Ashnard. Un Empire qui ne pourrait mieux fonctionner, l’apogée de ce monde, dirigé autant par le gouvernement le plus stricte que les plus puissantes écoles de magie du continent. En ces lieux, et surtout en la toute-puissante capitale, il ne faut pas grand-chose pour pouvoir survivre, mais il en faut bien plus pour vivre dignement. Une quantité respectable de ressources, obtenue par le dur labeur ou le lègue, est une première nécessité, afin de ne pas finir par devoir payer quelques dettes bien trop envahissante pour espérer avoir un jour le droit de s’en séparer, mais ça ne fait pas tout ! Ici, une fois que l’argent est présent, ce qu’il faut, c’est du pouvoir. Et principalement du pouvoir sur les autres : Les droits de naissances sont faciles à acquérir, mais souvent les nobles de ce monde ont la belle tendance de suffisamment s’éduquer pour ne pas en perdre une miette par quelques mauvais tours joués par leurs opposants. L’échiquier politique est aussi foisonnant, tout le monde pouvant s’y essayer si il parvient à rejoindre quelques camps notoires, mais récemment, l’Empire semble avoir tout le mal du monde à accepter que les différents courants de pensées se permettent d’autant l’ouvrir, si bien que de moins en moins de monde ne s’essaye à ce jeu dangereux. Alors que reste-t-il d’accessible, de potentiellement facile à comprendre, et dans lequel on peut, avec des dizaines d’années d’entraînement, se faire un nom suffisant pour pouvoir fouler les beaux quartiers avec la tête haute et l’air princier ? La réponse est assez simple, mais elle demande d’accepter les pires risques, car nul ne sait comment on finit lorsque l’on commence à fricoter avec : la magie !
Pourtant, c’était le cas de Sorcelienne Haffrant. Les années ? Elle avait cessée de les compter. Elle ne s’était adonnée, années, après années, après années, qu’à une seule chose dans la vie : la compréhension des arcanes et leur manipulations, dans plusieurs domaines, jusqu’à ce qu’elle puisse, par le travail, atteindre le rang d’archimage. Désormais, et ce même si les riverains avaient la mauvaise tendance de la voir comme une sorte de monstre au caractère passablement désagréable, tant et si bien que nuls ne s’approchaient de sa haute tour, elle restait un personnage respecté pour ses talents et son travail. Cela lui avait offert tant de choses qu’elle ne s’était pas doutée apprécier, mais qu’elle goûta avec bonheur quand elle s’en rendit compte : la tranquillité absolue car plus personne ne venait frapper à sa porte sans avoir de réelles raisons de la déranger, le temps de travailler sur ses propres projets car on cessa de lui faire des commandes pour qu’elle puisse « vivre dignement », non sans parler du droit de se fournir auprès des plus grands marchands de la ville, tant et si bien qu’elle parvenait toujours à quérir les meilleurs outils pour ses futurs expériences. Elle avait atteint l’état de félicité en Ashnard, cette étape de la vie impériale où tout existe pour que les plus grands aient tout les avantages, et que les plus faibles se nourrissent des miettes en espérant un jour être à la place de ceux qui les piétinent. Pour une personne comme Haffrant, qui n’avait jamais vu en ses confrères et consœurs des personnes de valeurs, cette posture de supériorité absolue était à la fois très plaisante, mais surtout largement appliquée en toute occasion, parfois en assurant de mettre en valeurs ses acquis pour bafouer l’honneur d’un petit nobliaux maladroit, d’autre fois pour se tailler la part du lion au vue et à la barbe des désireux qui mendiaient depuis des mois pour obtenir un brin de renommée.
