[Espace] Wormhole Express - PV

{...Check up systèmes embarqués... DONE.
...Relance de l'acheminement EuQUANTA... DONE.
...Reprise des protocoles de pilotage par unité ADAM... FAILURE.
...Reprise des protocoles de pilotage par unité ADAM... FAILURE.
......._
......._
...Dérivation des protocoles de pilotage vers FATA MORGANA... FAILURE.
......._
...Lancement des procédures de réveil unité ADAM... IN PROGRESS.}

Non loin de la Terre, le Wormhole venant de s'ouvrir. Bien que personne n'avait put y assister, le spectacle avait été intéressant. En effet, à l'endroit où allait s'ouvrir le vortex, l'espace avait semblé se tordre sur lui-même avant d'enfler en cercles concentriques chargés d'éclair énergétiques qui, après s'être éparpillés anarchiquement, s'étaient réunis au centre de l'anomalie pour y exploser. La nuit éternelle de ce petit bout d'univers s'était éclairée d'un très léger flash orangé et finalement, une sorte de bouche s'était ouverte pour dévoiler le corps torsadé d'un couloir épais qui avait expulsé la forme humanoïde armurée de couleur blanche avant de se refermer aussi brutalement -mais moins spectaculairement- qu'elle était apparue. L'unité Unicorn 099 venait d'achever son voyage improvisé à travers le temps et l'espace pour dériver à présent comme un vulgaire morceau de ferraille sans vie. Flottant mollement dans l'espace qui bordait la Terre, l'armure immaculée semblait inanimée. Poutant, dans l'esprit même de l'être biologique qui se terrait sous ces couches superposées d'alliage, c'était la cacophonie. La petite voix aux intonations féminine de l'IA évolutive nommée Fata Morgana exposait les opérations actuellement en cours sur un ton morne et monotone.

Les opérations de réveil consistaient en de petits chocs électriques destinés à relancer la conscience par des stimulis douloureux, mais pour l'ADAM, le choc avait été rude. Durant la mission de routine qu'était la récolte de minerai sur une lune quelconque, un débris l'avait violemment frappé. Le choc direct n'avait pas impacté l'être biologique, mais la décharge qui en avait résulté l'avait assommé sérieusement. Heureusement, d'après les vérifications de la Fata Morgana, il était toujours en vie et en bonne santé. Cela prit quelques minutes avant que finalement l'homme aux cheveux clairs ne s'éveille, intimement mentalement le silence à son IA cérébrale. Après une dernière information bénigne, celle çi obtempéra, laissant l'Adam prendre le temps de récupérer tout ses moyens. Combien de temps s'était écoulé depuis son arrivée hors du vortex ? Impossible à dire.
099 n'eut pas besoin, lorsqu'il ouvrit les yeux, de demander des informations sur sa position et son environnement à la Fata Morgana. Celle çi les lui indiquait silencieusement de façon visuelle, comme "gravant" sur sa rétine des bulles informatisées de renseignement. Mais au final, ça ne lui apprenait pas grand'chose.

- Position actuelle ?
{Cadran 69.41 du secteur 2814.}

- Distance du SSDI3 ?
{789 Nicrons.}

- Retour possible avec énergie actuelle ?
{Chances de succès : 0.001%.}

Le Mercurius était donc bien trop éloigné pour que l'ADAM pense à le rejoindre. L'être artificiel ne témoigna d'aucune réaction particulière, pas même d'un haussement de sourcil. A vrai dire, un ADAM n'avait même pas conscience d'être et ne se considérait en aucun cas comme une personne. Alors la peur de la mort où des conséquences de cette dérive spatiale n'avait rien pour l'émouvoir, d'une façon où d'une autre. Son destin à lui importait peu, mais ses ordres étaient stricts : ramener l'unité Unicorn 099 à la base. Or, c'était là une chose impossible. ADAM ne possédant pas de raisonnement particulier où d'esprit curieux, la raison de son éloignement si conséquent de son point d'ancrage ne le heurta pas. Toutefois, il fallait qu'il sache quoi faire pour l'armure.

- Protocoles conseillés ?
{..._..._...Nouvelles directives protocolaires...Se diriger vers planète habitable la plus proche pour attendre de nouvelles directives. Calcul vers planète conforme : DONE. Distance estimée : 3.2 Nicrons. Itinéraire rétinien optimal implanté.}

En effet, la vision d'ADAM afficha une sorte de route, semblable à un GPS flottant dans l'espace. Se mettant à bouger, il lança l'armure sur la trajectoire prévue en adoptant une vitesse réduite afin de se permettre d'analyser les données reçues. Après tout, aucun protocole n'interdisait aux unités biologiques de faire le point sur un éventuel nouvel environnement et rien ne risquait de déranger le voyage de l'armure blanche qui évoluait tranquillement dans l'espace en direction de la planète bleue, un sillage argenté élégant craché depuis ses puissants propulseurs dorsaux.

« J’ai froid. »

Un silence quasi-religieux parcourut la salle. On n’entendait plus que le ronronnement apaisant des nombreux ordinateurs présents dans la pièce. Les spécialistes avec leurs gobelets en plastique ne songeaient même plus à ingurgiter leur taux quotidien de caféine, contemplant le grand écran central dans lequel on voyait une image fluctuante, montrant un immense voile noirâtre parsemée de petits points blancs brillants. L’espace. L’image bougea alors, montrant, au loin, un satellite, ainsi qu’un aperçu de la courbe de la Terre.

« Et c’est pratique pour se gratter le nez, précisa la voix féminine.
 -  Officier Hawkes, vous réalisez que vous êtes le premier être vivant sur Terre à pouvoir respirer dans l’espace sans scaphandre ?
 -  Oui, Monsieur.
 -  Et c’est tout ce que ça vous inspire ?
 -  Vous m’avez demandé de retranscrire toutes mes observations... Et j’ai une envie phénoménale de me gratter le nez depuis que je suis entrée dans la thermosphère. »

L’agent de liaison ne troua rien à répliquer, et Rachel put un peu mieux observer l’endroit où elle se trouvait. C’était l’espace. Immense. Silencieux. Vide. Et froid. Maintenant qu’elle avait retiré la partie de son armure protégeant son visage, elle sentait ce froid lui agresser le visage. Nonobstant ce léger détail, Rachel se sentait bien... Sereine, et heureuse. Elle était dans l’espace ! Elle se retournait, voyant la surface bleutée du champ de force généré par son armure, qui permettait de retenir les gaz que l’armure produisait autour d’elle.

