C'est au moment même où Shin étouffait un baillement, avec toujours cette tenue qui exigeait qu'elle cachât sa bouche de sa main au moment de bailler, que l'homme apparut face à elle. Néanmoins, elle ne fit aucun geste pour le saluer, et ne quitta pas le capot de la voiture. Ce dernier avait chauffé au soleil toute la journée, devenant ainsi une assise des plus confortable. Quand il s'approcha d'elle, qu'il la salua d'un baisemain, Shin ne prit même pas la peine de cacher sa surprise, le toisant en haussant un de ces sourcils. Ce geste élégant lui avait manqué, tiens. En prison, on oublie vite les bonnes manières ... Elle avait reçu davantage de coups de pieds dans les côtés que de baisemain. Aussi laissa t'elle un sourire fin trahir son étonnement. Pensez ce que vous voulez de Shin, mais n'oubliez jamais qu'elle est une grande dame ... Entre autres. Dans ce corps de blondinette hautaine étaient dissimulées une garce impitoyable, une alcoolique de renom, une délicieuse femme aussi raffinée qu'une reine, une prétendue philosophe vaguement nihiliste -surtout après quelques verres -, une ancienne Terranide dont le changement de corps l'empêche de ressentir toutes sensations, et une taularde capable de mettre des mandales pour un oui ou pour un non. Autant vous dire qu'elle est dure à suivre.
Alors qu'elle allait ouvrir la bouche, pour le saluer d'une manière ou d'une autre, il parla.
« J'espère que vous n'avez rien contre les sensations fortes. »
... Et cette phrase eut le mérite de la faire tiquer. Rien que le mot sensation forte manqua de faire vibrer son coeur. Mais elle ne ressentit qu'un mince frémissement, et poussa un soupir, tout en jetant sa cigarette sur les sol.
- Je les aime bien plus que vous ne pouvez l'imaginer, souffla t'elle.
Oh, serait-ce du regret que l'on devine dans la saveur de ces mots, dans le tréfonds de ses pupilles ? Oui, sans doute. C'est ainsi. Un jour, elle finirait par se résigner, mais pour le moment, elle ne souhaitait que se battre pour glâner, ici et là, des émotions et des sensations. Ce ne sera pas chose facile, elle en était consciente, mais c'était peut-être son seul espoir, à l'heure actuelle. Oh, arrête de te plaindre, et vends ta merde ! hurla sa conscience. Car, oui, la conscience de Shin était d'une vulgarité hors-norme. Vous en connaissez beaucoup, des consciences comme ça ?
Les trois types sortirent du véhicule, et l'un d'eux empoigna Shin par le bras. Elle ne broncha pas, laissant juste une profonde lassitude marquer son visage.
- Au boulot, chérie ! l'invita gentiment un des types.
Shin dégagea son bras, lui adressant une de ces expression typiques de femme haineuse. Sauf que, venant d'elle, ça faisait vaguement peur, ce visage fermé et plein de colère. Surtout quand on connaissait le passé de cette blondinette.
- Mais bien sûr, chéri, ironisa t'elle en battant des paupières.
Il fallut qu'il lui adresse une tape derrière la tête, une de celles qui aurait décapité une collégienne, pour qu'elle cesse de se foutre de lui, murmurant juste un mot, un seul.
- Enflure.
Puis la jeune femme se redressa, récupérant ce qu'elle avait de grâce, pour faire face à ... ce type dont elle ne connaissait aucunement le nom. Et ce n'était pas vraiment son souci du moment. Là, de suite, maintenant, elle ne souhaitait que revendre cette cargaison d'ecsta' pour assurer ses vieux jours. 'fin, éviter qu'on vienne l'égorger dans son sommeil, surtout ... Dormir avec un flingue en-dessous d'un oreiller gâche le confort de l'oreiller susdit.
- Tout est à l'intérieur, dit-elle tandis que les trois types, derrière, s'allumaient à leur tour une cigarette. Ca ne durera pas longtemps.
Machinalement, elle vérifia si elle avait toujours son paquet, avant de le faire entrer dans la remise, sous les regards des trois "confréres". Une remise où se trouvait un amas d'emballages plastiques transparents, dans lesquels batifolaient insouciemment des pilules roses, le tout réparti dans des cartons . C'était beau à voir. Enfin, pour elle. Elle avait une notion assez atypique de la beauté en elle-même.
- Et je peux vous assurer que c'est ... Un délice.
Tant pis si elle passait pour la junkie de service. C'était bien là le cadet de ses soucis.
- Ce sont les seules sensations fortes qu'il me reste, disons, admit-elle dans un sourire.