De tout les temps, de nombreux objets occultes ont été utilisés par les êtres humains à des fins de conquêtes ou de vengeance. L’usage de la magie, des pouvoirs sacrés ou infernaux, la manipulation de quelques entités maléfiques ou gracieuses, voire même l’appel à des forces sans substances nées des plus terribles entités ont été bien des fois des facteurs d’extrêmes importances pour la victoire de quelques malheureux auparavant sans la moindre qualité. Mais avec le temps, au travers des héritages, des pillages et des dons, nombreux sont les outils de pouvoirs qui ont disparus de la circulation, finissant entre des mains bien assez secrètes ou vigilantes pour ne pas faire l’erreur d’informer le grand public de l’existence de ces influenceurs de destins. Pourtant, il arrivait par miracles, ou en d’incroyables occasions, que ces objets puissent refaire surface, et deviennent alors des sujets de convoitise malsaine dans le pire des cas, d’intérêt curieux dans le meilleur.
Depuis peu, cela survenait étrangement plus souvent. Suffisamment pour que dans les plus basses sphères des enfers, la question d’une prise de décision quand à ces artefacts d’un temps et de pactes résolus soit à faire. Pouvait-on encore accepter que certains de ces objets, dont la nature et la puissance trouvaient leurs racines dans les enfers et ses occupants, puissent circuler entre les mains des hommes, sans qu’ils ne se rendent compte des pouvoirs et des influences que ceux-ci provoquaient ? Il faut dire que la politique démoniaque avait connue de nombreux changements au travers des dernières époques, notamment à propos de l’aspect un peu trop « intrusif » des démons dans les affaires humaines. Il fallait l’avouer, ces singes à peine évolués possédaient suffisamment de nuances et d’intérêts pour être la meilleure des nourritures, une fois manipulés et désavoués, poussés aux vices et à la détresse. Sauf qu’ils ne pouvaient plus vraiment se permettre de provoquer leur regard sur leurs affaires. Non seulement parce que nombre de sociétés humaines avaient suffisamment développés leurs savoirs occultes pour prendre désormais des précautions telles que l’amusement n’était plus au goût du jour, mais surtout … Parce qu’il y avait désormais certains codes moraux qui s’étaient installés à la table des Princes, et ces codes pouvaient très bien se résumer de cette manière : « Étant bien trop puissant pour le commun des êtres de ces mondes et des autres, il est désormais de notre honneur de ne plus répondre à leur appel ». De ces choix provenaient les actuelles discussions quant aux artefacts démoniaques, ainsi que de la décision qui en découla :
«
Ces objets ne doivent plus circuler. Les précédents maîtres infernaux se sont baignés dans une débauche d’orgueil et de stupidités, désormais nous en faisons les frais. Nos serviteurs deviennent les leurs, les trahisons sont légions, et la structure loyale que nous établissons se brise à mesure que nous nous acharnons à l’établir. Désormais, chaque outil d’autrefois devra être détruit dès que nous avons l’occasion de le découvrir.-
Et qui s’en chargera ?-
Seule notre Loi est suffisamment digne de confiance. Les punitions se faisant plus rare, je propose que l’Exécutrice soit mise en charge de cette mission.-
Soit. Quelles familles sont en désaccord avec ce choix ? »
Trois mains seulement se levèrent sur les quinze plus grande familles des Enfers. Et aussitôt fut voté l’une des nouvelles (et énièmes) tâche de l’Exécutrice infernale. À son plus grand déplaisir actuel…
*
* *
La décision de détruire les outils infernaux avait été prise depuis plus de trois ans. Trois années où , en plus de poursuivre les fuyards, les traîtres et les idiots, l’Exécutrice infernale avait dût apprendre et comprendre le comportement humain menant à la découverte et la transaction des objets susceptibles d’être des artefacts d’un autre temps. Elle n’était guère sotte, et appliquait son devoir avec une rigueur méthodique, mais malgré cela, il lui arrivait parfois de se demander comment ces petits êtres sans la moindre jugeote étaient capable de mettre la main sur autant d’objets dont la simple existence et manipulation pourrait les renvoyer au néant. Sincèrement, elle en avait déjà eut pour plus d’une trentaine d’outils à détruire, allant de l’armoire menant à d’autres dimensions chaotiques au couteau qui permet de faire couler du vin depuis une fente produite par sa lame. Et aujourd’hui encore, elle se devait de rejoindre une petite place d’enchères pour mettre en œuvre tout ce dont elle était capable pour récupérer un lot, un seul, dont la présence était plus que dérangeante. C’était donc grimée de la tête au pied, revêtant la délicate et innocente apparence d’une humaine tout à fait lambda grâce aux sortilèges de sa très chère sœur, qu’elle avait acquise sa place, puis s’était infiltrée dans le merveilleux milieu des acheteurs d’antiquités de Seïkusu. Simple et honnête dame de la haute société, elle s’installa à l’intérieur de la salle principale pour observer le déroulement des opérations, analyser les pièces qui seront amenées pour s’assurer qu’aucune autre ne puisse être dangereuse… et éventuellement, si la chance le veut bien, acquérir le plus facilement du monde l’objet de sa présence en ce domaine.
