Ca sera...? ( pv )

Carter haussa les épaules avec flemme à la question de Marine. C’était vraiment intéressant de constater qu’elle ne connaissait vraiment pas le phénomène de télé réalité. Peut-être n’avait-elle pas la télé, qui sait ?

Il faut croire, puisque ces émissions sont reconduites d’années en années. Les gens sont de plus en plus malsains et pervers. Et la banalisation du sexe à la télé, ainsi que toutes ces femmes objets que les rappeurs et même les chanteuses eux-mêmes, que ce soit dans les clips ou sur scène n’arrangent pas les choses. Alors ça les amuse de voir une douzaine de gogoles qui ne se connaissent pas vivre ensemble et avoir des hauts et des bas. Personnellement, ça m’énerve.

Pour ça d’ailleurs qu’il ne regardait pas tous ces trucs là. Quoique sa véhémence à ce sujet atteindrait des sommets s’ils venaient à parler des émissions qui mettaient à l’épreuve la fidélité des couples. Jamais de sa courte vie il n’avait vu un principe aussi débile. Consternant, vraiment. Enfin, ses pensées furent distraites par l’arrivée de son dessert, aurait-il été plus mal élevé il se serait léché les lèvres de gourmandise. Mais évidemment, il n’en fit rien, se contentant de saliver déjà abondamment, prêt à mordre dans son moelleux. Il était comme il l’aimait. Légèrement croustillant sur le dessus, presqu’entièrement liquide à l’intérieur, avec un carré de chocolat blanc rajouté juste avant de servir, donc à peine à train de fondre, et la glace à la vanille à côté. Un vrai délice. Il enfourna plusieurs bouchées qu’il dégusta avant de les avaler puis de répondre à Marine.

La reconnaissance vient bien souvent après la mort des artistes. La connaissance vient tout de suite. Dès lors qu’ils portent l’étiquette « Vu à la télé », ça devient tout de suite des phénomènes de foire et avec la connaissance du publique vient l’argent facile. C’est là qu’est le piège. Mais ça, vos élèves ne le voient pas. Personnellement, je pense avoir compris la recette d’une bonne starlette, qu’on soit musicien ou acteur, le schéma diffère selon la profession mais pour réussir, le chemin à emprunter est unique. Pour réussir durablement j’entends. Enfin bref… De toutes façons, tout ça, c’est n’importe quoi. Je préfère encore m’abrutir devant un bloc buster américain ou un film de Tarantino que devant ces conneries.

Ses épaules se haussèrent à nouveau et c’est avec appétit qu’il entreprit de terminer son dessert.

Cet homme semblait apprécier le chocolat tout autant qu’elle ou plus que le chocolat, c’était le dessert en lui-même qui l’enthousiasmait. Eric ne mangeait pas comme goinfre, rien à voir avec ça, mais il avait une certaine satisfaction qui s’affichait sur ses traits à chaque fois qu’une bouchée du fondant au chocolat ou de la glace investissait sa cavité buccale. Marine sourit devant ce plaisir manifeste. Il s’interrompit pour lui répondre et Marine enchaîna.

« Certes, je veux bien croire qu’en passant à la télévision, ils soient connus mais je suppose qu’il s’agit là d’une célébrité bien éphémère qui prend fin en quelques semaines ou quelques mois.  Je ne pense pas que quelqu’un s’intéresse à ces personnes très longtemps »

La jolie rousse avala une gorgée de café avant de croquer dans l’un des biscuits. Elle le fit presque machinalement mais fut surprise du goût. On remarquait une note de cannelle et de vanille, un vrai bonheur. Décidément, ce restaurant était une excellente adresse. Marine mangeait peu souvent au restaurant, les trouvant trop bruyant entre les clients qui parlaient forts et les téléphones portables qui ne cessaient de sonner à tout bout de champ. Un calvaire pour elle qui avait bien du mal avec le bruit. Le plus souvent, elle se contentait de sandwichs ou de cuisine rapide. Elle n’avait rien contre la cuisine. C’était juste qu’on lui avait toujours dit que la nourriture servait seulement à alimenter son corps. Depuis son départ du camp, certains principes étaient toujours ancrés en elle. Elle appréciait les bons plats quand elle en mangeait mais ne voyait pas la nécessité d’en faire autant chez elle.

« Chacun fait comme il veut, c’est ça la liberté »

Elle soupira en buvant une autre gorgée de café. Elle ne comprenait pas ce comportement mais elle l’acceptait.

