Je pète le feu ces derniers temps. Bizarrement tout va pour le mieux : j'ai le moral au beau fixe toute la journée, je dors moins et pourtant vachement mieux. Je me suis même remise à courir au parc pour ne pas tout dépenser au lit avec mon homme. Je sais que ce genre d'abstinence ne me ressemble pas, mais sinon Kyle n'aurait pas à raccrocher les collant : je ne lui laisserais pas la moindre occasion de les enfiler. Tout ça pour dire que je suis montée sur ressors depuis la Book Party. Comme la playmate qu'on a fini par appelée et épuisée, je croyais c'était la joie des retrouvailles. Mais ça fait un mois et je pense qu'il y a quelque chose là-dessous. Aujourd'hui j'ai cassé six craies au lycée. Mes élèves aussi disent que "j'en pète", pourtant même eux ont été surpris par ma maladresse.
Il faut que j'en parle à Kyle, c'est forcément lié à lui et ses pouvoirs. C'est pas spectaculaire, juste des petits mieux qui s'empilent. Alors je rentre à l'appartement et je vais sans doute faire comme d'habitude. J'ai trouvé une honteuse parade au sempiternel "tu devrais pas m'attendre". Un tas de copies pas corrigées ou de cours à moitié faits sur la table basse, et je peux mentir à mon homme sur ce qui me tient éveillée. Puis je peux le chouchouter toute la nuit avant de finir mon boulot en urgence à la récré le lendemain, comme la dernière des cancres. Je pensais pas être capable de me contenter d'un seul homme, même celui de ma vie, pourtant c'est le cas. Je traine le matin pour rester avec lui, puis file ventre à terre à l'appartement pour le retrouver ou l'attendre.
Une fois de plus je trouve l'appartement vide. Je laisse donc tomber ma serviette de cours et j'allume la télé en commençant déjà à me déshabiller. Je regarde juste cinq minutes puis je sors cavaler un peu pour me changer les idées.
... en deuil des amis proches, une compagne et -qui sait ?- des enfants. Sur le net, des messages de soutien à sa famille fleurissent. Toute la rédaction se joint à moi afin de saluer celui qui aura tant fait pour le Japon, souhaitant qu'il trouve la paix qu'il aura toujours cherché à apporter au monde. Et maintenant, dans l'actualité internationale...
Dans la seconde, je me mets à haïr ce muppet en costume gris qui vient d'annoncer la mort de l'amour de ma vie avec encore moins d'émotions qu'une défaite de l'équipe de foot. Et la seconde suivante...
[Quelques jours plus tard...]C'est pas la grande forme, et c'est normal. Les secondes sont devenues des minutes, les minutes des heures, et de fil en aiguille plus d'une semaine a passé. Appartement-lycée, lycée-appartement, je ne fais rien d'autre que l'attendre, le guetter, scruter le ciel à travers toutes le fenêtres. Même si je fais bonne figure au lycée ça commence à se voir. Je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir sans nouvelles. Je me répète sans cesse qu'il va revenir, que rien ne pourra le retenir indéfiniment mais je ne suis plus certaine d'y croire. Une fois de plus je m'acharne, et si je viens à craquer...
C'est d'autant plus dur que beaucoup de monde porte son deuil. Ceux qui croyaient en lui et ne voient pas plus loin que leur écran de télé passent déjà à autre chose. Mais il y en a d'autres, quelques uns qui refusent de lâcher l'affaire et m'aident à tenir sans le savoir. Aujourd'hui j'ai rendu des devoirs d'expression écrite, dont cinq qui parlaient de Sentinel Prime. Des sortes d'hommages d'ados encore rêveurs qui ne veulent toujours pas croire que leur idole a disparu.
Enfin ! Je remballe mes affaires et je file, comme toujours. Il faudra bien que je me décide à faire les courses ce week-end, quand j'aurais vraiment que ça à faire. Je voudrais qu'au moins Wonder Girl me rende visite. Ça doit être aussi dur pour elle que pour moi, et c'est sans doute la raison de son silence à elle aussi. Je voudrais pouvoir en parler à au moins une personne.
Soudain, à peu près à la moitié du chemin, je m'arrête à l'entrée d'une ruelle. Du bruit et des voix basses, nerveuses.
" Magne-toi ! On va se faire pécho !
- Si tu fais pas le pet c'est sûr que... Merde ! "
Ils sont deux, ils portent des sweat à capuche et des foulards pour masquer leur visage. Mais à peine tournent-ils les yeux vers moi qu'il s'enfuient dans la direction opposée. L'un d'eux lâche quelque chose au pied du mur, et manque de trébucher sur une poubelle. J'approche pour voir ce qui se tramait, je sais trop ce qui peut se passer dans ce genre d'endroits. Maintenant que le grand gentil en collants n'est plus là pour faire peur aux méchants... Mais ce que je découvre m'arrache mon premier vrai sourire depuis ce qui me semble déjà une éternité. Un S rouge dans un prisme rouge, au-dessus des mots incomplets "STIL LIV".
Je me penche pour ramasser la bombe de peinture que le fuyard a laissé tomber, et je complète le tag... J'en profite aussi pour corriger.