Elle passa cinq bonnes minutes à répondre aux interrogations des agents restés en contrebas. Oui, elle allait bien. Oui, elle respirait sans problème. L’opération était un vrai succès, et elle sentait le soulagement perler, autant dans la voix des agents de la base, que dans la sienne. Jusqu’à la dernière minute, elle avait craint qu’il y ait un échec quelque part, une défaillance système, une erreur logiciel, ou que l’oxygène ne soit pas correctement produit par son armure. Mais rien de tout cela n’était arrivé. Elle était partie de la base militaire de Seikusu, afin d’évaluer les performances de l’armure. Concrètement, l’objectif était de l’envoyer dans l’espace. Cette mission faisait partie de tout un programme de tests. Il y a quelques semaines, Rachel avait du voler dans le ciel en essayant d’aller aussi vite que possible. L’armure en avait vibré, et elle avait du actionner son champ de force pour éviter de partir en morceaux. Elle avait dépassé la vitesse atteinte par le X-43, atteignant Mach 10 avant que des systèmes d’alarme ne commencent à se déclencher. Ce n’était pas l’armure qui avait lâché, mais son propre corps.

Cette nouvelle mission comprenait plusieurs objectifs. Le premier était de traverser l’atmosphère pour atteindre l’espace. Traverser cette couche de l’atmosphère qu’on appelait la thermosphère avait été la partie la plus difficile, celle où elle avait du enclencher son champ de force pour éviter que les plaques de l’armure ne soient endommagées. Elle s’était ensuite retrouvé dans l’espace, et avait étendu son champ de force autour d’elle, ce dernier formant une sphère bleuâtre translucide qui l’enveloppait. Ce faisant, l’armure avait commencé à lancer des protocoles permettant de reproduire et diffuser les réserves d’oxygène figurant dans l’armure.

« Okay... Effectuez quelques déplacements, Officier Hawkes. »

Rachel obtempéra, enclenchant les fusées de son armure, se mettant à avancer à vitesse très réduite. Le champ de force suivait sans problème, et elle n’avait aucune difficulté respiratoire quelconque.

« Parfait... Accélérez progressivement... »

Elle obéit, en profitant pour regarder autour d’elle. Qui n’avait pas rêvé, un jour, d’aller dans l’espace ? Rachel rêvait aussi de pousser à fond les performances de l’armure. Sur Terre, l’atmosphère et la gravité ralentissaient et compliquaient la vitesse, mais ici, dans l’espace, hors de la Terre, la gravité était bien moindre. Elle y songeait distraitement en regardant, au loin, la Lune, lorsqu’elle reçut un signal. Rachel referma son casque immédiatement. La vision informatique se mit en place. Déstabilisante au début, cette vision lui permettait de voir ce qui se passait autour d’elle depuis des séries de caméras implantées à différents endroits de son armure. C’était comme un genre de jeu vidéo... En pire. Tout fonctionnait mentalement, grâce aux pointes dans son épiderme et aux nanomachines, et elle consulta le signal qu’elle avait reçu.

« Pourquoi vous arrêtez-vous, Officier ?
 -  Les capteurs de l’armure ont détecté un corps émettant une signature électronique à proximité.

« A proximité » était un bien grand mot ; le corps en question était à quelques milliers de kilomètres. Une broutille dans l’espace.

« Je vous transmets sa position exacte, selon mes capteurs. »

Dans l’espace, les capteurs de l’armure avaient une portée bien plus longue, car il n’y avait que peu d’interférences : satellites, stations spatiales... Et rien d’autre.

« C’est curieux, répondit au bout d’un moment son agent de liaison. Il n’y aucun satellite dans cette zone...
 -  Je demande l’autorisation d’aller voir.
 -  Nos propres radars n’y ont pas fait attention... »

Ceci signifiait que ce n’était pas un corps suffisamment gros pour qu’on daigne s’y intéresser. Il ne pouvait pas non plus s’agir d’un astéroïde. Rachel reçut l’autorisation, et fonça vers la position indiquée. Elle constata rapidement que, dans l’espace, on pouvait aller bien plus vite, et elle ne se priva pas, ne ressentant plus les mêmes sensations de vertige que sur Terre. Le champ de force la suivait, et elle atteignit rapidement une vitesse supersonique, filant au-dessus de Mach 1. Elle aperçut bientôt le corps... Il dégageait une espèce de traînée argentée qui rappelait à Rachel la poussière astrale qu’une comète laissait dans son sillon.

« Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Officier, faites attention !
 -  L’armure détecte des signaux organiques... Mais... C’est bizarre...
 -  Des signaux organiques ? Ce n’est pas possible, elle doit se tromper.
 -  L’armure ne se trompe jamais. Vos propres mots.
 -  Mais c’est quoi, ce truc ?! A ce que je sais, nous n’avons encore perdu aucun spationaute dans l’espace.
 -  C’est peut-être le Colonel Hawkins...
 -  Qui ça ?
 -  Vous devriez aller plus souvent au cinéma, Monsieur. »

Les capteurs de Rachel détectaient un corps humanoïde, dans une curieuse armure spatiale. Rachel aurait cru voir une espèce de version humaine de ces jouets pour enfants inspirés des mangas. Elle se rapprocha rapidement, décélérant progressivement.

« Vous repérez un badge quelconque ? Un symbole qui pourrait nous indiquer quel pays a perdu son astronaute ?
 -  Non, Monsieur.
 -  Sûrement les Européens, ça... »

Rachel ne rajouta rien, se rapprochant de l’homme. La gravité les attirait tous les deux vers la Terre, très faiblement.

*Comment je peux communiquer avec lui, moi ?*

{Objet en approche rapide. Distance : 1.85 Nicrons. 1.84. 1.83. 1.82...}

- Corps spatial ?
{Négatif. Alliages métalliques, éléments organiques. Déplacement par propulsion propre.}

- Unité Unicorn ou autre appartenant au SSDI3 ?
{Négatif. Signal inconnu. Unité 099 ciblée, trajectoire de l'objet calculée pour rencontre.}

Jusque là, le vol dans l'espace de l'ADAM 099 vers cette Terre qui était sa destination s'était faite sans encombres. L'Unicorn avait profité de son trajet pour enregistrer quelques données sur une grande planète gazeuse et s'était intéressé à ses lunes, tout comme les relevés concernant le soleil de ce système avaient été cataloguées. Rien de bien excitant ni de réellement digne d'un intérêt quelconque pour l'ADAM, qui de toutes façons n'aurait pas su s'émouvoir de quoi que ce fut. De la rencontre avec une flotte intersidérale complète traversant son champ de vision jusqu'à l'apparition même de Dieu devant son viseur, l'être artificiel n'aurait fait grand'cas de rien, se contentant tout bêtement de laisser tourner les caméras implantées sur son armure. Au mieux aurait il prit soin de ne pas laisser cette dernière être endommagée... Donc, autant dire que l'élément incongru qui venait d'être détecté par l'Unicorn et évoqué par son IA cérébrale ne lui soufflait ni le chaud, ni le froid. Toutefois, une pointe de contrariété (dont il ne parvint pas à saisir le sens) le piqua. La route vers son objectif sera allongée et ça, c'était désagréable. Le protocole devait être respecté et si cela pouvait être fait le plus rapidement possible, c'était encore mieux. On enseignait aux ADAM l'efficacité, pas la curiosité ou l'inquiétude.
099 maintint sa vitesse de croisière, calquant sa direction sur celle de l'objet non-identifié pour être certain d'aller à sa rencontre. Rapidement, il vérifia l'imposante lame montée sur son poignet gauche, encore en position de repos, tandis que sur son bras droit les montages de l'armure glissaient, libérant les gueules multiples d'une mitrailleuse Gatling visiblement plus gonflée et puissante que les modèles ordinaires. Inutile, pensa t'il, de déployer tout son Pack Armada. ADAM le savait pour l'avoir apprit durant sa formation : peu de blindages pouvaient résister à des tirs d'armes QUANTA. Alors, pourquoi prévoir plus ?

