Seikusu, une ville à laquelle Camille n'aurait jamais songé, il y a seulement quelques semaines. Pourtant, pour fuir son passé doublé d'un avenir incertain, il avait accepté ce poste de photographe filmeur au Lycée Mishima. Le transport payé, le salaire correct, le logement fourni ; son Master en Sciences des Arts avait fait fort, de l'autre côté de la planète.
« Seikusu, me voilà », avait-il lancé, en foulant, pour la première fois, le quai de la gare. Pas comme une idole qui sort de l'avion devant ses fans, mais presque.
Très bien accueilli au Lycée Mishima, il s'était néanmoins heurté à une contrariété, dès le premier jour. Le logement de fonction n'était pas disponible, son actuel occupant refusant de quitter les lieux. Embêtée, l'administration du lycée lui avait payé l'hôtel pendant deux semaines, le temps qu'il trouve une solution.
Mais, au bout de ce délai, Camille n'avait rien ! Payer l'hôtel de sa poche, en attendant que le logement de fonctions se libère, trop cher. Louer un appartement pour une durée indéterminée, pas viable. C'est très vite devenu le système D, squatter chez un collègue ou dormir dans une maison semblant vide.
D'ailleurs, il avait été surpris par le nombre de maisons inoccupées à Seikusu, et surtout la facilité d'y entrer, d'y passer une nuit reposante, et de disparaître le lendemain matin, comme si de rien n'était. Du studio au dixième étage avec vue sur la ville, à la demeure bourgeoise des faubourgs, il savait tout essayé en peu de temps, même s'il devait admettre avoir eu de mauvaises surprises, alarmes stridentes, fuites en pleine nuit, et autres désagréments.
Pour ce soir, il a repéré une habitation isolée des autres. Ca fait plusieurs soirs qu'ila passe devant, de jour comme de nuit, pas de mouvement, pas de véhicule, pas de lumière. Ca doit faire partie des vieilles demeures que des légendes urbaines disent hantées. Camille en sourit ; son pragmatisme tout français fait fi de ces balivernes.
Néanmoins, en franchissant la grille d'entrée, il reste sur ses gardes ; peu probable que ne surgisse le fantôme d'un samouraï d'antan, mais pas impossible de voir un molosse dérangé sur son terrain de chasse. Camille avance prudemment dans les herbes folles, guettant le moindre bruit ; mais seuls ses pas froissant les herbes, même pas un grincement de volet.
La porte semble verrouillée, mais, là aussi, il a vite acquis de l'expérience, une aiguille, une pointe carrée, une clé coudée, la serrure mi rouillée mi forcée ne rsiste pas longtemps. Etrange que cette porte, pourtant inutilisée, ne grince même pas. Intéressant même, se dit Camille. « Si c'est aussi bien entretenu partout, ça pourrait me faire une maison pour plusieurs nuits ».
Pas de lumière dans le hall, mais la lampe torche est plus discrète. Camille avance en silence. Le bas semble surtout servir à une énorme salle de réception, avec du bric et du broc au fond. Plus tard l'exploration. Une cuisine aussi, mais ce sera pour plus tard la visite. Camille s'engage dans l'escalier, un double en deux arcs de cercle, qui ne grince pas davantage. Etrange maison que l'abandon ne semble pas avoir affectée.
L'étage est plongé dans le noir total, la lampe torche déchire la tranquillité d'un immense couloir, parsemé de multiples portes comme à l'infini. La première à droite semble ouverte, il entre, balaie les lieux du rai lumineux. Très sobre, très étrange aussi. Aux antipodes des chambres japonaises épurées, un étrange lit comme issu de la collection d'une vieille famille française. Du bois massif, des chevets assortis, presque fait comme s'il l'attendait.
« Ah oui, la maison hantée, c'est vrai ; ça doit être le lit du fantôme », songe-t-il, posant son sac à terre. Même l'eau ne semble pas avoir été coupée, dans le petit cabinet de toilette adjacent. Rafraîchi, détendu, fatigué, Camille s'assied sur le lit.
Mais ses sens sont interloqués par une étrange odeur d'humidité. Par acquis de conscience, il va vérifier le lavabo ; peut-être a-t-il déclenché une fuite après des années d'inutilisation. Tout semble en ordre.
« Je ne vais pas croire à ces histoires de vieilles femmes ! », se rassure-t-il en se dévêtant, posant ses habits sur une chaise qui paraît presque neuve ; étrange là aussi, son tissu semble humide. « Peut-être est-ce dû au fait que la maison a été longtemps inoccupée ».
Par contre, simplement se poser sur le lit le saisit. Malgré le tissu qu'il a mis entre lui et le sommier, il se sent transpercé d'une humidité, encore. Ce n'est pas la première fois qu'il ressent cela dans un logement vide depuis longtemps, mais jamais ce ne fut si fort. Il en frissonne un peu mais, en cette saison chaude, l'ambiance a vite raison de ces frissons mi froid mi inquiétude.
« Allez, c'est l'heure de dormir ; la journée de demain s'annonce chargée en boulot. Et j'essaierai de rentrer plus tôt pour mieux explorer cette maison ; ça pourrait peut-être me faire un logement sympa pour les mois à venir ».