Une chatte qui parle... Encore un peu, et tu te serais crue dans l’une de ces contes pour enfants, ces contes merveilleux, où la logique n’a plus de place, et où tout est potentiellement réalisable. Allais-tu voir des théières se mettre à chanter en harmonie avec des tasses de thé, maintenant ? Tu te surpris à un léger sourire, alors que la chatte se remit sur la table, parlant à Flagg, d’une voix féminine, mais assez... Miaulante. Du moins, c’est comme ça que tu l’aurais résumé. La chatte alla ensuite, avec une espèce de dédain qui semblait caractéristique de cette fière race, se poser sur la chaise à côté de toi. L’autre femme, arrivée de manière impromptue, se présenta comme Kumiko, une kitsune yokai. Ce simple mot signifiait qu’elle venait d’un monde où les Terranides n’étaient pas nombreux. Lequel, tu n’aurais su le déterminer. En revanche, tu étais alors assez surprise de voir que le fait de débarquer dans un monde inconnu ne semblait nullement choquer cette femme. Était-ce à cause de toi ? On disait que les anges avaient, par leur bonté naturelle, le pouvoir d’adoucir les mœurs, et de tempérer les peurs. Vrai ou pas, Kimuko s’était mise à vous renifler, probablement une manière d’appréhender son environnement. Au fur et à mesure de tes voyages, tu découvriras que les Terranides ont en effet un odorat très développé.
« Moi c'est Kimuko ! Je suis une Yokai Kitsune. Et j'adore découvrir des nouvelles choses ! »
Un léger sourire traversa les lèvres de Flagg, qui avança l’une de ses mains pour caresser la tête de Kimuko, entre les deux oreilles.
« Voilà bien une chose dont je ne doute pas, lui sourit-il. Les Terranides sont par nature aventureux et curieux de tout. Je vous encourage à prendre place auprès de notre petite compagnie, avant que les serveurs ne s’inquiètent de voir une femme assise sur une table. »
Flagg semblait être l’incarnation de la bienveillance, de ces mages un peu vieux qui voyaient les autres avec un œil paternaliste. A cette époque, tu ne pouvais pas te méfier de lui, tu ne pouvais pas deviner ses réelles intentions, et ce dont il était capable. Personne ne le pouvait. Sa malice semblait égaler celle de Satan, le Malin. Randall s’imposait naturellement comme le dirigeant de cette expédition. Les serveurs vous amenèrent des boissons, et tu te contentas d’une bouteille d’eau. Tu étais une Ange, après tout.
« Bien... Maintenant que les présentations, certes sommaires, sont faites, nous pouvons aborder le cœur du sujet : l’objectif de la quête, et le paiement. Comme vous le savez peut-être, les principales guildes de Nexus ont rédigé ensemble une charte qui fixe de manière conventionnelle l’ensemble des dispositions concernant les quêtes. Une quête est ainsi une sorte de convention, juridiquement reconnue, et encadrée. La quête de Lud n’est pas de mon fait personnel, entendons-nous bien sur ce point, mais émane d’une décision collégiale de la part de l’Académie de Nexus. »
Tous ces atermoiements juridiques t’ennuyaient déjà. Contrairement à d’autres Anges, comme Bath Kol, tu n’avais jamais été portée sur l’érudition. Cependant, tu savais que, à cette époque, Nexus était une cité mondialement reconnue, et dont sa lueur se répandait partout, jusqu’à la lointaine et dangereuse Ashnard, sans oublier cette nation en voie d’émergence, Tekhos. A cette époque, les dirigeants nexusiens avaient une forte activité législative, tournant autour du commerce, et de tout ce qui se rapprochait, comme les quêtes. Nexus était terre d’aventures, de guildes, et d’aventures farfelues. Devant les nombreux abus, les dirigeants avaient ainsi établi des règles. Flagg était dans son rôle, tout simplement. Il sortit un papier de sa poche, et le présenta. Il portait le titre « CONVENTION DE QUÊTE », et il y avait, en fin de page, l’emplacement réservé aux signatures. Roland et lui avaient déjà signé. C’était une sorte de parchemin qu’on pouvait enrouler.