Finalement, l'objet fut en vue. Rouge, doré, élancé. Indubitablement, cette chose lui évoquait une armure assez similaire à la sienne, quoi que plus compacte. D'ailleurs, la carrosserie était curieusement fondue et étudiée.
Un instant, ADAM 099 resta planté là, face à cette arrivée sang et or, le canon à peine menaçant. Si il avait voulu tirer, nul doute qu'il l'aurait déjà fait depuis un moment.

- Communication possible ?
{Balayage radio en cours. Canaux piratables détectés... ONLINE.}

ADAM ignorait si c'était rendu possible par la volonté de la personne dans l'armure ou si c'était parce que son IA était plus perfectionnée que celle gérant le scaphandre métallique face à lui, mais il ne s'en émut pas. Sa voix monta alors, monocorde et sans intonation particulière, sur tous les canaux trouvés par la FATA MORGANA. Pour un peu, elle aurait tout eu de la synthétisation virtuelle, bien qu'elle fut pour le coup parfaitement organique.

- Unicorn 099 à Unité Inconnue. Déclinez votre matricule et votre SSDI d'appartenance. Je répète. Unicorn 099 à Unité Inconnue. Déclinez votre matricule et votre SSDI d'appartenance.

Parce qu'il était impossible de regarder la personne face à lui droit dans les yeux, l'ADAM parcouru son armure du regard sans que la sienne n'esquisse un mouvement de tête. Après un instant, l'être artificiel s'arrêta sur le poitrail de l'engin non présenté, qui lui semblait un peu trop bombé pour ne rien cacher. Et, le plus naturellement du monde, il exposa le fond de sa pensée en avançant sa main à l'épée, tâtant les renflements du buste pour s'assurer que le volume qu'il percevait n'était pas dut à un jeu d'ombres.

- Emplacement de batteries mal étudié, se contenta t'il de placer.

C’était une mission particulière, atypique. Envoyer une armure militaire sur orbite. Il fallait bien qu’il se déroule un évènement atypique, comme une rencontre avec une autre armure spatiale. Sur le coup, Rachel ne savait pas trop quoi faire. L’armure était-elle hostile ? Pacifique ? Elle s’y rapprochait lentement, ayant beaucoup diminué sa vitesse, se laissant presque porter par son propre poids. L’armure détectait des signaux organiques, des impulsions électroniques, signe que l’armure semblait continuer à fonctionner... Mais quid de son porteur ? S’il y avait un porteur. Elle avait actionné son champ de force, au cas où l’armure devait être menaçante.

« Elle ne dérive pas, glissa alors son agent de liaison. Si c’était un programme russe ou chinois, je crois qu’on le saurait déjà... »

Rachel était un peu plus sceptique. La CIA n’était plus ce qu’elle était, mais elle ne pouvait pas le dire ouvertement à son supérieur. Il suffisait d’une simple femme et de quelques mails pour faire tomber son directeur. C’était une bonne illustration du niveau actuel de la CIA. Mais elle imaginait mal les Russes ou les Chinois envoyer, eux aussi, une armure, dans l’espace. Rachel y arrivait parce qu’elle disposait d’un générateur d’énergie révolutionnaire, fonctionnant sur une nouvelle ressource énergétique. Elle-même ignorait d’ailleurs comment son pays avait réussi à créer une telle machine. Le fait est qu’elle portait une armure révolutionnaire, un prototype unique. Impossible qu’un autre État au monde ait pu concevoir une réplique. Cette armure qui se déplaçait dans l’espace n’était pas d’origine terrestre.

Elle aurait peut-être du s’en sentir flattée, mais, dans sa tête, il lui revenait à l’esprit tous les messages des films d’actions traitant du sujet, et elle restait donc méfiante. D’autant plus que ses capteurs avaient remarqué la curieuse forme d’une arme de combat sur son bras droit. Rachel se rapprochait ainsi tout doucement, pour éviter que cette première rencontre ne dérive en une boucherie. Elle ne doutait pas des capacités de son armure, mais, dans la mesure du possible, elle préférait éviter le scénario-catastrophe. Elle était ainsi entrée dans le cercle intime de l’homme, lorsqu’elle reçut une étrange communication. Un « signal inconnu », comme le lui indiqua son IA.

« Unicorn 099 à Unité Inconne. Déclinez votre matricule et votre SSDI d'appartenance. Je répète. Unicorn 099 à Unité Inconne. Déclinez votre matricule et votre SSDI d'appartenance. »

Unicorn ? SSDI ? Elle ignorait à quoi ces termes se référaient. Le plus étonnant, toutefois, était que cet homme parlait sa propre langue. Elle en fut tellement surprise qu’elle ne réagit pas sur le coup... Alors que l’homme lui touchait la poitrine.

« Emplacement de batteries mal étudié » commenta-t-il.

Elle cligna des yeux, sans savoir quoi dire.

« Il me tripote les nibards, lâcha-t-elle à son agent de liaison. Je fais quoi ? Je lui en colle une ?
 -  Nous préférions éviter que la première rencontre avec une armure motorisée spatiale dégénère en incident diplomatique. C’est peut-être... Je ne sais pas, moi, une forme de salutations ? Il faut dire que vos seins ne sont pas franchement très discrets.
 -  Oui, Mère Nature a été généreuse avec moi, soupira Rachel.
 -  En tout cas, il est armé, et visiblement conscient, reprit l’agent de liaison sur un ton plus sérieux. Essayez d’entamer une conversation constructive. »

Rachel ferma les yeux, agacée, et répondit au « signal inconnu », tout en s’écartant un peu.

