Le plus troublant, dans un combat spatial, c’est qu’il n’y avait pas de son. En soi, c’était logique. Dans le vide intersidéral, il n’y avait pas assez de matière pour permettre aux ondes acoustiques de se propager. Mais ça restait toujours troublant, surtout pour une Américaine qui avait grandi au son des vaisseaux spatiaux et des batailles galactiques. Elle le fut quand elle vit les missiles filer en spirale, mais sans émettre un seul son, aucun de ces sifflements stridents qu’on vous servait au cinéma. ADAM vit les missiles arriver, et réagit assez vite, car il les évita promptement. Les missiles filèrent dans le vide, explosant assez rapidement. Rachel n’y fit plus attention, voyant l’ennemi foncer vers elle. Ses capteurs ciblèrent la main gauche de l’armure, où quelque chose rougeoyait.
ATTENTION ! lâcha de manière agressive un avertisseur. Rachel pesta, et actionna son bouclier, sentant une violente décharge qui fit vibrer l’armure. Aucun dégât sérieux, mais l’armure volante fonça vers elle, sa lame énergétique brandie.
«
Bordel de merde ! » s’exclama Marcus dans son communicateur.
Elle n’avait pas le temps de le fermer, et réagit en envoyant instinctivement ses arcs électriques. Les éclairs fusèrent, alors que l’ennemi était proche. Elle tenta une manœuvre d’esquive, mais les éclairs, aimantés vers leur cible, touchèrent quelque chose d’important. Ses capteurs repérèrent une espèce de fuite énergétique sur le corps de l’armure, une sorte d’explosion.
DANGER ! DANGER ! DANGER ![ semblait rugir l’armure, alors que les capteurs énergétiques de Rachel s’affolaient. Une espèce de puits était en train de se former, englobant les deux armures. Rachel utilisait ses propulseurs à fond, mais était inexorablement attirée, tandis que l’énergie avait du mal à circuler dans son armure.
«
...Ra... KRRRRRRRRRRRRRRRRRR... ‘Bor… KRRRRRRRRRRRRRRRRRR… ‘Le camp… -
Je ne vous entends pas, répétez ! »
De gros points d’exclamation dansaient devant les yeux de Rachel, alors qu’une alarme se mettait à résonner, et qu’une série de messages défilait devant ses yeux.
Perturbation énergétique importante repérée à proximité. L’intégrité structurelle de l’armure est menacée. Iron Girl pesta, constatant qu’elle était entraînée dans une espèce de déchirure. La seule comparaison qui lui vint à l’esprit était une espèce de mélange entre un trou noir et une Porte des Étoiles. Elle était collée contre l’armure du mystérieux agresseur, et fila dans le trou. Il n’y avait aucun hurlement extérieur ; à l’intérieur de l’armure, les alarmes rugissaient, à lui donner mal au crâne, tandis qu’elle perdit pour de bon le signal de Marcus.
*
* *
«
Novaquiennes, Novaquiens, la température extérieure ambiante est de 28°C. La toxicité de l’air à Novac City est de 1.36%. Nous rappelons aux visiteurs qu’une promotion exceptionnelle est disponible aux galeries marchandes La Gardienne. »
Le long des longues rues de Novac City, des grands boulevards aérés, des parcs publics, des artères commerciales, ou des plus petites rues romantiques avec des rivières artificielles, on pouvait entendre, venant de la part de drones circulant dans le ciel, ou le long des rues, les mêmes messages publicitaires, entrecoupés de musiques d’ambiance discrète. Une atmosphère calme et estivale, en somme. Novac City n’était pour autant pas une ville parfaite, et la police se devait d’être là. C’est ainsi que l’
inspecteur Hamley se trouvait hors de son véhicule de patrouille une place, sirotant un café sur une place publique. Elle se retourna, observant la circulation des véhicules. Elle venait de Tekhos Metropolis, où elle avait réussi à obtenir une mutation pour Novac. On ne manquait pas de boulot ici non plus, mais l’atmosphère était bien moins polluée qu’à la capitale, et Hamley avait moins l’impression d’étouffer. Elle continua à boire son café, délaissant le café où une borne automatique vous servait rapidement. Ceci lui évitait d’avoir à parler avec d’autres personnes, et, dans le fond, c’était toujours ça de pris. Elle s’approcha de sa voiture, et rentra à l’intérieur, puis consulta l’ordinateur de bord. Sa patrouille était plus tranquille pour le moment, mais, en plein après-midi, il se passait rarement quelque chose. Elle allait renfiler ses lunettes d’assistance pour conduire, quand son regard glissa sur un immense panneau publicitaire le long de la façade d’un des grands immeubles :
LES IMPLANTS SONT L’APANAGE DU FUTUR !
Hamley esquissa un léger sourire.
«
Ouais, peut-être que je devrais y songer... »
Elle enfila ensuite ses lunettes, et se mit à démarrer, suivant les trajectoires prédéfinies par son ordinateur de bord. La voiture n’était pas très large, lui permettant de circuler rapidement, mais l’usage des lunettes était indispensable pour que les yeux ne soient pas largués par la rapidité que le véhicule pouvait atteindre. L’assistance au pilotage était incroyablement forte, et Hamley se laissait piloter, avant de recevoir un appel du Central.