« Personnellement, je préfère les livres. Je n’ai pas la télé et je ne vois pas la nécessité de l’avoir. L’effet négatif c’est que je ne suis pas forcément au courant de ce genre de choses mais est-ce si grave au fond ? Les nouvelles des journaux sont bien suffisantes pour moi »

Tout comme Eric achevait son dessert, elle aval le reste de son café et grignota un autre biscuit. Le déjeuner touchait à présent à sa fin.

Délice, volupté… Explosion de saveur. Son palais était en émoi, ses papilles orgasmaient. C’était magique. Délicieux dessert… Déjà terminé, au grand dam d’Eric qui avait un goût de trop peu dans la bouche. Mais bon, il valait mieux ainsi. Plus tard dans la soirée, quand il serait rentré chez lui et aurait plongé dans la piscine privée de son immeuble de résidence, il aurait littéralement coulé s’il avait plus mangé que cela. Déjà, la somme de calories ingurgitées lui promettait un, voire deux kilos pris. Il les perdrait rapidement, il ne se faisait pas de soucis, mais bon. Ca lui assurait de se sentir un peu à l’étroit dans ses chemises et pantalons pendant quelques jours, assorti d’une toute petite augmentation du volume occupé par son ventre, au niveau de ce qu’on appelle communément « la poche à bière ». Manque de bol, Eric n’aime pas trop la bière. Pour un anglais, c’est rude. Mais c’est comme ça, alors on fait avec.

Ils ne sont certes pas célèbres très longtemps mais certains, plus malins et marketings que les autres, savent tirer leur épingle du jeu. On les retrouve alors partout. De toutes façons, pour réussir à partir d’une émission de télé-réalité, il faut soit beaucoup de chance, soit un vrai talent, soit un coup d’éclat. Les coups d’éclats je dirai sont réservés aux intelligents. Or, les intelligents ne participent pas à ce genre de débilités…

Leur serveur revint et déposa l’addition près d’Eric. Il ne la regarda même pas et la rendit au serveur.

Tu mets ça sur ma note s’il te plaît ?

Le serveur acquiesça avec un sourire aimable et repartit.

Oui donc… Les gens intelligents ne font pas ça, ils ne regardent même pas. Après, le talent peut naître n’importe où, idem pour la chance donc… Par contre, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Vous n’avez pas la télé et c’est un choix que je respecte, mais si vous loupez les émissions nazes, vous loupez d’autres choses encore. Des divertissements qui font du bien de temps en temps. Un bon film avec du pop corn par exemple, c’est un plaisir à savourer. Quant aux nouvelles, avoir la télé vous permet d’avoir plusieurs sons de cloches et de faire plus facilement le tri que si vous achetiez plusieurs journaux. Si je peux me permettre un conseil mademoiselle, vous devriez vous acheter une télé et quelques films. Peut-être que vous pourriez être agréablement surprise.

Comme ils avaient terminé de manger et que la note était payée, Eric se leva, tout en réfléchissant à quels films conseiller à la jeune femme. Il la suivit vers l’extérieur en mettant son manteau et glissa ses mains dans sa poche. Il en sortit deux petites pochettes avec des serviettes parfumées désinfectantes. Il en tendit une à Marine.

Tenez, pour que vos mains ne sentent pas le poisson.

Avec un clin d’œil, il ouvrit sa propre lingette et s’en servit pour se rincer les doigts. Il pensait à tout décidément, ou presque.

Je vous conseillerai de regarder… Pretty Woman. En général, les femmes aiment ce film. La série des Indiana Jones aussi est excellente, et si vous aimez la science fiction, Star Wars ou la série Battlestar Galactica. Tout dépend de ce que vous aimerez je pense. Vous avez aussi les films de Woody Allen qui pourraient éventuellement vous plaire. C’est un genre très particulier. Je terminerai par la Liste de Schindler, si vous aimez les drames historiques. Mais celui-là, il est assez difficile. A vous de voir.

Il haussa les épaules et jeta sa lingette dans la poubelle la plus proche, ainsi que la pochette de cette dernière et remit ses mains dans ses poches.

Bon et bien, merci pour le déjeuner, c’était très agréable. J’espère ne pas vous avoir trop ennuyé avec mes babillages et vous souhaite une agréable journée Miss Marine. En espérant vous revoir.

Il lui tendit une main amicale, invitant la charmante rousse à la serrer puis remit ses mains dans ses poches pour reprendre la direction de l’immeuble où il travaillait.

Il était certain qu’elle devait rater des choses à la télé mais elle considérait que ce qu’elle ratait n’était pas si important que ça. Du moins, elle pensait très bien pouvoir s’en passer. On aurait pu dire d’elle qu’elle était une négationniste de l’audio-visuel mais, à moins qu’on lui prouve par A+B que c’était un manque terrible à sa vie, elle n’allait certainement pas changer ses habitudes.

