À peine quelques semaines que je flâne dans le coin, et ce que je peux déjà constater, c’est que le Japon, c’est pas l’Angleterre. Même si certains trucs y ressemblent. La bouffe, notamment. Putain, qu’est-ce que ça peut être dégueulasse. Bouffer les putains de spécialités japonaises, c’est comme se torcher le cul avec des branches d’orties. Quand je vois comment les japonais ont l’air coincé, je me dis que manger ces horreurs tous les jours, ça a de quoi taper sur le système. À peine arrivé, j’ai réussi à chopper quelques trucs, bah ça a pas loupé. Une chiasse d’enfer. Hiroshima dans mon caleçon. Cela dit, j’ai intérêt à m’y habituer, parce que je risque de rester là un moment. Ca a ses avantages, aussi. Seikusu est une ville où il fait bon être en fuite. Un tas d’endroits pour se planquer, la masse qui couvre la majeure partie de mes déplacements, et puis, principalement, bien trop éloigné de mon pays pour que les gens aient entendu parler de moi. Enfin... Presque tous les gens...
J’ai eu quelques soucis, récemment.
M’enfin, c’est pas comme si j’avais pas l’habitude. Par contre, au niveau underground, une mine d’or, cette ville. Deux jours et j’avais déjà un flingue, mais ça je le dois à Philip. C’est incroyable, j’ai rencontré ce type en taule, et il a des contacts dans le monde entier ! Il m’a suffi de prononcer son nom, et hop, j’ai eu ma pétoire. Et mes munitions. Bon, par contre, il va falloir que je me fasse respecter. J’ai encore rien foutu. Je me contente de vivoter, de voler deux / trois trucs de temps à autres, de les revendre pour pouvoir bouffer au moins une fois par jour - bouffer de la merde, toujours hein, mais c’est mieux que de se balader l’estomac vide. - et de squatter des bâtiments abandonnés pour dormir. C’est pas une vie. Je suis venu là, je veux faire profil bas, mais c’est pas une raison pour me contenter de rien ! J’ai envie de monter un truc. Un coup. Un cambriolage de maestria. Un vol qui me permettra de voir venir un peu. J’ai bien envie de tester les flics japonais.
D’ailleurs, ça me fait penser à la baraque que j’ai remarqué il y a quelques jours. Il n’y a que dans ce pays où on peut voir ça. Une immense maison, avec un jardin magnifique. Surement une riche famille, comme il y en a plein. Et d’après mes observations, ils sont pas nombreux. Bon, ils ont l’air de pratiquer le sabre - ça aussi, on n’en trouve qu’au Japon. Hey, on est dans un monde moderne, les mecs ! - mais une balle, ça va plus vite qu’une lame. Et en plus, je fais des rimes. Enfin, toujours est-il qu’il doit y avoir quelques richesses dans cet endroit, et qu’une petite visite me ferait le plus grand bien. On ne profite jamais assez de la brise nocturne.
C’est pour ça que je suis là. Devant le mur d’enceinte. On est Samedi, la nuit est tombée, tout est calme. La petite famille doit être en train de se détendre. J’ai entendu du bruit tout à l’heure, sûrement l’un des membres en train de se balader dans le jardin. L’autre fois, en repassant devant, j’ai croisé une jeune femme en sortir. Un port altier, une longue chevelure noire, un uniforme parfaitement taillé. Sûrement la fille. Mignonne, en plus. Et comme j’ai pas vu beaucoup de femmes pendant mes années de prison, je dois dire qu’elle était bandante.
Enfin, c’est pas la question. J’ai pas de plan d’attaque. Juste mon gun et ma cervelle. Et ma connerie. Je rehausse mes lunettes de soleil sur mon nez - oui, il fait nuit noire, et je porte mes lunettes. Faites pas chier, c’est un hommage. - et je me mets en devoir d’escalader ce foutu mur. Ce n’est pas très compliqué. Je cours, je prends appui d’un pied, en balançant mes mains vers le haut... Et je m’écrase au sol. Tiens, j’ai mal évalué la distance. Le cambrioleur de merde, franchement. Je soupire en me relevant, avant de chercher du regard une solution.
Et elle s’impose. Un arbre, qui borde le mur. Je m’en approche, je l’escalade habilement, rapidement, avant de fixer le jardin lorsque je le surplombe. Personne. Il y a de la lumière dans plusieurs pièces à l’intérieur, mais rien de dangereux, pour le moment. Je vais pouvoir entrer sans me faire remarquer. Je fixe le sol, derrière le mur, et je m’élance.
Mes jambes se déplient, et je m’envole par-dessus la pierre. Lorsque mes pieds touchent le sol, je me laisse tomber en accompagnant le mouvement d’écrasement, et je roule, avant de me remettre accroupi. Infiltration réussie, visez-moi l’artiste.
J’ai fais un peu de bruit, mais j’espère qu’ils n’ont rien entendu. La baraque est si grande qu’elle en est éloignée de la grande porte, donc je ne m’inquiète pas trop. Je me rapproche, silencieux, sur mes gardes, me dissimulant dans les buissons au cas où l’un des membres de la riche famille ne sorte pour prendre l’air. Et je finis finalement par parvenir à portée d’oreilles. J’entends plusieurs voix discuter dans une des pièces éclairées, attenantes au jardin. Et je décide de filer vers l’autre lumière, isolée. Cette grande pièce doit être une salle commune, et j’ai pas envie de tomber sur le vieux japonais maître des arts martiaux, comme dans les films. Peut-être que la gonzesse s’est isolée dans sa piaule.
Me faufilant dans les ombres, mon regard aux aguets, je m’approche de la fenêtre de la chambre, dissimulé dans l’obscurité. Et je sors mon arme. Si elle me remarque et qu’elle essaie de prévenir le reste de la famille, j’espère bien que la vue du canon de mon flingue la dissuadera de gueuler. Et si, après observation, je jauge qu’il est trop ardu d’entrer par là, ils ont bien laissé ouvert une des fenêtres ou des portes. J’aviserai, de toute façon.
Je suis un champion en impro.