« Je vous en prie. Lisez et signez. Ne prenez pas cette convention à la légère, elle nous autorise, en tant qu’aventuriers officiellement reconnus, à nous aventurer dans des endroits où, en temps normal, il nous faudrait solliciter des autorisations administratives, dont les formalités sont assez ennuyeuses à obtenir. »
Tu considéras le papier avec suspicion. Il comprenait des termes juridiques, un véritable assemblage de phrases longues et complexes. La rémunération se composerait du « butin acquis », ce qui n’avait pour toi aucune importance. Tu signas donc rapidement, et Flagg récupéra ensuite le papier, une sorte de rouleau de parchemin, avant de le ranger.
« Bien... Cette petite formalité faite, notre but est de trouver Lud. Lud est une cité qui présentait un niveau technologique très avancé, et qui, d’après les différentes informations que mes élèves et moi avons pu glaner dans les bibliothèques, était une cité flottant sur l’eau, sur une espèce de grosse plateforme. Il y aurait eu, à un moment, une terrifiante tempête, qui aurait sabordé les piliers de la plateforme. L’origine de cette tempête est sujette à discussion. Pour certains, la tempête aurait eu des conditions météorologiques, mais d’autres chercheurs parlent d’un gigantesque monstre de mer, « Léviathan », qui aurait attaqué Lud. Toujours est-il que, depuis cette période, Lud suscite bien des fantasmes, en raison, justement, de son haut niveau technologique. C’était une ville qui avait un fort commerce maritime. Elle utilisait des appareils pour s’enfoncer dans les profondeurs océaniques, et y trouver des gisements précieux, et elle se livrait à une sorte de piraterie étatique, ce qui, comme vous vous en doutez, entretient le fantasme d’un trésor. »
Il but un peu, reprenant son souffle. Tout en lui était réussi. Il avait la voix d’un orateur, d’un professeur qui enseignait dans les amphithéâtres.
« De nombreuses expéditions ont eu lieu pour trouver Lud, certaines financées par les gouvernements, d’autres non. Les Tekhans se sont notamment montrés les plus désireux de retrouver Lud. Mais la cité, jamais, n’a été retrouvée. A tel point que certains affirment qu’elle aurait sombré.
- Comment comptez-vous la retrouver, alors ?
- Il existe des cartes nautiques. Lud, voyez-vous, n’était pas une cité figée sur place. Elle se déplaçait, et plantait ses piliers près de zones exploitables. Et les nombreux navigateurs de Lud avaient avec eux des cartes nautiques pour pouvoir suivre le déplacement de Lud. Je pense que Lud n’a pas sombré, et je pense qu’elle s’est égarée le long de sa trajectoire. A l’aide de cartes nautiques, et en recoupant la trajectoire de la ville avec d’autres informations, je pense être en mesure de localiser avec plus ou moins de précision la cité magique.
- D’autres informations ? Lesquelles ?
- J’ai mené mes recherches, notamment pour me renseigner sur les tempêtes, afin d’essayer de trouver celle qui aurait détruit Lud. J’ai trouvé plusieurs cataclysmes atmosphériques qui pourraient correspondre, et que j’ai indiqué sur cette carte. »
Flagg sortit un autre rouleau de parchemin, et, en le déroulant, dressa une carte du monde. Il y avait de grands cercles rouges ici et là.
« L’itinéraire de Lud me permettra de savoir où chercher, et devrait nous permettre de trouver Lud. »
Il laissa la carte sur place pendant quelques secondes. Son plan avait l’air sensé, et, même à cette époque, tu ne doutais pas de la méticulosité de cet homme. Flagg ne laissait rien au hasard, à tel point que, avec une vision rétrospective des choses, tu te demandais s’il n’avait pas, par tu ne sais quel moyen, anticiper la présence de cette mystérieuse fausse chatte, et de la kitsune.
« Des questions ? »