Mais aujourd’hui, pourtant, elle se leva en maugréant. La fébrilité des derniers jours fit pâle figure par rapport à l’agacement croissant que connaissait la puissante archimage ces derniers heures. Le nez dans ses dossiers, dans ses parchemins aux effets divers et aux inscriptions bancales, elle se redressa de sa chaise avec l’impression détestable que sa tête allait bientôt entrer en fusion, comme si quelques soleils avaient élus domicile dans sa boîte crânienne pour le nouveau tournoi de « qui brille le plus fort ». Attrapant le flacon vide dont elle avait bue le contenu la veille, elle se redressa en titubant, passant sa main dans ses cheveux avant d’essayer de les arracher, comme si cela pouvait atténuer la douleur, puis se mit à avancer maladroitement en direction d’une autre table de sa salle des arcanes. Là-bas, elle avait quelques gouttes de Paliéforese, une huile magique qui avait des propriétés tout simplement miraculeuses sur la santé, à condition d’accepter moralement sa méthode de production (impliquant la sève d’une Dryade et quelques longues heures de traitement ad vivo dans une eau bouillante et saline pour clarifier les sucs de cette créature). Attrapant d’une main tremblante le divin flacon, elle le décapuchonna avec grande précaution, puis l’apporta à sa bouche, plaçant l’ouverture du flacon sur sa langue pour ensuite procéder à un mouvement de balancier arrière-avant de sa tête. Ainsi, une seule goutte vint se glisser dans son organisme, et même si le concert solaire reprenant soudainement vie dans son crâne, elle savait que dans quelques minutes, elle aurait enfin les idées claires. Elle se devait juste d’attendre, lentement, que l’huile vienne libérer son esprit des effets multiples de la potion… Pour enfin se mettre en quête de ce qu’il lui manquait drastiquement désormais : Un cobaye.
*
* *
Elle quitta sa tour un peu plus d’une heure plus tard, se dirigeant vers le marché domestique d’Ashnard en réfléchissant à ce qu’elle pouvait vraiment se permettre de prendre. Elle ne voulait pas d’un être humain lambda, ce genre de corps avaient tendance à mal véhiculer la magie, et donc créaient toujours un lot d’effets supplémentaires et indésirables qui n’étaient tout simplement pas acceptable dans une démarche scientifique. Les bêtes n’ayant pas non plus le même fonctionnement qu’une grande majorité des humanoïdes, elles étaient naturellement ôtées de la liste de ses possibilités d’achat, aussi se devait-elle de trouver à la fois quelque chose de relativement humain, mais qui pouvait être vecteur de grands pouvoirs, ne serait-ce que par l’espèce. Une partie des terranides sont de ce type, tout particulièrement les espèces marines et aviaires. Problème ? Elles sont si rares sur le marché qu’elle se ruinerait sûrement si elle essayait d’en acheter un, alors autant être clair, elle n’allait pas se permettre ce genre de vidage de bourse simplement pour essayer ses productions et ses flacons. Toutefois, un terranide, même d’espèces moins sensibles aux courants de magies, c’était là une idée tout à fait acceptable. Ne lui restait donc qu’à s’orienter vers le coeur du marché domestique, puis à se glisser entre quelques rangées de caisses pour atteindre la zone plus protégée mais aussi ô combien plus active du marché des esclaves. Arrivage du jour, ou restes de plusieurs mois de négociations, il se trouvait ici le plus grand négoce de vie humaine de tout le continent, quoi de mieux pour trouver une éventuelle perle rare, n’est-ce-pas ? Et à cette occasion, la femme n’ayant clairement pas envie de se perdre en déambulations malencontreuses et errances inutiles, elle tira de sa poche un petit colifichet, au bout duquel pendait une petite figurine en os représentant un rat noir.
«
Petite bête, rongeur de suie, entends mon souffle, soit mon ami. Dans les environs, où les hommes dépérissent, je veux un jeune homme, capable d’endurer mes supplices. »
L’instant d’après, voilà que la petite figurine s’anime, se tord, puis tombe au sol sous la forme d’un rongeur sombre, sans yeux, se déplaçant vivement entre les différents obstacles, guidé par quelques instincts à la nature ésotérique. Connectée à ce petit familier le temps de son appel, Haffrant se mit sur ses traces, ne se hâtant guère, ayant bonne conscience qu’il n’ira qu’en direction de sa cible et qu’elle est capable de percevoir la présence de cette petite bestiole à plusieurs centaines de mètre. Le genre de petit sortilège bien pratique. C’est ainsi qu’elle se déplace, entre les étalages bien propre et les petits boutiques de ruelles sales. Elle dépasse un instant l’échoppe d’un vieux croûton qui vend quelques fées à l’air furieuses dans des jarres, puis se retrouve à quitter le coeur de ces tréfonds de la morale pour s’approcher de milieux plus … modestes en terme de présentations. Des bâches, des cages, parfois une grande tente décrépie, quelque chose qui tapait beaucoup moins à l’oeil, mais qui n’en était pas pour autant moins intéressant ! Surtout que son petit familier continuait de cheminer. Pourtant, elle finit par s’approcher d’un petit chapiteau à l’aspect… terne, disons le même, vraiment en mauvais état. Devant celui-ci se trouve ce qu’Haffrant rapprocherait à un sauroïde, une espèce qu’il fallait plus souvent rapprocher des dragons mineurs que des terranides, ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi il se trouvait du bon côté des barreaux du marché domestique. Elle l’approcha rapidement, n’ayant guère de raisons de faire des manières, surtout qu’elle se savait enfin arrivée au bon endroit : son familier se trouve actuellement dans l’abri rapiécés à quelques pas du marchand, aussi semble-t-il… avoir enfin découvert la perle rare qu’elle désirait acheter.