« Je suis l’Officier Rachel Hawkes. Je vous aurais bien donné mon numéro de sécurité sociale, mais je ne crois pas que cela vous dira quelque chose. Je fais partie de l’armée des Etats-Unis, et, si j’en crois votre trajectoire, vous avez prévu d’atterrir en plein milieu de l’Atlantique. »

 Rachel Hawkes reprit prudemment :

« Quelles sont vos intentions ? Vos objectifs ? Que signifie les sigles que vous employez ? Unicorn, SSID ? Les habitants de la Terre n’ont pas spécialement l’habitude de recevoir des touristes intergalactiques. »

Elle entendit son supérieur grommeler. Ce n’était pas un ton très protocolaire, mais Rachel était une soldate assez directe. De plus, elle ne pouvait pas menacer l’homme de quoi que ce soit. Aux dernières nouvelles, aucune loi n’interdisait à un étranger de se promener dans l’espace.

Pour ADAM, l'effet bombé sur la partie haute de l'armure d'un modèle inconnu lui faisant face ne pouvait être qu'un défaut de fabrication, une erreur survenue lors de la finition de la machine. En effet, l'être artificiel n'avait absolument aucune notion concernant le "sexe opposé" ni même sur le sexe dans ses différentes applications. Pour lui, son appareil intime n'était aucunement génital mais uniquement "pratique", servant seulement à réguler les liquides inutiles au bon fonctionnement de son organisme. Aussi son geste n'avait il eut aucune connotation déplacée et aucune incidence sur son état moral. ADAM avait laissé l'inconnu reculer avant qu'il ne daigne lui répondre sans s'en inquiéter particulièrement, bien que les gueules métalliques de sa gatling s'étaient elles aussi déplacées avec prudence. Sur la rétine du porteur de l'Unicorn 099 s'étaient affichés de nombreux réticules de visée, tous braqués sur la tenue métallique en rouge et or. Tandis que la FATA MORGANA analysait les failles de l'opposant potentiel, ADAM réalisait que la voix qui lui avait répondu avait des intonations plus fluettes que toutes celles qui avaient déjà passé le seuil de ses oreilles. Elle lui évoqua un peu la tonalité mentale de la MORGANA, lorsque cette dernière lui transmettait des informations.
Quelque peu troublé -sans comprendre le pourquoi de cette sensation intérieure- il marqua un temps d'arrêt avant de répondre. D'ailleurs, son numéro de série était curieux, à cette armure.

- Je suis un ADAM, modèle 36 de la série C, pilote de l'unité Unicorn 099, code 3443.2445.B.Z3 Salutations, Officierrachelhawkes. Si votre numéro de Sécuritésociale signifie votre appartenance à une des branches de PEGASUS, merci de le communiquer pour accès à la base de données. En attente.

Il nota dans un coin de son esprit le reste des informations, qui ne lui apportèrent rien. "Armée des Etats-unis", "Atlantique"... La FATA MORGANA archiva les termes, sans que ni l'IA ni l'être artificiel ne s'y intéressent davantage. Le reste des propos de Officierrachelhawkes fut analysé et rapidement, la MORGANA donna son verdict quant à la révélation des éléments demandés.

{Protocole diplomatique autorisé. Accès permis pour désignation. Accès refusé pour explications sur énergie QUANTA. Accès refusé pour révélation mode PEGASUS. Accès refusé pour révélation de la présence d'aide mentale informatisée FATA MORGANA. Accès refusé pour détail armement unité UNICORN. Accès autorisé pour informations sur séries ADAM. Accès autorisé pour révélation sur objectifs actuellement en cours.}

- Unité Unicorn 099 à destination de Terre 1.5 pour désignation de nouveaux objectifs de mission. Le terme UNICORN désigne le modèle d'armure d'exploration et de combat le plus récent issu des usines PEGASUS, modèle adapté pour la réponse à des situations et des environnements extrêmes pouvant être rencontrés lors des missions dans les dimensions inconnues du Multivers. Les Unicorn appartiennent aux armures dites DBA - Dimensional Battle Armor - dont ils sont les séries de Type 0. Le terme SSDI signifie Station Spatiale Indépendante. Les SSDI servent de points d'ancrage aux équipes d'exploration lancées dans le tissu du Multivers mais aussi de passerelle vers l'univers zéro, dit "univers d'origine" - des missions SSDI commandées par PEGASUS.

Si le ton de l'armure opposée avait été plutôt détendu et même ironique (tournure de phrase vaguement subtile dont ADAM ne saisissait nullement les finesses), l'exposé issu de l'armure blanche s'était fait sur un ton détaché d'élève récitant sans âme une leçon apprise par coeur. Sans reprendre son souffle, aussi. Vraiment, c'était un fait : ADAM n'avait rien de motivant, d'excitant. Que pouvait on attendre d'un produit d'usine, après tout ? Mais maintenant qu'il avait répondu, il estimait que c'était à lui de poser les questions.

- Demande d'identification du modèle DBA. Demande d'identification de la série du pilote. Demande d'objectif de la DBA inconnue. Si les objectifs ne sont pas donnés par PEGASUS et qu'ils interfèrent avec la mission en cours de l'Unicorn 099, le protocole de combat pourra être activé. Comme en guise de ponctuation, les canons de la gatling firent un tour sur eux-même. Réponses attendues.

Alors que la scène prenait des airs lointains de duel au soleil dans la rue centrale d'une ville de Far West, un évènement presque insignifiant se produisit. Une petite pluie de débris spatiaux frappa la zone où se trouvaient les deux protagonistes en armure. Rien qui ne puisse réellement inquiéter l'un où l'autre, à un petit détail près.
Une petite roche était venue percuter un des systèmes de propulsion du 099, déjà mal réglé. Sur l'instant, cela ne produisit rien et même la FATA MORGANA considéra l'incident comme mineur. Seulement, à l'endroit de l'impact, l'énergie QUANTA parcourant l'armure immaculée était ré-acheminée vers le système de portail clandestinement installé...

Stationnant dans l’espace, Rachel ne tarda pas à recevoir des réponses... Si on pouvait appeler ça des réponses. Le principe d’une réponse était d’éclaircir un problème. Or, les réponses de ce... De ce truc apportèrent d’autres questions. Elle ne comprit quasiment rien à sa première réplique, et la seconde fut tout aussi obscure. Bien qu’elle comprit que l’idée était probablement de l’aider à mieux comprendre qui était Adam, elle ne comprit que la moitié des informations. De ce qu’elle capta, cette armure s’appelait Adam, mais elle supposa que ce nom n’avait rien de biblique, et que c’était plutôt un acronyme. Il fallait donc le lire « ADAM ». Elle se désignait comme l’« Unicorn 099 », UNICORN était un autre acronyme désignant des armures de combat fabriquées par PEGASUS, probablement une personne morale dirigeant des usines.

