Seikusu, 23h. La ville irradie encore de milliers de feux et de lumières qui illuminent le ciel comme le font les étoiles. Cependant, ces lampions ne sont pas blancs. Ils sont jaunes, bleus, rouges ou verts. Oranges mêmes. Et beaucoup moins espacés . Souvent, ils ne sont en fait séparés que de simples fenêtres, d’une rue, d’un quartier… Et elle s’étendait cette fille, comme une pieuvre ayant déployé ses tentacules et prête à prendre au piège n’importe quelle proie qui oserait s’approcher d’elle de trop près.
Néanmoins, la soirée étant déjà bien avancée, le flot continu des voitures se faisait moins fourni. Elles se faisaient de plus en plus rares, pour disparaître bientôt toutes. C’était un jour de semaine comme les autres, les hommes et les femmes regagnaient leur foyer après une longue journée de travail, qui recommencerait le lendemain… Car qui dit TAF te dit les tunes, qui dit argent dit dépenses, et qui dit crédit dit créances. Alors pour éviter le conflit d’intérêt banquier/client, ils travaillaient pour les payer ces créances. C’était un cercle vicieux. Un cercle auquel Raven ne voulait appartenir, malgré tout ce qu’elle se serinait. Elle ne se sentait pas à sa place avec toutes ces notions qu’elle trouvait bien plus abstraites et dénuées de sens que ses pouvoirs pourtant aléatoires et imprévisibles. Elle trouvait que les humains avaient perdu le sens commun, tout simplement. Ils s’enfermaient dans des carcans de conformité économiques et parentaux, en prônant de belles idées alors qu’ils perdaient de vue l’essentiel.
Et Raven, ou plutôt Rachel, devait se faire une place parmi eux. Pour cela, elle suivait des cours et allait au lycée, comme tout étudiant. Elle passait inaperçue dans la masse, avec ses longs cheveux lisses et noirs, sa peau laiteuse et ses formes fines. Seuls ses yeux la trahissaient, mais les gens tombaient généralement sous un charme qu’elle se refusait d’admettre posséder, plutôt que ne la traquaient comme la demi-démone qu’elle était. Si parfois certaines personnes insistaient trop pour savoir des choses à son sujet, elle prenait la fuite, et s’isolait. C’était préférable.
Ce soir là, en fin d’après-midi, on lui avait proposé de boire un verre. Raven avait refusé. « Non non non non, je ne veux pas boire un verre, non non non non non, je ne veux pas prendre l’air » avait-elle dit, en se demandant comment le lui dire avec style. Finalement, elle n’y avait pas été par quatre chemin. Le jeune homme plutôt collant qui avait insisté lourdement, la poursuivant jusqu’à son arrêt de bus pour qu’elle accepte avait dû déclarer forfait devant la liste exhaustive que Raven dressa devant lui des raisons qui la faisaient refuser cette invitation. Malgré sa victoire, la jeune femme avait dû admettre qu’il était parvenu à l’énerver. Une violente sensation de colère lui vrilla le cœur et la tête, au grand damne de la jeune fille qui ne savait que trop bien ce que ce genre de sensation pouvait engendrer. Aussi s’empressa-t-elle de rentrer chez elle, n’utilisant pas les transports en commun comme d’habitude mais ses pouvoirs de téléportation.
A peine avait-elle posé le pied dans le petit appartement qui lui tenait lieu de demeure qu’elle jeta son sac et s’assit sur le sol en tailleur, fermant les yeux pour se mettre à méditer. Son corps s’était alors doucement élevé dans les airs, tandis que Raven psalmodiait.
« Azarath Metrion Zinthos… Azarath Metrion Zinthos… Azarath Metrion Zinthos…”
Au bout de plusieurs heures, elle rouvrit les yeux. Le plus gros de cette sensation prenante et oiseau de mauvais augure était passée, quoiqu’un certain malaise subsistait. Elle eut envie de sortir pour s’aérer un peu la tête. Aussi troqua-t-elle ses vêtements de lycéenne pour son juste au corps noir, échancré, dont le ton uniforme était cassé par sa ceinture aux pierres rouges. Elle enfila ensuite sa cape ainsi que sa cagoule, afin que seul le bas de son visage reste visible. Et voilà comment, à 23 heures, elle déambulait dans Seikusu. Elle cherchait quelque chose d’intéressant, mais qui ne soit pas peuplé…
Alors qu’elle volait, son regard tomba sur le bâtiment de la piscine municipale. Elle s’arrêta, observant ledit bâtiment. Et puis, attirée finalement par ce dernier, elle revint se poser avec lenteur.
« Azarath Metrion Zinthos…”
Un portail s’était ouvert devant elle, lui livrant ainsi le passage pour l’intérieur de la bâtisse, sans qu’elle ne déclenche la moindre alarme. Le portail se referma derrière elle et elle ôta sa capuche, laissant tomber sur ses épaules et dans son dos ses cheveux d’un noir de jais. Elle s’était alors penchée et avait ôté ses chaussures, des petites bottines noires, pour les laisser sur le côté et marcher pieds nus sur le carrelage. Contemplative, elle s’approcha du bassin et y trempa la pointe de son pied. Plutôt bonne. Elle se mit ensuite à faire le tour du bassin, bras croisés et ondulant des hanches. Personne ne la verrait de toutes façons…