«
Bonjour. Ce fatras est à vous ?-
C’est cela ! Sssssssiltemasss de Corne-Brume, pour vous ssssservir. Vous cherchez quelque-chosssse en particulier ?-
Déjà, à voir votre marchandise. Vous ne vendez tout de même pas vos esclaves à l’aveuglette ?-
Noooon, bien ssssssûr. Ssssssssuivez-moi donc. »
Le sauroïde ne manqua pas de tirer de son sac un bâton de tempête, un artefact magique mineure provoquant quelques crépitements électriques sournois. De certain jugeaient que l’utilisation de tels objets sur les esclaves était un acte barbare… Haffrant, elle, s’en moquait éperdûment. Elle ne fit rien d’autre que lui emboîter le pas, avant de se glisser dans le lieu étrange et suffoquant de la tente, l’odeur moite et l’air épais de cet abri ne manquant pas de l’incommoder. Heureusement pour elle, elle ne traînerait pas longtemps en ces lieux : Une fois à l’intérieur, le marchand ne manqua pas de faire l’étalage de ses marchandises les moins prisées, souhaitant sûrement refourguer quelques bras cassés, ou marchandises de faibles valeurs, à la femme qui venait de le suivre sans préciser quelques formes de demandes précises. Elle le laissa déblatérer le temps de se concentrer sur la présence de son rongeur, puis s’enfonça un peu plus profondément dans les lieux, passant une première rangée de miséreux pour s’arrêter devant une cage relativement petite. Faisant fi de toutes formes de bienséances et de pudeur, sa tenue étant déjà naturellement un affront à ces principes, elle s’accroupit sans attendre, et observa au travers des barreaux la forme mi-humaine mi-vulpine qui s’y terrait, le regard froid et la posture encore emprunte d’un certain retord. Lui, il n’était pas là depuis longtemps. Et c’est qu’il était exceptionnellement mignon, elle pourrait le trouver bien plus beau que nombre de femmes de ce monde. Quel dommage de traiter cela avec aussi peu de respect… Encore plus quand elle savait ce pour quoi elle avait besoin de lui ! Mais elle n’allait pas pour autant avorter son projet, surtout quand son rongeur se trouvait au fond de la cage, tout fier.
«
Messire de Corne-Brume ? Celui-ci me plaît !-
Lui ? J’l’ai eut ce matin, c’est un monceau de problèmes. Il sssse faisait sssssuivre par les gardes, sssssssûrement un fuyard. Vous êtes ssssssûre que c’est ce qu’il vous faut ?-
Certaine. Vous le vendez à combien ?-
780 Malart d’or, et sssssi vous le sssssouhaitez, je peux rajouter une paire de fers ssssssertis d’obsssssidienne pour le garder ssssous contrôle, avec un jussste ajout.-
Je vous le prends à 720, sans les fers. Il va me coûter suffisamment cher à nettoyer et vêtir.-
Ce n’est pas ssssérieux, Madame, ces êtres ssssssont rares et bien plus coûteux ! Mais je peux faire un gessssste.-
Disons 755, et je vous payes immédiatement, à pièce comptante.-
Paaaarfait, sssssuivez-moi. »
L’homme s’éloigna doucement, se dirigeant sûrement vers ses tables de comptes afin de finaliser la transaction, et Haffrant alla pour le suivre… Avant de s’arrêter et de se retourner vers le charmant jeune homme encore en cage. Elle lui soupira alors, tout bas :
«
Ne tentes donc pas de fuir, d’accord ? Je t’achètes, tu me rembourses cette dépense et je te rendrais ta liberté, d’accord. Voit cela comme un échange de bon procédé. Si je me retrouves à devoir te courir après, je serais sûrement bien moins … Collaborative. Donc attends moi, je reviens. »