*J’ai l’impression d’être dans un roman de Philip K. Dick...*

Le reste fut néanmoins un peu plus nerveux, car Rachel perçut clairement les systèmes de combat d’ADAM se mettre en place. Son ton ne devenait pas pour autant agressif, restant froid et monocorde. C’était probablement un genre de robot. Il était même possible qu’il n’y ait rien d’autre, sous cette armure, qu’une IA très perfectionnée.

« J’ai l’impression qu’il devient hostile, glissa Rachel à son opérateur. Je fais quoi ?
 -  Laissez-moi le temps de réfléchir, répliqua rapidement l’agent de liaison.
 -  Il a parlé du multivers, d’une station spatiale, mais je n’ai pas spécialement tout compris...
 -  Le multivers est une théorie scientifique sur l’existence d’univers parallèles au nôtre. C’est quelque chose de très prisé par les auteurs de science-fiction, mais...
 -  Bordel, je n’ai pas le temps des explications de collégiens ! J’ignore ce qu’est une DBA, et encore moins ce qu’il demande !
 -  Vous croyez qu’il y a un protocole prévu pour ce genre de situations ?! Merde, vous avez été désignée pour ce genre de missions, alors, improvisez !
 -  Euh... Vous vous foutez de moi, là ?
 -  Vous disposez de l’armure la plus puissante qui ait jamais été conçue par l’armée la plus puissante de tous les temps ! Faites ce que nous avons toujours fait dans ce genre de situations.
 -  C’est-à-dire ?
 -  Faites-lui comprendre que vous en avez sous le pantalon. Ça a toujours marché. »

Si Rachel redescendait d’ici, elle se promit d’en coller une à cet abruti. Elle ferma les yeux, réfléchissant rapidement, et commença à faire chauffer ses moteurs, ses mains se mettant à luire. D’un autre côté, son agent n’avait pas tort. Elle allait devoir faire preuve de diplomatie, et la diplomatie n’était réellement efficace que si les deux parties savaient qu’elles avaient plus à perdre en s’affrontant, plutôt qu’en cherchant un compromis. Elle s’adressa à nouveau à l’ADAM, essayant, réflexe typiquement humain, d’adopter un ton sérieux et sobre.

« J’ignore ce qu’est un modèle DBA, ainsi que ce que vous attendez. En revanche, ce que je sais, unité ADAM, c’est que vous vous êtes perdu. Pouvez-vous communiquer avec votre base, votre... SSDI ? »

Faire douter une IA était à la fois plus difficile et plus simple que faire douter un humain. Il fallait raisonner sur le terrain de la logique pure.

« Vous vous êtes perdu, répéta-t-elle. Si vous m’attaquez, je répondrais en conséquence. Si vos scanners sont performants, vous savez que je dispose de canons plasma suffisamment puissants pour faire de gros trous dans votre armure. Et je n’hésiterais pas non plus à faire feu. Adopter une posture agressive n’est pas dans votre intérêt. »

Rachel avait un peu peur. Elle connaissait les capacités de résistance de l’armure, mais elle ignorait la puissance de feu dont cette armure était capable. Elle se tenait donc prête à frapper, ses bras concentrant l’énergie nécessaire pour balancer deux puissantes charges de plasma. Ce fut à ce moment que son officier de liaison estima nécessaire de se mettre à parler :

« Écoutez, vous, lâcha l’homme. Je suis le Capitaine Marcus Dawn. Qui que vous soyez, sachez que nous disposons d’une solide puissance de feu, et que nous n’hésiterons pas à faire feu si vous vous montrez agressifs. Cessez immédiatement votre comportement hostile, ou nous considérerons cela comme une agression. Nous ignorons qui vous êtes, d’où vous venez, mais nous savons où vous finirez si vous nous attaquez ! »

Voilà qui était très diplomate...

{Dérivation des flux énergetiques de l'unité Officierrachelhawkes. Probabilité de passage en situation de combat : 76.3%. Activation du QUANTA SHIELD préconisée. Stabilisation des particules en cours_}

Bien que la FATA MORGANA eut décelé un mouvement pouvant être considéré comme agressif, l'armure immaculée ne bougea pas et la gatling qui tenait en joue le corps spatial sang et or se contenta de cliqueter lorsque l'équivalent de ses crans de sécurité furent ôtés afin de délivrer une potentielle réponse rapide. ADAM, lui, analysait les paroles de Officierrachelhawkes pour tenter les comprendre correctement et de savoir comment les interpréter. Son protocole de base était plus basé sur le diplomatique que le militaire et la rencontre éveillait "quelque chose" dans le cerveau artificiel. Était-ce l'intonation de voix inhabituelle de l'ADAM qui devait porter cette armure inconnue ? La curieuse malfaçon qui bombait le carénage avant ? Possible. Mais la seule rencontre dans le cadre de cette curieuse situation qu'ADAM vivait était déjà particulière et avait de quoi réveiller chez lui un instinct humain primaire très basique : cet appétit mental que l'on nommait curiosité. Plus la situation évoluait, plus la curiosité d'ADAM était stimulée. C'était la première fois que des questions lui venaient à l'esprit sans être instantanément effacées ou comblées par la FATA MORGANA. Doucement, une certaine forme d'excitation naissait de cette montée d'interrogations.
Lentement, ADAM découvrait et se surprenait déjà à vouloir "savoir comment tout cela pourrait bien finir". Néanmoins, il n'en oubliait pas sa mission que de toute façon son IA se chargerait de lui remémorer.

- Incapacité de communiquer avec le SSDI, Officierrachelhawkes. Vous portez un équipement de type armorisé, ressemblant aux UNICORN de PEGASUS dans leurs fonctions. Déclinez le nom de la série de votre modèle pour enregistrement sur base de données.
{Bouclier opérationnel. Armure inconnue des bases de données PEGASUS, archivage en cours. Estimation de la puissance de feu ennemie... IN PROGRESS.}

ADAM ne connaissait pas plus le doute que sa FATA. Oh, il était certainement capable d'en ressentir dès lors qu'on parviendrait à actionner en lui les bons mécanismes, mais pour l'heure ce n'était nullement le cas. Pratiquement incapable d'une réflexion personnelle, ADAM ne pouvait pas être attaqué sur un plan psychologique. Restait que la menace de "faire de gros trous dans son armure" ne lui plaisait pas. Ses supérieurs n'apprécieraient pas que le 099 soit endommagé sans raison.
Il allait rétorquer quand la voix de Officierrachelhawkes changea pour quelque chose de plus proche de ses interlocuteurs habituels. Pour ADAM, c'était l'équivalent de la FATA MORGANA qui s'était adressé à lui, un programme nommé Capitainemarcusdawn. Et le programme était plus belliqueux qu'autre chose.

