Alors qu’elle découvrait ce coin enchanteur et que lui le redécouvrait, l’éblouissement des premiers instants s’estompait doucement, à la manière d’une note de musique qui, après avoir puissamment ronflé pour emplir l’air de son cri, se laisse lentement revenir dans une gamme moins tonnante, se réduisant peu à peu à un simple murmure qui à son tour meurt dans un chuintement. Non pas que le charme du départ pût avoir disparu, non, mais il s’était mué en quelque chose de moins frappant, de plus agréablement tranquille qui permettait de jouir en toute quiétude d’âme de cet édénique abri au sein de la forêt.
Tandis qu’il inspirait profondément pour se gorger les poumons de l’air riche de fraîcheur qui remplissait ce lieu, Dylan, elle, s’avança de quelques pas en direction du cœur de cette clairière digne d’abriter une licorne, pour ensuite se tourner vers lui avec un air étrangement déstabilisé. Aussitôt naquirent dans l’esprit de Saïl des inquiétudes qui s’envolèrent heureusement bien rapidement, balayées par le sourire de la jeune femme alors qu’avec spontanéité, elle exprimait tout le ravissement dans lequel cet endroit la plongeait, pour le plus grand plaisir du généreux savant.
Une paisible joie aisément lisible sur son visage, il fit quelques pas rêveurs sur ce gazon qu’il se sentait presque coupable de fouler, laissant sa compagne apprécier les alentours avec un air étrangement pensif. Curieux mais surtout attendri par l’allure toujours aussi dynamiquement séduisante de cette demoiselle, il s’abandonna à nouveau à l’observer avec attention, permettant à ses pensées rendues légèrement vaseuses par la fatigue de vagabonder : comme de lui-même, son regard glissait de haut en bas sur sa jolie personne, détaillant son physique alerte, sa physionomie d’apparence à la fois si étrangement vulnérable et si admirablement conquérante.
Au fur et à mesure que ses réflexions se mettaient à se dérouler toutes seules, il se prit à se représenter plus en détail son corps dans sa totalité, avec la même espèce de fascination révérencieuse que l’on peut ressentir en contemplant un beau tableau. Ce que ses yeux ne pouvaient voir, son imagination le comblait, dissipant peu à peu les étoffes qui recouvraient Dylan pour faire apparaître avec plus de clarté la peau douce qu’elles dissimulaient, les courbures attrayantes, les…
La remarque soudaine de l’intéressée fit partir en fumée toutes ces divagations incongrues, laissant Saïl retomber sur terre avec un air un peu ahuri qui se mua très vite en absolue confusion, faisant exploser toute une gerbe de rouge sur ses joues à l’idée de ce qu’il venait de faire. C’est qu’il avait beau ne pas être le plus chevaleresque des gaillards, il avait tout de même des idéaux de galanterie profondément ancrés en lui, et inutile de dire que le voyeurisme à moitié involontaire auquel il venait de s’adonner ne les respectait pas vraiment ! De là la honte qui prit prise sur lui.
Se donnant mentalement des gifles pour se remettre l’esprit dans le droit chemin, il s’efforça de prêter plutôt attention à ce que lui disait sa partenaire, celle-ci mentionnant à quel point leur relation avait rapidement évolué d’étrangers à proches. Cette pensée somme toute inattendue mais pas sotte sinua dans sa tête, le surprenant au premier abord, ce que la jeune femme dut prendre pour de l’incrédulité à en juger par la précipitation à se justifier qu’elle afficha soudain.
Cela n’empêcha pas Saïl de lui rendre son sourire, et presque pour lui-même, il dit à haute voix, comme s’il concrétisait par la parole quelque chose auquel il avait déjà songé :
« Oui, c’est vrai que c’est pas commun. »
Mais ce n’était pas pour autant que c’en était désagréable ou de nature à susciter la panique ; pour lui, c’était simplement qu’ils avaient des atomes crochus, et s’étaient ainsi très rapidement sentis à l’aise l’un en compagnie de l’autre. Bien sûr, au début de leur rencontre, il y avait eu de quoi se sentir gêné tant ils n’étaient que des inconnus, mais désormais, il existait entre eux une familiarité qui lui permettait d’apprécier de mieux en mieux les charmes de la pétulante demoiselle.
Et autant le grand garçon était mal à l’aise en présence de personnes qu’il ne faisait que commencer à appréhender, autant il pouvait se montrer d’une confiance débordante de tendresse une fois que la glace était brisée, laissant de la sorte voir sa placidité dans toute sa modeste splendeur attentionnée. C’est ainsi que lorsqu’une idée lui vint en tête, il ne la laissa pas s’échapper, se dirigeant vers Dylan d’un pas décidé, parvenant jusque devant elle pour lui demander gentiment :
« Tu permets ? »
Demande rhétorique puisque la seconde d’après, ses deux mains se saisissaient avec délicatesse des branches de ses épaisses lunettes, les faisant sans précipitation quitter le visage de leur propriétaire, visage que Saïl put ainsi observer dans toute sa joliesse. L’harmonie de ces traits qui diffusaient l’impression si magnétique d’un fort caractère le captiva à ce point que ses yeux qui croisaient réellement ceux de la jeune femme pour la première fois se firent rêveurs, sa bouche murmurant :
« Tu es vraiment belle. »
Disant cela, l’envie qui lui était au départ venue se manifesta avec plus de force encore, et, ne pouvant ni ne voyant de raison d’y résister, il la mit à exécution sans se poser de questions. Inclinant légèrement le haut de son corps pour venir mettre ses lèvres à bonne hauteur, il apposa lentement celles-ci sur le front de l’objet de son affection, entre ses deux prunelles couleur noisette. Le baiser se fit avec toute la douceur empreinte de respect qu’il avait pour elle, se finissant avec un infime bruit qui vint à peine troubler le calme ambiant avant que le médecin ne se remît sans hâte dans sa position initiale, allant ensuite pour remettre l’appareil oculaire à sa place avec un sourire tendre.