Dans sa forêt, Élise était du genre farouche. Elle n’osait évidemment pas l’admettre, mais le monde extérieur, pour ce qu’il représentait, l’effrayait. Jadis, ses seules interactions avec le monde extérieur lui avaient valu de finir violée et laissée pour morte dans la forêt. Autant dire que, à partir de là, elle avait une certaine appréhension à l’égard du monde extérieur. Pour autant, si un étranger s’amusait à le lui dire, elle ne l’admettrait jamais, et s’énerverait. Une femme, surtout une Reine, avait sa petite fierté. Sur le coup, Élise ne comprenait pas pourquoi ce gros chien riait. En quoi ce qu’elle avait dit était drôle ? Est-ce qu’il se moquait d’elle, est-ce qu’il croyait qu’elle ne pouvait pas le tuer ? Il avait l’air costaud, oui, mais, face au venin d’une araignée, la taille ne servait à rien. Et, dans la toile d’une araignée, se débattre ne faisait que renforcer les liens qui vous serraient. Le gros chien s’avançait le long de la forêt en continuant à la narguer, et elle ne savait pas si cette attitude était liée à sa force réelle, ou à son inconscience. C’était la première fois que quelqu’un n’était pas impressionné par elle, alors que, généralement, les étrangers, aussi bien que ses sujets humains, tremblaient fortement en pénétrant chez elle, une sensation qui, par ailleurs, était particulièrement délicieuse.
Mais lui ? Il restait imperturbable en attendant, s’enfonçant le long des couloirs de soie, semblant très bien s’accommoder de la situation présente. Cette conversation sans voir son interlocuteur, qui, en temps normal, aurait déstabilisé n’importe qui, semblait en réalité l’amuser, continuant à troubler la petite Élise. Elle réagissait comme un animal, et, face à un danger, une araignée avait trois options, qu’elle appliquait successivement : fuir et se cacher, faire la morte, ou attaquer. Élise ne pouvait pas fuir, car elle était chez elle. Elle ne pouvait pas non plus faire la morte, car, pour faire ça, il faudrait que le sujet la croit vraiment morte. L’araignée faisait ça quand elle ne pouvait pas fuir, qu’elle sentait le prédateur se rapprocher, et qu’elle voulait que ce dernier l’ignore, en supposant qu’un prédateur ne s’intéresserait pas à une proie morte. Il ne restait donc que l’option de lui bondir dessus pour envoyer son venin, mais Élise hésitait, faisant appel à son humanité pour envisager de discuter et de négocier... Ce qui était perturbant pour elle, qui était habituée à ce qu’on la craigne, et qu’on accomplisse spontanément ce qu’elle demandait.
« En effet, mais, en général, les dirigeants se servent de messagers ou autres espions pour ce genre de renseignements, et non se déplacent en personne ? »
Élise pencha la tête sur le côté, sceptique. Vraiment ? Elle l’ignorait totalement, pour être honnête. Elle n’était pas au fait des coutumes internationales et diplomatiques dans les autres régions du monde, mais, dans un certain sens, on pouvait considérer ses araignées comme ses messagères, même si elles n’émettaient aucun message, et se contentaient simplement de marcher.
« Les coutumes des autres pays ne m’intéressent pas ! siffla-t-elle, menaçante. Je suis Élise, Reine des Araignées, et personne n’a à me faire de leçons ! »
Le ton était assez incisif, et Élise se déplaçait rapidement, tandis que le gros chien était désormais entouré par la soie, puisqu’un mur de soie se trouvait devant lui. Une sorte de rempart menant au trône de la femme. Un rempart qu’Élise pouvait soulever, si elle avait confiance en l’inconnu.
« Je te conseille de ne pas te frotter à cette toile... Tu es dans la chambre des doléances, et quantité d’araignées microscopiques circulent ici, et commencent à te grimper dessus. Des soldates si petites qu’elles se glissent entre tes poils, remontant le long de ton corps. Elles ne te piqueront pas, sauf si j’en donne le contraire. Et, si tu ne ressentiras pas la piqûre de l’une d’entre elles, si elles sont des milliers à te piquer simultanément, laisse-moi te dire que tu t’écrouleras sur le sol... »
Bluffait-elle ? C’était un risque assez difficile à prendre. Une toile vint alors s’abattre devant le démon. Élise était dessus, se tenant en hauteur, et l’observait silencieusement, ployant légèrement les genoux, ses yeux rouges regardant le gros chien.
« Je suis Élise, Reine des Araignées, martela-t-elle. Décline ton identité et tes intentions, gros chien. »