L’événement traîna en longueur, autant son démarrage que sa mise en route, non sans parler que de nombreuses personnes dans la salle s’extasiaient du moindre bibelot présenté par l’organisation, résultant en des heures terribles de débats stériles, à grand renfort de panneaux levés bien haut pour relever encore un peu plus le prix des banalités mises en vente. Mais enfin survint le clou du spectacle pour Keleth. Dans un large coffret de bois, installé sur une couverture de soie brillante et protégé par un dôme de verre permettant malgré tout d’en observer l’authenticité, l’archi-démone put contempler l’objet terrible qu’elle venait quérir. Il s’agissait d’un fusil d’aspect primitif, présenté comme un des infimes rescapés de la guerre de réunification du Japon, et portant encore la trace de la signature de son concepteur, un soi-disant célèbre forgeron de l’époque. Le nom résonnait aux oreilles des intéressés, mais Keleth avait conscience que cela ne pouvait pas être entièrement vrai : l’aura glauque et mortifère de l’objet laissait entendre que son créateur avait fait partie des anciens Princes des mondes abyssaux, ce dernier s’étant sûrement grandement amusé en offrant une telle arme à un simple humain rongé par le désir de vengeance ou de notoriété. Elle n’avait pas la pleine connaissance de ses pouvoirs, et ne pouvait réellement en faire une analyse précise pour l’instant. En revanche elle tenta de l’acquérir dès lors que fut annoncé, annonçant une augmentation légère en permanence, s’attendant simplement à faire diminuer les acheteurs au fur et à mesure en usant leurs nerfs. Malheureusement… Cela n’alla pas comme prévu.
Soudainement, le prix de ce lot explosa. Une augmentation tellement faramineuse que rien ne pouvait réellement concourir avec une telle dépense. Surtout que celle-ci annonçait clairement qu’il y avait là, quelque part dans le bâtiment, un richissime fils de capable de mettre encore bien plus d’argent sur la table dans le simple objectif de remporter ce fusil. Ce revirement soudain de la situation fut tout à fait incongru pour l’archi-démone, mais cela l’amena à revoir sa méthode d’acquisition. Très bien, elle n’allait pas se battre à coup d’argent, elle allait plutôt … Trouver l’origine de cet achat, et voir les choses avec un peu moins de diplomatie. Quittant son siège immédiatement, laissant derrière elle les riches petits cochons humains, elle se glissa rapidement en dehors de la salle des enchères, puis se glissa en direction des cabines personnalisées. Nulle chance que l’acquéreur du lot soit autre part, en revanche, elle pouvait chercher longtemps avant de tomber dessus, vu le nombre de participants. Mais elle avait retenu le numéro d’acheteur annoncé lors de l’acquisition, plus qu’à trouver le premier… serveur du coin, et son petit chariot plein de denrée et de vaisselles. Elle le trouva près de l’ascenseur de service, s’approcha sans la moindre forme d’agressivité, toujours sous couvert de son apparence illusoire, offrit un sourire quand l’homme se tourna vers elle… Puis lui fondit dessus, l’attrapant à la gorge et le décollant du sol, faisant pression pour qu’il ne puisse laisser un bruit s’échapper d’entre ses lèvres. La porte de l’ascenseur s’ouvre avec un petit tintement délicat, et la voilà qui entre avec sa proie, sans un bruit, pour enfin appuyer sur le bouton obligeant la fermeture de ce petit transport professionnel.