Lorsque le serveur revint avec la note, Marine voulut dire que c’était à elle de régler mais Eric ne lui en laissa guère de temps. Il indiqua juste de mettre le tout sur sa note au grand dam de la jeune femme. C’était pourtant à elle de payer. Elle fronça les sourcils mais ne dit rien, inutile de créer un scandale et puis c’était, au final, assez le genre du drôle d’individu en face d’elle.

« Pour avoir plusieurs sons de cloches, il suffit de lire plusieurs journaux différents, c’est un fait que vous avez d’ailleurs noté. Mais ce n’est pas vraiment un souci pour moi. Que se soit au lycée ou à la bibliothèque, il y a toujours de multiples journaux à disposition : régionaux, nationaux et même étrangers. Donc j’ai les différents sons de cloches possibles pour reprendre votre expression Eric »

En voyant le jeune homme se lever, Marine l’imita et attrapa sa cape. Il faisait trop chaud à présent pour la revêtir aussi elle se contenta de la poser, pliée, sur son bras. Alors qu’ils sortaient du petit restaurant, Eric lui tendit une petite pochette plastique.

« Tenez, pour que vos mains ne sentent pas le poisson »

Marine accepta et, à son tour, s’essuya les mains avec la lingette parfumée tout en écoutant son compagnon lui énumérer un certain nombre de films. Les noms ne lui dirent pas grand-chose sauf Star Wars pour en avoir lu un résumé dans un ouvrage. Mais sinon, pour le reste, elle se sentait un peu perdue mais se promit de palier à se manque de connaissance. Elle ne comptait pas forcément les regarder mais au moins essayer d’en lire une description.

« Merci pour la lingette et les conseils filmographiques. Je vais essayer de me renseigner dessus ! »

Tout comme lui, elle jeta lingette et pochette à la poubelle avant de serrer la main qu’il lui tendait.

« Merci à vous également. Ce déjeuner fut un vrai plaisir aussi bien pour les papilles que pour l’esprit et j’en suis ravie. Au plaisir effectivement de pouvoir vous revoir. Bonne journée à vous Eric ! »

Une fois, la main serrée, Marine s’inclina comme elle avait l’habitude de le faire, adaptation japonaise oblige. La jeune femme prit alors la direction de la bibliothèque, comptant bien trouver un ouvrage sur la filmographie et ainsi voir de quoi il en retournait pour Pretty Woman, Indiana Jones et tous les autres.

Voilà plusieurs semaines qu'Éric avait rencontré Marine maintenant. Si l'entrevue avait mal commencé et s'était finalement bien déroulée, il en gardait globalement un bon souvenir, une jeune femme agréable et à l'esprit vif, mais rien d'impérissable malheureusement, tout comme lui pensait bien ne pas avoir marqué la jeune femme plus que cela. En réalité, ça lui était plutôt égal dans la mesure où il avait eu bien d'autres choses à penser et gérer. Il avait dû courir à droite et à gauche, partir en catastrophe pour déposer des hommes dans une zone à risques, zone dont il fut content de revenir indemne quoique l'embuscade qu'ils essuyèrent à l'atterrissage n'avait rien d'un pique-nique... Quoiqu'il en soit, il était de retour à Seikusu, fourbu, avec les muscles particulièrement endoloris et des plaies en cours de cicatrisation un peu partout sur le corps, dont une mince balafre au niveau de la pommette. En arrivant à l'aéroport dans l'après-midi, il avait décroché son portable et composé le numéro d'une "amie", appelons ainsi une femme magnifique avec laquelle il lui arrivait de passer quelques soirées qui se terminaient bien souvent dans la chambre d'un hôtel, et l'avait invitée à diner. Après tout ça, il avait besoin de se détendre et de passer une soirée calme. Elle accepta son invitation et il lui donna rendez-vous à 20h au petit restaurant italien qu'il appréciait tant. Il rentra chez lui et alla prendre un bon bain, histoire de se détendre, avant de se préparer et de gagner le restaurant à l'heure de son rendez-vous.

Il était venu habillé "décontracté" cette fois, jean noir simple, petites tennis et chemise blanche dont les boutons n'étaient pas tous fermés. Ca lui donnait un air un peu débraillé que les femmes appréciaient généralement. Comme c'était prévisible, la jeune femme qui l'attendait était magnifique. Une brune sculpturale à la peau légèrement mate et aux yeux verts. L'idéal physique féminin d'Éric. Psychologiquement par contre, c'était une autre histoire... Elle manquait beaucoup trop d'humour à son goût, mais elle était plutôt agréable la plupart du temps. Elle avait cependant la manie de vouloir tout contrôler, ce qui avait le don de profondément agacer Éric, mais le temps d'une soirée, ça devrait aller. Enfin il l'espérait.

