La dalle.
C'est absolument n'importe quoi. J'ai jamais eu aussi faim depuis mon arrivée à Seikusu. Normalement, ces chaudasses s'enferment toute seule dans des vestiaires isolés comme si c'était leur devoir de laisser le champ libre aux pires prédateurs, sexuels ou non, de leur tomber dessus. Je veux bien qu'on ne blâme pas les victimes, mais dans cette ville, c'est même plus de l'imprudence, c'est simplement de la négligence. Seikusu a les statistiques les plus élevées en matière de viol rapportés, de kidnapping et de disparitions au monde. Je dis pas "au japon", mais bien "au monde". Et pourtant, pour une raison ou pour une autre, les crétins continuent d'affluer, comme s'ils étaient parfaitement inconscients du danger dans lequel ils se foutaient.
Alors, je dis pas, peut-être que tous ces actes ont été commis par des Semblables, et que la raison pour laquelle les gens ne semblent pas plus inquiets, c'est en raison d'une énorme campagne de répression et de suppression d'information, ou alors la violence était juste devenue tellement banale que, à moins d'y assister personnellement, les humains se contentaient de l'accepter et de l'ignorer. En gros; je peux tuer n'importe qui, il n'y a pas de problème, mais tant que je me fais pas voir.
Autre que le fait que c'est parfaitement terrifiant d'un point de vue humanitaire, cette hausse de violence faisait qu'il était de plus en plus difficile de commettre le moindre geste sans être observé. Plus personne ne veut dealer, plus personne ne veut s'aventurer dans des lieux imprudents. Alors que la ville était prisée par mes semblables comme un tonneau ne demandant qu'à être bu, ces derniers temps, j'ai grandement l'impression que quelqu'un a bouché les fuites. Et j'aime pas ça.
01:00.
Une heure du matin. Je traîne encore dans ce putain de bar. Il n'y a pas beaucoup de gens dedans; quelques couples en soirée, une des tables est occupée par un groupe de six mecs en train de jouer aux cartes. Lily est assise derrière le comptoir, en train de siroter son daiquiri aux fraises comme si c'était son unique intérêt dans la journée. Enfin, ca ressemble à un daikiri à la fraise, mais soyons honnête, ce truc est remplis de sang. Lily Hayes était une vampire, et elle était absolument terrifiante, du genre elle avait ses doigts de main et de pieds dans toutes les tartes possibles, et pourtant, elle continuait de bosser comme une barmaid de seconde zone dans un bar miteux, tous les mercredis.
"Lil~" geins-je, la tête écrasée sur le bar. "Laisse-moi en prendre un peuuu…"
"Non."
"Mais Lil~~"
"Non," dit-elle plus fermement en posant son verre sous la table. "T'es déjà en retard sur les derniers que je t'ai refilé, chéri. Je fais pas rouler une charité, et chaque fois que je t'en donne, tu reviens pour plus. Je ne t'ai pas engendré, ce n'est pas mon travail de te nourrir."
"Mais j'ai si faim~ Allez, sois chic, quoi !... Même pas si on fait un tour dans le bureau ?"
"Écoute, Em, t'es mignon…"
Je veux, que j'suis mignon. J'suis le plus mignon. C'est ma marque de commerce, c'est ce qui me garde en sécurité.
"… mais c'était exceptionnel."
"Dans le sens où j'étais super bonne à te bouffer le cul, ou…"
"Dans le sens," l'interrompit-elle sèchement. "Que ca n'arrivera plus. Si tu insistes encore, tu trouveras un autre bar pour attendre."
"Okay… okay… cool…"
Ça ne sert à rien d'insister plus. Je sais qu'elle est bien gentille, ma Lily, mais je veux pas non plus finir taxidermisé dans son sous-sol pour avoir enfreint ses consignes dans sa demeure. Lily, comme beaucoup d'autres Semblables, est excessivement territoriale, ce qui veut dire que, dans son domaine, elle est la seul et unique autorité. Selon Pat, c'est un vestige du temps où les Semblables se faisaient passer pour des seigneurs locaux, et la tradition avait du mal à crever. Certes, les vampires modernes de dirigent plus d'armées, mais ça ne l'empêchait pas d'être de très très grosses merdes égocentriques, en plus d'avoir un égo surdimensionné, au point que certains demandent littéralement d'être appelé 'maître' dans leur domaine et par leurs descendances.
Alors, je n'ai peut-être jamais eu de mioche, mais c'est carrément stupide.
"Tu entends?" demanda soudainement Lily en levant la tête.
"Tu veux dire le mec dehors qui gueule 'Jessica'? J'crois qu'il cherche une des locataires de l'appartement au-dessus."
"Casse-coooouille…"
"À qui le dis-tu. Et du coup, c'est là qu'on comprend pourquoi les mortels ont des portiers, maintenant. C'est chiant pour nous, certes, parce qu'on peut pas rentrer sans être vu, mais c'est justifié avec des cons pareils!"