«
Bonsoir monsieur. Je n’ai besoin que d’une information, et tu vas respectueusement me la donner avant de piquer un somme, d’accord. Je veux le numéro de loge de l’acheteur 00536-DI. Donc je lâche légèrement ta gorge, tu me réponds, et tout ira bien. Autrement… je serrerai plus fort, d’accord ? »
Elle ne cherche pas à observer un éventuel accord, mais relâche simplement sa gorge comme convenu, le pauvre jeune homme ayant manqué finir sa vie une première fois, asphyxié. L’archi-démone l’observe inspiré nerveusement quelques rapides bouffées d’air, puis… lui répondre, d’une voix étranglée mais rendue sincère par la plus pure crainte de ce qu’il pourrait subir à mentir :
«
L-...la… 2...200...17... -
Excellent, tu es un amour, tu sais ? Maintenant, dors, j’ai une visite importante et ne peux pas vraiment te laisser te balader, pardon. »
*
* *
«
Le salon est occupé. Veuillez en choisir un autre s’il vous plaît. »
Quand elle se glissa dans le salon, elle ne répondit pas. Elle n’avait pas de raisons de le faire, et cet humain n’avait potentiellement aucuns pouvoirs pour l’y contraindre, encore plus quand elle était en pleine mission. Elle conserva malgré tout son apparence purement humaine, n’ayant pas de raisons de la quitter pour l’instant, et fit quelques pas sur la moquette rase qui couvrait le sol, s’avançant vers la place de choix qu’occupait l’acquéreur du fusil. Une petit table basse se trouvait devant un large téléviseur, et l’homme semblait posséder en plus une tablette pour signaler ses enchères et ses action. Le genre d’équipement que l’on s’apprêterait à entrevoir dans le cagibi d’un gros dégueulasse dont la capacité à se déplacer demandait deux mois de logistique et un monte-charge personnel contre-plaqué or, pour faire encore un peu plus ridicule. Mais à mesure qu’elle progressait, le tableau qui s’offrait à elle était … différent. L’homme qui se trouvait actuellement dans le fauteuil principal, bien dignement positionné, se révélait peu à peu être plus proche de l’illuminé que du porc suintant sa richesse. Une tenue d’une telle grandiloquence qu’elle en bavait les plus vieilles époques de la royauté terrienne par la plus simple de ses fibres, un lot de grelots et de chaînes dont l’affublation était presque dérisoire, ainsi qu’une posture si souveraine qu’elle en sentait la poussière étaient tout autant d’éléments qui manquèrent un instant prendre l’Exécutrice par surprise. Mais le rapprochement avec l’univers de Terra n’allait pas pour autant l’empêcher d’accomplir sa mission, et si cette étrangeté vivante devait être le dernier rempart entre elle et la destruction de l’outil démoniaque, soit, elle allait se prêter au jeu.
«
Allons, allons… Je ne suis pas ici pour le salon en lui-même. »
Ne lui accordant pas plus de regard, elle tira l’un des fauteuil ovoïde de la pièce et l’installa au côté de cette homme, avant de s’y installer confortablement, s’assurant par ailleurs qu’il ne puisse encore bien l’observer en plaçant le dos parfaitement rond de l’assise dans son champ de vision. Puis, lentement, elle se laissa pivoter sur le pied amovible pour se placer sur le même axe que son interlocuteur des prochaines minutes, jambes croisées, venant placer ses mains croisées sur son genou surélevé. Le dos droit, la posture professionnelle, elle observa un court instant l’homme contempler la suite des enchères avant de prendre la parole, cherchant presque à capter le moment même où il allait entrouvrir les lèvres pour lui demander ce qu’elle faisait ici. Après tout, elle était là parfaitement ravi de commencer par lui couper l’herbe sous le pied, petit jeu innocent qui pouvait malgré tout avoir son effet, même mineur :
«
Peut-être souhaiteriez vous une présentation, mais je n’en ai guère à donner. Vous venez de faire l’acquisition d’un objet que je dois mettre au rebus, et face à l’ampleur de la situation, j’ai préférence à venir vous voir directement plutôt que de perdre du temps à lutter à coup de menue monnaie. Je ne viens pas non plus procéder à un échange, même si foncièrement cela pourrait être possible. Mes termes seront donc ceux-ci : dois-je agir cordialement ou voulez-vous me forcer à trouver des procédés bien moins cordiaux ? »