Ils s'installent donc, à une petite table intime dans un coin de la pièce, mais où les regards fusionnent toujours parce qu'il est dans le propre de l'être humain de vouloir ce qu'on cherchait à lui cacher. Aussi la jeune femme ne manquait pas d'être la proie des yeux des hommes et des femmes présents, envieux pour les uns et jalouses pour les autres. Jalouses non pas à cause de son cavalier, Éric n'avait pas cette prétention, mais à cause de sa plastique magnifique.
Le diner commença, tout semblait se passer à merveille. Jusqu'au moment où, avant même qu'on ne leur apporte leurs entrées, le visage de Maria, la jeune femme, ne se mue en un masque de froide colère. Elle envoya alors le contenu de son verre d'eau plein dans le visage d'Éric, qui se retrouva bien évidemment trempé, et ne prenne son sac, ses cliques et ses claques donc, pour quitter le restaurant en trombe sans ajouter un mot de plus. Et bien... Alors, haut et clair, le rire du trentenaire s'éleva dans le restaurant. Il se tourna sur sa chaise, conscient que tous les autres clients le dévisageaient, et afficha un large sourire.

La voilà rassurée! Elle sait que je ne me transformerai pas en créature marine si je suis mouillé! Croyez-vous qu'elle soit déçue?

Des sourires de certains, quelques rires discrets et Eric pu se retourner. Lui n'allait certainement pas s'en aller, il avait faim après tout!

Les semaines s’étaient écoulées depuis que Marine avait rencontré le dénommé Eric Carter. Elle l’avait apprécié, apprécié sa conversation et sa façon d’être. Elle repensait à lui de temps en temps mais sans plus. Cependant, le jeune homme lui avait fait découvrir la très bonne cuisine italienne et la rouquine avait pris l’habitude d’aller manger de temps en temps dans le restaurant où ils avaient déjeuné.

Ce soir là d’ailleurs, elle avait eut envie d’y aller. Elle avait passé sa journée enfermée dans son appartement à corriger des copies qui, selon elle, auraient du finir à la poubelle pour les trois quart. A croire que ses élèves ne revoyaient rien de leurs cours, ce qui était vrai pour plusieurs d’entre eux. Sans compter les nombreuses fautes d’orthographe qui ponctuaient de manière plus ou moins importante les différents devoirs. Une fois la dernière copie commentée et notée, elle soupira.

*Enfin ! Terminé !*

Ravie d’avoir bouclée ses corrections, elle alla prendre une douche pour se détendre. Enveloppée d’une serviette de bain, les cheveux mouillés, elle revint dans le salon et jeta un coup d’œil à la cuisine. Non, elle n’avait aucune envie de cuisiner ce soir. Son regard se posa sur la baie vitrée. Les lumières de la ville étaient allumés et devançaient la nuit future. La jeune femme regagna sa chambre et chercha quelque chose à mettre. Ne faisant pas spécialement attention à la mode, elle attrapa la première tenue correcte qu’elle trouva. Le hasard voulu que son choix se porta sur une tenue qu’elle avait acheté quinze jours plus tôt qui tranchait singulièrement avec ses tenues d’un autre temps. Il s’agissait d’un tailleur noir, jupe et veste, qu’elle associa à un caraco blanc. La jupe lui arrivant à mi-cuisses, elle portait des bas noirs opaques qui dissimulaient ses cicatrices. Elle compléta l’ensemble par une paire d’escarpins assortis au tailleur. Marine laissa ses cheveux libres sur ses épaules. Ainsi habillée, elle prit la direction du quartier des affaires.

L’endroit, grouillant de monde en journée, était déserté le soir venu. La jeune femme croisa quelques personnes mais rien à voir avec la foule diurne. Elle mit moins de vingt minutes pour atteindre le petit restaurant. Alors qu’elle posait sa main sur la poignée, une femme ouvrit brusquement la porte et sortit en trombe. Visiblement, elle était en colère. Marine la regarda s’en aller un instant puis reprit son geste là où elle l’avait interrompue. Elle entra dans le petit restaurant à l’ambiance familiale et intimiste.[/i]

« Bonsoir madame. Une table pour une personne ? – la rouquine opina du chef – Suivez-moi ! »

Marine suivit la serveuse qui la guida vers une petite table dans un coin et enleva le second couvert qui s’y trouvait avant de lui tendre la carte. La jolie rousse se mit alors à la parcourir sans remarquer la présence d’Eric Carter dans le restaurant.