Un grand salon dépouillé, murs beiges et carrelage blanc ; de grandes fenêtres qui laissent entrer la lumière orange du soir. Sur les murs des tableaux abstraits qui ne représentent rien, qu'Hiromi n'a pas choisis : ils étaient déjà là quand elle a loué l'appartement deux mois plus tôt. Au centre de la pièce deux imposants canapés disposés en L et une table basse. Sur l'un des canapés, en position latérale de mélancolie, repose une Hiromi molle, qui scroll machinalement dans l'appli twitter de son téléphone, sans vraiment lire.
Daiju était parfait, à supposer que cela soit possible. Il avait le physique idéal d'un bucheron fantasmé, sans cals sur les mains. Il conversait avec un air tranquille et faisait surgir des traits d'humour inattendus avec un sourire retenu qui dessinait une fossette sur sa joue, juste au dessus de sa barbe négligée. Il savait où et quand mettre ses doigts, et il avait un sacré coup de rein. Penser qu'elle ne le verra pas samedi prochain -ni jamais, lui fiche un sale cafard. La rupture est tombée sans prévenir, tôt le matin, par SMS. "Je souhaite changer définitivement de vie. C'est pourquoi je coupe les ponts totalement." Merde.
Rétrospectivement, elle avait été idiote de prendre la relation pour acquise, mais Hiromi ne s'attendait tout simplement pas à être larguée par son gigolo.
Elle soupire. Il faudrait peut être trouver quelque chose à faire, pour sortir de cet état de rumination. Après tout, elle a déjà passé presque toute la journée à ressasser, dans son bureau au local du parti, sans accomplir le moindre travail effectif. Malheureusement, à cet instant rien ne lui parait valoir une dépense d'énergie. Et après tout, rien ne l'empêche de rester amer et de pianoter sur son téléphone, comme un zombie, jusqu'à tomber de fatigue. A pire, elle s'endormira à 2h du matin en ayant gâchée sa soirée. Et demain sera un jour comme les autres.