La faute incombait principalement à la godasse. Cette vieille paire de pompes ne n’avaient jamais porté chance de toute manière. Combien de fois m’étais-je prise dans ces fichus lacets défaits, combien de fois avais-je été sur le point de passer au travers de la semelle usée. Honnêtement, j’aurais mieux fait de m’en défaire depuis longtemps, pour mon propre bien, et ma foi, pour celui de Milano aussi.
« J’suis vraiment désolée, c’était un geste super con, j’ai voulu les virer et mon pied est parti… Ah putain, j’suis super désolée, ça va aller ? » M’inquiétai-je en me penchant vers lui.
Aucune femme n’était mieux placée que moi pour compatir sur un coup aussi vicelard. Mais en l’occurrence, celui-ci était bien involontaire, et je ressentais vraiment un énorme malaise après cette bourde. Moi et mon talent pour la sensualité, on repassera… Ne sachant que faire d’autre, et aussi pour ne pas aggraver les dégâts, je me contentai de tapoter l’épaule du Milano plié en deux.
Le soutien psychologique était un maigre réconfort dans ce cas-là, je le savais bien. Ce n’était jamais qu’un tapotement compatissant, une manière de dire « Je connais ça, mec, j’ai les mêmes », même si un pochon de glaçons aurait été plus approprié. L’idée d’installer un frigo me traversa vivement l’esprit mais, alors que j’imaginais la galère pour faire les branchements, le plat d’une main me gifla violemment la joue. Au point d’en retomber derechef dans le fauteuil, la face cuisante.
« Oook… Celle-ci était méritée mais… »
Ce genre de regard, je le connaissais bien. Une étincelle de pure colère noire, presque de meurtre, tout à fait celle que l’on m’adressait après avoir découvert le fond d’une de mes arnaques. Je ne me serai jamais attendu à la voir chez Milano. A peine commençai-je à me tasser au fin fond du canapé miteux, qu’il me bondit dessus, me renverse sur le côté et me colle avec force le nez dans le matelas.
J’émets un glapissement de surprise, mais la suite me coupe littéralement le sifflet. Milano m’empêche de me redresser malgré mes gesticulations, mais je sens nettement son autre main descendre sèchement mon froc. Un petit courant d’air m’informe aussitôt que je suis cul nu. Mon caleçon laisse tout échapper, mes fesses rebondies, le service au grand complet et ma dignité. Celle-ci s’évapore d’autant plus vite que je suis saisie malgré moi par une érection absolument prodigieuse.
« Aahein ?... » Emis-je bêtement en voyant les capotes pendouiller sous mon nez. « Woheuh… Oh.. Att… Hmpf ! »
La suite est étouffée dans les coussins poussiéreux du canapé, où mon indice allergène monte démesurément. Je devrais protester. Je devrais me débattre. Ne serait-ce que pour la forme, mais j’en suis tout à fait incapable. J’ahane, je couine, et j’ai chaud, très chaud en entendant la ceinture de Milano être débouclée. Cette fois, je sais bien ce qui m’attend, et à ma grande honte, au lieu de chercher à m’y soustraire, je demeure immobile en attendant la sanction.
Mon corps n’en fait qu’à sa tête de toute manière. Je cambre inconsciemment le dos, redressant mes fesses, alors que je sens quelque chose de chaud, et de bien dur se faufiler contre mon postérieur. Je frémis avec un petit bruit impatient. Enfin, il allait me prendre comme ça ! Me ravager le cul sauvagement !... Mon cœur bat tellement fort dans l’attente de la sodomie, que je l’entends résonner à mes oreilles mais, alors que son sexe se presse contre moi, l’instant d’après… Plus rien.
*Bordel, mais qu’est-ce qu’il…*
Le bassin de Milano heurte bien mon cul qui s’impatiente, mais aucune verge n’y rentre, seulement le claquement de la chair contre la chair. Ce con le fait exprès ! Il sait que je n’en peux plus d’attendre ça, et il me le refuse au dernier moment pour me rendre dingue ! La pression sur ma nuque diminuant, je me démène pour regarder derrière moi d’un air furibond, prête à engueuler copieusement ce type…
Qui n’est plus là. Une jeune femme inconnue se tient à la place de Milano, avec les mêmes vêtements, la poitrine et l’entrejambe complètement dénudée. J’en reste scotchée. La demoiselle lâche un des préservatifs, s’empare du téléphone de Milano, et le jette rageusement au sol aussitôt. Mon cerveau fait de la gymnastique. Cet arnaqueur avait déjà fait preuve de pouvoirs étonnants, et cette femme était exactement à sa place, avec les mêmes fringues, ce qui voulait dire…
« M-Milano ?... Putain, t’es… Une gonzesse ? Comment c’est... Ahaha… Je veux dire, ahaha… C-Comment… Ohahaha… Désolé mais là…AHAHA… C’est… »
Et c’était trop tard. Peut-être était-ce l’adrénaline en train de retomber, mais un fou rire impitoyable s’empara de moi. Milano était bien là, en version féminine, l’air ahuri du type qui s’apprêtait à me prendre en levrette mais qui n’a plus les moyens techniques pour le faire. L’absurdité de la situation m’empêche de calmer mon hilarité. A vrai dire, avec mon froc sur les mollets, un reste d’érection entre les jambes, et mon t-shirt ouvert sur mes seins, je n’étais pas bien glorieuse non plus.
Mais tout de même. Incapable de m’arrêter, je me bidonnais pendant plusieurs minutes avant d’être arrêtée petit à petit par d’atroces crampes d’estomac. Alix est absente quelques instants, veuillez la laisser reprendre son souffle avant de pouvoir émettre des paroles compréhensibles.