- Proposition acceptée, Capitainemarcusdawn. Comparaison de la puissance de feu pour détermination de l'unité dirigeante lancée, dégâts non-létaux programmés.
{Systèmes offensifs : ONLINE. Situation de combat : ONLINE. Attaque autorisée.}

La gatling cracha son feu alors que ses têtes se mirent en branle, leur tournoiement libérant des nuées de projectiles énergétiques en direction du ventre de l'Officierrachelhawkes. Rien qui n'entamerait réellement son blindage, mais des impacts lourds qui l'empêcheraient de couper la retraite de l'UNICORN. En effet, l'unité profitait du feu nourri qu'elle délivrait pour reculer à la faveur de ses réacteurs, se mettant à bonne distance tandis que ses tirs devenaient bien moins précis. Ils cessèrent quand une dizaine de mètres séparèrent les deux armures, mais ADAM fonçait déjà de nouveau vers Rachel, la lame de son épée jusque là scellée sur son avant-bras s'étant à présent fixée de façon offensive.
C'était une attaque directe et grossière, qui n'avait pour but que d'économiser de l'énergie QUANTA. Arrivé à portée, ADAM délivrerait une coupe descendante,  de l'épaule droite de l'unité rouge et jaune jusqu'à sa hanche. Mais il n'y allait pas sans protection : les particules qui s'étaient accumulées lui constitueraient un bouclier frontal très efficace pour environs deux assauts. Ensuite, il ne pourrait plus compter que sur son blindage et ses reflexes.

Mais en vérité, la FATA MORGANA estimait -certainement bien mal- les probabilités d'une contre-attaque efficace à moins de 30% et l'idée même d'être en danger ne fut même pas prise en compte.

« Proposition acceptée, Capitainemarcusdawn. Comparaison de la puissance de feu pour détermination de l'unité dirigeante lancée, dégâts non-létaux programmés. »

Comparaison de la puissance de feu ? Dégâts non-létaux ? Qu’est-ce que ça voulait dire ?! Rachel eut peur de le comprendre, et l’idée commença à peine à effleurer son esprit que l’ennemi fit feu. Des balles fondirent sur le torse d’Iron Girl, qui sentit son armure s’affoler. Les balles frappèrent sa cuirasse, enfonçant son bouclier de protection pour se heurter au solide blindage de l’armure. L’armure se mit à son tour en mode offensif, mais Rachel, pendant ce court laps de temps, fut un peu trop surprise pour réagir.

« Cet enfoiré attaque ! hurla Marcus dans son intercom. Répondez, bordel, répondez ! »

Rachel grogna, et préféra afficher un diagnostic. L’intégrité structurelle de l’armure était toujours là, et elle laissa le diagnostic dans un coin de sa vision. On y voyait une représentation de l’armure, avec des zones qui clignotaient, indiquant les points d’impact. Un pourcentage indiquait l’intégrité structurelle de l’armure. Si ce pourcentage tombait à 0%, les différentes plaques composant l’armure se disloqueraient. Les dégâts étant superficiels, Rachel déclencha un protocole de réparation, affichant dans un autre coin de son HUD l’état de ses batteries. Son générateur fonctionnait à l’antimatière, et, normalement, le risque de tomber à court d’énergie frôlait le néant absolu. Néanmoins, il fallait éviter une surchauffe du générateur, car ceci immobiliserait son armure, le temps que la ventilation s’opère.

Le mystérieux homme en armure cessa de tirer, ses tirs étant de toute manière moins efficaces. Il avait mis une petite distance de sécurité entre lui et Iron Girl, mais se rapprocha d’elle, une espèce de lame énergétique constituant le prolongement de son bras. Les scanners de l’armure analysèrent en quelques millisecondes cette épée, dont la source d’émission semblait être un dispositif fixé à l’avant-bras de l’homme en armure. En voyant la lame énergétique, Rachel vit un message clignotant s’afficher sur son viseur : « DANGER ! »

*Ça, je l’aurais parié...*

Combattre avec tous ces messages qui s’affichaient continuellement avait été pour elle une véritable épreuve de nerfs. S’il lui avait fallu des mois pour piloter l’armure, ce n’était pas pour rien, elle avait du suivre une rigoureuse formation. Elle vit l’homme se rapprocher, et décida d’inverser les rôles.

*De nous deux, mon coco, c’est toi le touriste spatial... De plus, on n’attaque pas une femme sans raison, ce n’est pas très galant.*

Rachel tendit ses mains, et les paumes se mirent à luire, crachant des rayons plasma similaires à ceux d’Iron Man. Deux traits fusèrent de ses mains, traversant rapidement le léger espace séparant l’homme de la femme. En heurtant l’armure, les deux traits repoussèrent ce dernier, sans visiblement lui infliger de dommages significatifs. Iron Girl actionna alors ses propulseurs, et se mit à décoller très facilement, n’ayant aucune contrainte atmosphérique ou gravitationnelle qui la retarderait. Elle tendit alors son bras droit, et, autour de son poignet, des plaques se dévoilèrent, libérant plusieurs petits missiles. Il ne fallait pas se fier à leur taille, car ces derniers comprenaient de puissantes charges faites avec une solution d’uranium. Elle les balança, et quatre missiles fusèrent, n’émettant aucun son, formant quatre petits traits qui tourbillonnèrent vers leur cible. D’autres armes sortaient également de l’armure d’Iron Girl, notamment au bout de ses doigts. Des électrodes et des tiges lui permettaient d’envoyer des arcs électriques la faisant presque ressembler à une Sith.

« Considérez ceci comme un ultime avertissement, menaça Rachel. Réitérez, et j’utiliserai toute ma puissance de feu. »

Iron Girl était pour le coup relativement sérieuse.

D'eux deux en fait, Rachel était le véritable touriste spatial. Après tout, les unités ADAM et leurs armures UNICORN étaient créées dans un but d'exploration et de conquête, étudiés jusque dans chaque fibre par les plus brillants cerveaux de PEGASUS. L'armure immaculée pouvait sembler plus encombrante et moins manœuvrable que le modèle qui lui était opposé dans cette joute d'un nouveau genre, mais elle prenait justement tout son sens dans de pareilles situations extrêmes. Si Officierrachelhawkes n'avait subit aucun dommage significatifs alors que la gatling avait craché son plomb lumineux, c'était surtout parce que la puissance accordée à l'action avait volontairement été dérisoire. Toutefois, il aurait été injuste de dire que l'armure écarlate n'y était pour rien : elle s'était rétablie de l'assaut de diversion bien plus aisément que les calculs de la Fata Morgana ne l'avaient prévu et le passage en situation de combat d'Officierrachelhawkes n'avait pas été sans surprendre ADAM.

Les décharges qu'il encaissa ne l'atteignirent même pas, facilement repoussées par le QuantaShield déployé préventivement quelques secondes auparavant. Pourtant, l'impact avait été brutal et avait proprement stoppé la charge de l'être artificiel, forçant la FATA à renconsidérer nombre de paramètres qu'elle n'avait pas jugé bon de prendre en compte jusque là. Ces secondes de non-assistance se traduisirent par une immobilisation totale de l'UNICORN, qui aurait put sembler vaincue.
ADAM et FATA avaient péché par orgueil, sans même avoir conscience d'en posséder un.

