Allons bon, voilà qu’elle était tombée sur une idéaliste ! Lina se détacha de Mélinda, ayant vraisemblablement peur d’elle. En soi, elle avait plutôt raison d’avoir peu, connaissant le passé de Mélinda, mais cette dernière était du genre têtue ; elle ne comptait pas s’arrêter là, et entendait bien continuer à presser Lina. La jeune femme avait tremblé à la mention du nom « harem », s’imaginant probablement un endroit sinistre, où les humains étaient mis en cage, comme des animaux. Une image assez fausse du harem de Mélinda, les cachots n’étant réservés que pour les fortes têtes. Elle décida de rapidement lui expliquer cet état des choses.
« ‘‘Ce genre de pratiques’’ ? répéta-t-elle. Je crois que vous vous méprenez, chère Lina. Tâchez de grandir un peu ; la liberté n’est pas quelque chose d’absolue. Qu’importe la liberté, à un homme qui vit dans une poubelle ? En réalité, les humains sont des êtres qui sont naturellement conçus pour s’entre-dévorer. Si on devait mettre vingt hommes ensemble, et dire qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent, ils ne pourront s’empêcher de vouloir se dominer les uns des autres. L’Histoire de Terra, et l’Histoire de la Terre, raffolent d’anecdotes de ce genre, de micro-communautés anarchiques ayant sombré. La réalité est simple, Lina : les hommes sont des êtres imparfaits, qui ont besoin de maîtres, peu importe le nom qu’on donne à ces maîtres. »
Plus généralement, c’est toute la conception de la démocratie que Mélinda fustigeait. Il existait néanmoins toujours des farfelus, des illuminés, même au sein d‘Ashnard, pour promouvoir ces idées absurdes. La fin de l’esclavage, la promotion de la démocratie, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… De telles idées ne faisaient qu’amuser la haute société d’Ashnard. La démocratie… Une idée qui trouvait un regain d’intérêt de temps en temps, avec les Portails menant sur la Terre, mais Mélinda côtoyait suffisamment la jeunesse de Seikusu pour savoir que la démocratie était une pure folie. Donner le droit de vote à des imbéciles, c’était tout simplement amener des imbéciles à diriger le pays. Elle voyait en Lina la graine de ces gens-là, et continua ses explications.
« Mon harem comprend effectivement des esclaves, et j’allais en acheter. Encore une fois, ne voyez pas les choses de manière simpliste, entre, d’un côté, d’heureux individus arrachés à une paisible vie, et, de l’autre, de méchants esclavagistes les faisant souffrir pour le plaisir. J’achète des esclaves, je les utilise, et je les vends. Si mes esclaves sont de mauvaise qualité, ils ne me rapporteront pas grand-chose. J’attends naturellement d’eux une soumission légitime, mais c’est le cas partout. Qu’on l’appelle ‘‘loi’’, ‘‘autorité parentale’’, ou ‘‘volonté du maître’’, chaque homme se soumet naturellement. Ils se soumettent, et je leur offre ce dont ils ont fondamentalement besoin. De la nourriture, des lits propres, un endroit chaud, de l’eau, de la santé, et l’affection de leurs camarades. »
Mélinda regarda à nouveau Lina, continuant sur sa lancée. Son harem était un lieu de toute beauté, comprenant plusieurs étages, s’étalant à vrai dire sur un petit immeuble au centre d’Ashnard. Il y avait des bassins, des jardins, des chambres, et ses esclaves étaient, tant qu’ils étaient sages, très bien traités. Oh, bien sûr, Mélinda abusait volontiers d’eux, et il arrivait qu’elle tue des esclaves qui ne l’avaient pas vraiment mérité, mais ça, Lina n’avait après tout pas à le savoir.
« Je me rends dans un marché aux esclaves tenu par des raiders, des bandits qui, continuellement, attaquent des villages isolés, enlèvent des familles, les torturent, et les font vivre dans des cages minuscules. Je viens, je les achète, et je leur offre une vie meilleure. En quoi est-ce critiquable ? Dans un sens, je ne fais que les aider à vivre mieux. Si vous croyez que mes esclaves sont si mal lotis que ça, pourquoi n’iriez-vous pas visiter mon harem ? Ou, tout du moins, m’accompagner jusqu’au camp de raiders ? Vous verriez par vous-mêmes. »
La vampire hésitait encore. La capturer ? Elle avait l’air d’une forte tête, prompte à résister. Oh, bien sûr, Mélinda n’était pas contre une certaine forme de résistance, car il était toujours assez amusant de briser la volonté des individus, mais c’était un risque à courir. De plus, en pleine nature, il lui serait difficile de réussir à la briser. Non, elle devait réussir à la convaincre de voir son harem, c’était indiscutablement ce qu’il y avait de mieux à faire.