Kaer Morhen «
Ce n’est pas une cible habituelle pour moi… -
Vous... Vous ne pouvez pas refuser... -
Je n’ai pas dit que je refusais, répliqua tranquillement la femme en buvant un peu de son hydromel.
Mon domaine de prédilection, c’est la chasse aux monstres, pas aux humains. -
Les Maîtres-Huants n’ont rien d’humains ! Ils défendent des pratiques païennes qui impliquent des sacrifices humains ! Ils se sont acoquinés avec la Couleuvre, capturent les enfants de la région, et escroquent les commerces ! -
Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi vous ne demandez pas directement de l’aide au prévôt... »
La femme émit un rictus de mépris. Elle regarda autour d’elle, mais personne ne les espionnait. Cirillia et elle se tenaient à l’Auberge de l’Ours Dansant, une petite auberge près d’un hameau d’agriculteurs, qui embauchait des mercenaires pour se défendre. Elle s’appelait Marchande Martha, faisant partie d’une communauté de béguines implantée dans un monastère en hauteur. Le béguinage était une pratique religieuse assez particulière, ressemblant à une espèce de vie monastique. Les béguines étaient des sœurs religieuses qui avaient la particularité d’être relativement autonomes. Elles avaient une terre, la cultivaient, un élevage, et se rendaient fréquemment dans les villages pour tenir des dispensaires, et aider les gens. De ce que Cirillia en savait, le béguinage de cette région avait deux types de femmes : les béguines récentes, et les dirigeantes, qu’on appelait les « Martha ». On dissociait alors chaque Martha par sa fonction. Marchande Martha avait ainsi pour rôle de revendre la laine aux marchés, et d’acheter des biens.
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Le prévôt est un lâche qui n’opposera pas se dresser contre les Maîtres-Huants. Quant au baron de la région... Il fonctionne sur le même principe. Les Maîtres-Huants ont le soutien de la population, et personne ne sait qui se cache derrière leurs masques. Ils bénéficient de la crise actuelle pour renforcer leur contrôle sur la population, et réinstaurer les anciennes traditions. »
Marchande Martha était assez courageuse de venir en personne ici. Ciri’ savait que cette région était très pauvre, et qu’elle affrontait un hiver rugueux. La région avait jadis été très prospère, car elle se situait sur une route commerciale importante. Cependant, cette route avait changé de place à cause d’une guerre, et, depuis lors, la région avait chuté. L’ancien château du baron, Kaer Morhen, était ainsi à l’abandon, et était visiblement au centre des préoccupations de Marchande Martha. Cette dernière but son verre, se raclant faiblement la gorge, et poursuivit ses explications.
Le béguinage était en situation difficile, car personne, ici, ne cherchait à les soutenir. Le prêtre de la région voyait en elle une rivalité, et, lors de ses messes, il les diabolisait, les décrivant comme des sorcières. Fort heureusement, ses messes étaient pratiquement vides à chaque fois, les villageois s’étant détournés de l’Ordre. Les Maîtres-Huants, quant à eux, n’aimaient pas non plus les béguines, et étaient la principale menace de ces dernières. Cirillia avait suivi une annonce pour traquer un monstre se terrant dans la région, une annonce qui avait été faite par les Martha. Elle avait légèrement déchanté quand Marchande Martha lui avait expliqué que cette cible n’était pas un monstre, mais un homme : le maître de cette secte, le chef des Maîtres-Huants. Ces derniers se promenaient parfois dans la ville, organisant des fêtes occultes et sinistres. Ils étaient reconnaissables à leurs longs costumes. Ils avaient des capes noires, et un masque blanc, ainsi que de longues griffes. Ils se dissimulaient parmi les villageois, donnant à l’atmosphère du village une ambiance de terreur. Personne n’osait ouvertement les critiquer, par peur de disparaître la nuit.
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Les Maîtres-Huants cherchent à invoquer un monstre ancien reposant dans les profondeurs de cette terre, expliqua la femme en se penchant vers Cirillia.
C’est pour ça qu’ils ont déterré dans le cimetière les cadavres de jeunes enfants tués par la maladie. Ils s’en servent pour accomplir des sacrifices afin de permettre de réveiller un monstre ancestral... -
Des sacrifices d’enfants ? -
De cadavres d’enfants, plus exactement. Nous nous sommes renseignées… J’ignore si c’est vrai ou non, mais je pense que ceci devrait permettre de rentrer dans vos attributions. »
Cirillia hésita. Traquer un simple homme n’était pas sa spécialité, mais elle manquait d’argent, et les béguines payaient plutôt bien. Elle réfléchit donc assez rapidement, et confirma. Elle sentit un soulagement traverser le corps de Marchande Martha, qui lui présenta Kaer Morhen. Elle lui montra une sorte d’image sur un parchemin, un plan montrant l’extérieur du château, avec plusieurs annotations. Ciri’ l’observa attentivement, terminant son verre.
Il y avait deux entrées : l’entrée principale, qui serait lourdement surveillée, et une entrée latérale, derrière. Il faudrait escalader une cour en ruines, et se risquer à affronter de nombreux monstres dans une forêt immense.
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Kaer Morhen n’est pas que le refuge des Maîtres-Huants, mais aussi d’une puissante organisation criminelle, la Couleuvre. -
Ce sera donc de l’infiltration... -
Si vous tuez leur chef, les Maîtres-Huants se disperseront, mais cet homme est puissant. C’est un redoutable mage. »
Cirillia hocha la tête. Puisque c’était de l’infiltration, elle allait devoir se séparer de son armure. Bien que celle-ci soit légère, elle pourrait quand même se faire remarquer. Elle hocha la tête.
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Très bien. J’accepte. »