{Projectiles explosifs à haute vélocité lancés. Protocole d'es-}

ADAM n'écouta pas la suite, pour la première fois de sa très courte vie. De lui-même, l'humain artificiel bougea et lança ses réacteurs dorsaux pour s'écarter de la trajectoire première des missiles qui lui étaient destinés. Si il y avait eu du son, nul doute que l'être aurait entendu le sifflement des projectiles fuselés passés à quelques courts centimètres de lui. ADAM n'était pas dupe : les roquettes pouvaient tout à fait revenir, sans compter qu'Officierrachelhawkes se préparait déjà à une nouvelle charge. Soit.
L'UNICORN tendit sa main gauche en direction de l'armure opposée et le flux rougeâtre qui apparut brilla un instant avant de fuser, semblables aux décharges de plasma qu'elle avait lancées. Cette fois, ADAM attaquait pour endommager. Mais ce premier tir n'était là que pour qu'elle puisse en estimer la puissance, tout en pouvant l'éviter facilement. Comme pour dire "voilà ma puissance de feu, à moi ! Tu vois ? Tu comprends que tu n'as pas le monopole de la puissance ?" ADAM était incapable de se lancer dans une joute verbale, et jouait avec les pauvres éléments qui étaient à sa portée.
Sabre au clair, il fonça une nouvelle fois pour tenter une coupe horizontale, mais les éclairs le surprirent. Sans qu'il s'en soucie de prime abord, un d'eux le toucha d'ailleurs. Aucun effet ! Jusqu'à l'instant où, arrivé à portée de Rachel, l'être n'arme son bras pour porter un coup d'épée frontal.

Il ne comprit pas ce qu'il se passa. Quand son coude fût ramené en arrière, une explosion survint au niveau du côté bas-gauche de son dos, le surprenant. ADAM l'ignorait et la FATA le calculait juste, mais l'éclair avait en fait endommagé la zone d'acheminement du QUANTA vers le créateur de portail clandestin et l'avait placé en sur-tension excessive. L'explosion avait donc été une forme d'évacuation du QUANTA en surplus, mais n'avait pas suffit, déclenchant les fonctions du générateur. Ainsi, sous les yeux des deux combattants, une anomalie spatiale un peu trop puissante s'ouvrit, comme si dans un périmètre réduit l'espace s'absorbait lui-même.

{Singularité spatio-dimensionnelle détectée. WARNING ! WARNING ! WARNING ! Protocole de désengagement ! WARNING ! WARNING !}

Ses systèmes de propulsion ayant été touchés par la déflagration, ADAM ne put se dégager de la puissance force d'attraction qui se dégageait du vortex. Rachel aurait certainement put le faire, elle.
Seulement  voilà : l'énergie QUANTA mal redirigée avait produit un phénomène inédit de magnétisme. Et comme les deux armures étaient presque au contact, elles se retrouvèrent comme soudées l'une à l'autre. Ce qui suffisit pour que tas de ferraille ainsi formé ne soit avalé par le wormhole.

Le plus troublant, dans un combat spatial, c’est qu’il n’y avait pas de son. En soi, c’était logique. Dans le vide intersidéral, il n’y avait pas assez de matière pour permettre aux ondes acoustiques de se propager. Mais ça restait toujours troublant, surtout pour une Américaine qui avait grandi au son des vaisseaux spatiaux et des batailles galactiques. Elle le fut quand elle vit les missiles filer en spirale, mais sans émettre un seul son, aucun de ces sifflements stridents qu’on vous servait au cinéma. ADAM vit les missiles arriver, et réagit assez vite, car il les évita promptement. Les missiles filèrent dans le vide, explosant assez rapidement. Rachel n’y fit plus attention, voyant l’ennemi foncer vers elle. Ses capteurs ciblèrent la main gauche de l’armure, où quelque chose rougeoyait.

ATTENTION ! lâcha de manière agressive un avertisseur. Rachel pesta, et actionna son bouclier, sentant une violente décharge qui fit vibrer l’armure. Aucun dégât sérieux, mais l’armure volante fonça vers elle, sa lame énergétique brandie.

« Bordel de merde ! » s’exclama Marcus dans son communicateur.

Elle n’avait pas le temps de le fermer, et réagit en envoyant instinctivement ses arcs électriques. Les éclairs fusèrent, alors que l’ennemi était proche. Elle tenta une manœuvre d’esquive, mais les éclairs, aimantés vers leur cible, touchèrent quelque chose d’important. Ses capteurs repérèrent une espèce de fuite énergétique sur le corps de l’armure, une sorte d’explosion. DANGER ! DANGER ! DANGER ![ semblait rugir l’armure, alors que les capteurs énergétiques de Rachel s’affolaient. Une espèce de puits était en train de se former, englobant les deux armures. Rachel utilisait ses propulseurs à fond, mais était inexorablement attirée, tandis que l’énergie avait du mal à circuler dans son armure.

« ...Ra... KRRRRRRRRRRRRRRRRRR... ‘Bor… KRRRRRRRRRRRRRRRRRR… ‘Le camp…
 -  Je ne vous entends pas, répétez ! »

De gros points d’exclamation dansaient devant les yeux de Rachel, alors qu’une alarme se mettait à résonner, et qu’une série de messages défilait devant ses yeux. Perturbation énergétique importante repérée à proximité. L’intégrité structurelle de l’armure est menacée. Iron Girl pesta, constatant qu’elle était entraînée dans une espèce de déchirure. La seule comparaison qui lui vint à l’esprit était une espèce de mélange entre un trou noir et une Porte des Étoiles. Elle était collée contre l’armure du mystérieux agresseur, et fila dans le trou. Il n’y avait aucun hurlement extérieur ; à l’intérieur de l’armure, les alarmes rugissaient, à lui donner mal au crâne, tandis qu’elle perdit pour de bon le signal de Marcus.

