouche à ce rigolo, mais je n'allais quand même pas griller ma couverture pour un petit macho à la noix ! Je regardais ses yeux, réfléchissant à quoi il pourrait bien me servir.

"Ça t'amuses de faire peur aux gens pour une putain de babiole ?"

J'avais envie de le réduire en miettes maintenant, tout de suite mais il y avait bien trop de monde. Quelques minutes passèrent et je voyais le bijoux qu'il avait sur le front briller, je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, mais en fait j' m'en foutais royalement. Je m'approchais de lui pour être tellement près que je sentais son coeur battre. Quoi, il a un coeur lui ? Mais depuis quand les animaux ont-ils un coeur ? Depuis quand on débarquait de nulle part pour être la à la vue de tout le monde ? Pff je ne comprenait décidément pas la vie humaine. Et je ne l'a comprendrait d'ailleurs jamais. Je fixais cet imbécile en haussant les sourcils et en ayant les poings serrés.

 

L'équidé ricana en entendant la réplique acerbe de la jeune femme. Non, il n'aimait pas faire peur aux gens, et encore moins pour une "putain de babiole". Il lui répondit en prenant une voix mielleuse, bien différente de celle avec laquelle il avait parlé au vieillard.

- C'était davantage une requête qu'une tentative d'intimidation, pour tout vous dire. Et puis, ça fait depuis des heures que je tourne en rond dans ce trou perdu sans trouver ce que je recherche. Je suis épuisé et j'ai perdu le contrôle pour une broutille. La goutte d'eau qui fait déborder le vase, en quelque sorte.

Il marqua une pause, sans vraiment savoir s'il devait justifier la nature de ses recherches. Il décida de jouer l'honnêteté et étaya ses dires.

- Des objets anciens, notamment. Je suis explorateur, archéologue à mes heures perdues, et j'adore tout ce qui se rapporte aux époques antiques.

Il hésita une nouvelle fois. Dire qu'il cherchait de quoi assouvir sa soif de sexe n'était peut-être pas un choix avisé non plus. Aussi se garda-t-il d'apporter cette précision. Les dieux lui avaient peut-être envoyé une femme, il n'était pas encore assuré de copuler avec. L'entité supérieure qui l'observait n'allait quand même pas lui offrir une femelle facile, le zèbre devait se battre un peu pour l'avoir.

- Vous invitez à prendre un verre maintenant serait sans doute malvenu, même si je vous disais qu'il s'agirait d'une façon de me faire pardonner. Je préfère donc vous demander votre nom et entamer une discussion civilisée avec vous.

Zebra se préoccupait peu des passants qui, encore aux alentours, gardaient les yeux écarquillés devant cette scène insolite. Le soleil avait lentement gravi quelques échelons dans le ciel et il serait bientôt midi. L'estomac de l'équidé gargouilla, indiquant sans méprise possible qu'il avait faim. Il adressa un regard appuyé à son interlocutrice, désireux d'obtenir une réponse rapidement.
Si elle devait refuser, soit. Il n'avait pas l'intention d'insister plus que cela. Les intentions de Zebra étaient plus ou moins limpides, de toute façon. Il venait de crier qu'il recherchait une femme, après tout. Si elle déclinait son offre, il n'allait quand même pas employer la force, tout de même. L'épisode certes malheureux du vieillard ne s'était produit que suite à l'accumulation de frustration et de fatigue, rien de plus. À présent qu'il avait laissé sa colère éclater, il était plus calme et plus réfléchi.