«
Un 215-C a été repéré dans votre secteur, Officier. -
Un 215-C ? Des dégâts ? -
L’objectif a heurté l’un des pylônes de l’autoroute urbaine. Une vigilance extrême est requise. -
Okay, okay... J’y vais. »
Hamley termina l’appel, et vit une nouvelle destination se configurer sur son ordinateur de bord, et la suivit, tandis que, à l’extérieur, les gyrophares s’activeraient. C’était effectivement juste à côté, et elle serait donc la première sur place. Elle s’avança rapidement, filant le long d’une rue, apercevant l’autoroute urbaine, située en hauteur. Ce tronçon menait tout droit au cœur de la ville, le complexe de gratte-ciel de MERCATEL. Elle fila dans les petites rues serpentant sous le pont, et vit de la fumée partout, ainsi qu’une espèce de cratère.
*
Voilà qui justifie le 215-C...*
Au sein de la police novaquienne, comme au sein de chaque police organisée et administrative, il y avait une série de codes. «
215 » désignait une explosion ayant pour origine un objet aérien, la lettre déterminant la gravité de l’impact. «
C » correspondait à un impact faible, mais suffisamment important pour faire des dégâts. Si Hamley avait eu des nanoimplants dans le cerveau, ces derniers lui auraient immédiatement indiqué à quoi ce code correspondait. Fort heureusement, l’inspectrice avait une bonne mémoire. Vu le cratère fumant, le code était en effet justifié. Elle sortit de la voiture, voyant une série de badauds. Arme au poing, elle s’avança.
«
Reculez tout le monde ! »
La flic s’avança lentement, entendant d’autres gyrophares. La cavalerie se rapprochait, et elle se mit à craindre que ce ne soit l’un de ses missiles qui explosaient après être entrés en contact avec le sol. Elle avait lu des articles sur ces saloperies utilisées par certains groupuscules terroristes. Elle était donc prudente et nerveuse, serrant la crosse de son arme, et se pencha vers le cratère. Il n’était pas très profond, et elle vit, au milieu de la fumée, des canalisations crevées répandant de l’eau, et des fils électriques dénudés crachotant dans le vide, une espèce de carcasse recouverte de plaques pulvérisées.
*
Tout compte fait, le code 215 n’est peut-être pas justifié...*
Hamley avait toutefois un problème. Sur le coup, elle ne se souvenait plus s’il existait un code pour désigner le gars d’une chute aérienne provoquant un trou dans le sol.
*
* *
Tout avait duré moins d’une seconde pour se retrouver de l’espace dans un ciel inconnu. Quand on passe du vide absolu à un endroit avec de la gravité et une atmosphère, il peut se passer plusieurs choses d’un seul coup, a fortiori quand vous êtes dans une armure volante. Pour passer de l’atmosphère terrestre à l’espace, Iron Girl devait changer différents modes de l’armure, activant des propulseurs différents, bien plus puissants, car, dans l’espace, on n’était pas soumis aux mêmes contraintes que sur une planète. Or, au moment d’être happée dans une autre dimension, Rachel avait enclenché ses propulseurs à la pleine puissance disponible, histoire de pouvoir s’échapper de cette distorsion qui l’avait attiré. C’est ce facteur qui, en partie, expliqua pourquoi elle se mit à tomber comme une pierre, formant une espèce de petit astéroïde qui alla s’écraser contre le sol, telle une mouche s’écrasant contre un pare-brise. L’autre facteur qui justifia sa chute fut le transfert inattendu par un Portail dimensionnel d’une dimension à l’autre. Le SHIELD, naturellement, était au courant de l’existence de ces portails, et savait que passer d’un monde à l’autre pouvait parfois avoir des conséquences néfastes sur les systèmes électroniques. Ils pouvaient être déréglés, et c’est précisément ce qui lui arriva.
Ne pouvant plus contrôler ses propulseurs, Rachel se mit à foncer droit vers le sol, la gravité l’attirant à elle. Des alarmes et des messages venaient l’agresser, alors que l’armure continuait à tomber.
DANGER ! DANGER ! INTÉGRITÉ STRUCTURELLE EN PÉRIL ! RÉDUISEZ L’ALLURE ! Le seul problème était que Rachel ne comprenait plus rien. Elle était prisonnière de sa propre armure, et vit une série d’immeubles. Elle en effleura un, sentant plusieurs plaques être arrachées sous cette vitesse vertigineuse, ses boucliers ne fonctionnant plus très bien. Elle eut le temps de pousser un bref gémissement avant d’heurter avec fracas l’un des gros piliers d’une autoroute urbaine, le transperçant de part en part, avant de violemment s’écraser contre le béton, au milieu d’une rue.
En sang, son armure brisée, Rachel eut juste le temps de voir, entre deux nuages, des visages se pencher vers elle. Du sang s’échappait de son nez et de ses lèvres, et l’armure ne répondait plus. Le générateur, en revanche, ce petit disque monolithique, était toujours intact. Rachel aurait sans doute pu s’en féliciter, mais elle était bien trop cassée pour ça. Elle sombra dans le coma, ne parvenant même pas à dire un son.