*
*  *

« Novaquiennes, Novaquiens, la température extérieure ambiante est de 28°C. La toxicité de l’air à Novac City est de 1.36%. Nous rappelons aux visiteurs qu’une promotion exceptionnelle est disponible aux galeries marchandes La Gardienne. »

Le long des longues rues de Novac City, des grands boulevards aérés, des parcs publics, des artères commerciales, ou des plus petites rues romantiques avec des rivières artificielles, on pouvait entendre, venant de la part de drones circulant dans le ciel, ou le long des rues, les mêmes messages publicitaires, entrecoupés de musiques d’ambiance discrète. Une atmosphère calme et estivale, en somme. Novac City n’était pour autant pas une ville parfaite, et la police se devait d’être là.  C’est ainsi que l’inspecteur Hamley se trouvait hors de son véhicule de patrouille une place, sirotant un café sur une place publique. Elle se retourna, observant la circulation des véhicules. Elle venait de Tekhos Metropolis, où elle avait réussi à obtenir une mutation pour Novac. On ne manquait pas de boulot ici non plus, mais l’atmosphère était bien moins polluée qu’à la capitale, et Hamley avait moins l’impression d’étouffer. Elle continua à boire son café, délaissant le café où une borne automatique vous servait rapidement. Ceci lui évitait d’avoir à parler avec d’autres personnes, et, dans le fond, c’était toujours ça de pris. Elle s’approcha de sa voiture, et rentra à l’intérieur, puis consulta l’ordinateur de bord. Sa patrouille était plus tranquille pour le moment, mais, en plein après-midi, il se passait rarement quelque chose. Elle allait renfiler ses lunettes d’assistance pour conduire, quand son regard glissa sur un immense panneau publicitaire le long de la façade d’un des grands immeubles :

LES IMPLANTS SONT L’APANAGE DU FUTUR !

Hamley esquissa un léger sourire.

« Ouais, peut-être que je devrais y songer... »

Elle enfila ensuite ses lunettes, et se mit à démarrer, suivant les trajectoires prédéfinies par son ordinateur de bord. La voiture n’était pas très large, lui permettant de circuler rapidement, mais l’usage des lunettes était indispensable pour que les yeux ne soient pas largués par la rapidité que le véhicule pouvait atteindre. L’assistance au pilotage était incroyablement forte, et Hamley se laissait piloter, avant de recevoir un appel du Central.

« Un 215-C a été repéré dans votre secteur, Officier.
 -  Un 215-C ? Des dégâts ?
 -  L’objectif a heurté l’un des pylônes de l’autoroute urbaine. Une vigilance extrême est requise.
 -  Okay, okay... J’y vais. »

Hamley termina l’appel, et vit une nouvelle destination se configurer sur son ordinateur de bord, et la suivit, tandis que, à l’extérieur, les gyrophares s’activeraient. C’était effectivement juste à côté, et elle serait donc la première sur place. Elle s’avança rapidement, filant le long d’une rue, apercevant l’autoroute urbaine, située en hauteur. Ce tronçon menait tout droit au cœur de la ville, le complexe de gratte-ciel de MERCATEL. Elle fila dans les petites rues serpentant sous le pont, et vit de la fumée partout, ainsi qu’une espèce de cratère.

*Voilà qui justifie le 215-C...*

Au sein de la police novaquienne, comme au sein de chaque police organisée et administrative, il y avait une série de codes. « 215 » désignait une explosion ayant pour origine un objet aérien, la lettre déterminant la gravité de l’impact. « C » correspondait à un impact faible, mais suffisamment important pour faire des dégâts. Si Hamley avait eu des nanoimplants dans le cerveau, ces derniers lui auraient immédiatement indiqué à quoi ce code correspondait. Fort heureusement, l’inspectrice avait une bonne mémoire. Vu le cratère fumant, le code était en effet justifié. Elle sortit de la voiture, voyant une série de badauds. Arme au poing, elle s’avança.

« Reculez tout le monde ! »

La flic s’avança lentement, entendant d’autres gyrophares. La cavalerie se rapprochait, et elle se mit à craindre que ce ne soit l’un de ses missiles qui explosaient après être entrés en contact avec le sol. Elle avait lu des articles sur ces saloperies utilisées par certains groupuscules terroristes. Elle était donc prudente et nerveuse, serrant la crosse de son arme, et se pencha vers le cratère. Il n’était pas très profond, et elle vit, au milieu de la fumée, des canalisations crevées répandant de l’eau, et des fils électriques dénudés crachotant dans le vide, une espèce de carcasse recouverte de plaques pulvérisées.

*Tout compte fait, le code 215 n’est peut-être pas justifié...*

Hamley avait toutefois un problème. Sur le coup, elle ne se souvenait plus s’il existait un code pour désigner le gars d’une chute aérienne provoquant un trou dans le sol.

*
*  *

Tout avait duré moins d’une seconde pour se retrouver de l’espace dans un ciel inconnu. Quand on passe du vide absolu à un endroit avec de la gravité et une atmosphère, il peut se passer plusieurs choses d’un seul coup, a fortiori quand vous êtes dans une armure volante. Pour passer de l’atmosphère terrestre à l’espace, Iron Girl devait changer différents modes de l’armure, activant des propulseurs différents, bien plus puissants, car, dans l’espace, on n’était pas soumis aux mêmes contraintes que sur une planète. Or, au moment d’être happée dans une autre dimension, Rachel avait enclenché ses propulseurs à la pleine puissance disponible, histoire de pouvoir s’échapper de cette distorsion qui l’avait attiré. C’est ce facteur qui, en partie, expliqua pourquoi elle se mit à tomber comme une pierre, formant une espèce de petit astéroïde qui alla s’écraser contre le sol, telle une mouche s’écrasant contre un pare-brise. L’autre facteur qui justifia sa chute fut le transfert inattendu par un Portail dimensionnel d’une dimension à l’autre. Le SHIELD, naturellement, était au courant de l’existence de ces portails, et savait que passer d’un monde à l’autre pouvait parfois avoir des conséquences néfastes sur les systèmes électroniques. Ils pouvaient être déréglés, et c’est précisément ce qui lui arriva.

Ne pouvant plus contrôler ses propulseurs, Rachel se mit à foncer droit vers le sol, la gravité l’attirant à elle. Des alarmes et des messages venaient l’agresser, alors que l’armure continuait à tomber. DANGER ! DANGER ! INTÉGRITÉ STRUCTURELLE EN PÉRIL ! RÉDUISEZ L’ALLURE ! Le seul problème était que Rachel ne comprenait plus rien. Elle était prisonnière de sa propre armure, et vit une série d’immeubles. Elle en effleura un, sentant plusieurs plaques être arrachées sous cette vitesse vertigineuse, ses boucliers ne fonctionnant plus très bien. Elle eut le temps de pousser un bref gémissement avant d’heurter avec fracas l’un des gros piliers d’une autoroute urbaine, le transperçant de part en part, avant de violemment s’écraser contre le béton, au milieu d’une rue.

En sang, son armure brisée, Rachel eut juste le temps de voir, entre deux nuages, des visages se pencher vers elle. Du sang s’échappait de son nez et de ses lèvres, et l’armure ne répondait plus. Le générateur, en revanche, ce petit disque monolithique, était toujours intact. Rachel aurait sans doute pu s’en féliciter, mais elle était bien trop cassée pour ça. Elle sombra dans le coma, ne parvenant même pas à dire un son.