Loin d’être choqué par l’usage du tutoiement, Lamnard écouta la jeune femme, la déesse sous des atours mortels, qui faisait son maximum pour lui paraître fragile et délicate, et éveiller ses instincts de mâle protecteur. Elle émettait quantité de doutes sur elle-même, doutes que l’homme aurait pu dissiper en disant simplement que chacun avait son rôle à jouer dans la saga que le Destin avait rédigé pour eux tous. Mais il se retint bien de lui faire une morale d’ordre philologique, préférant écouter les doutes et les appels d’une croyante manquant de repères. Ses connaissances se révélaient, en fait, extrêmement basiques : elle connaissait Thor, Odin et Freyja, principalement. Il était étonné qu’une jeune fille ne s’émeuve pas des récits sur le magnifique Baldr ou sur Od, mari de Freyja errant par le monde pour donner sa grâce aux récoltes.
« C’est étonnant que tu en saches à la fois si peu et autant à la fois, Hvida. Mais je comprends qu’une jeune fille manquant d’éducateurs puisse s’attacher aux maîtres d’Asgard et à la belle dame. »
Il lui adressa un sourire charmeur. Freyja et son frère Freyr étaient des Vanes, des dieux jeunes incarnant la fertilité et la force de la jeunesse. Freyja était souvent contée comme étant la jeune femme parfaite, à la fois belle, douce et pleine de force et de santé.
« Tu dois savoir qu’elle forme un trio symbolique avec l’Ase Frigg et la géante Skadi ? Frigg est la femme d’Odin, la mère des mères et la conseillère du grand sage, la patronne des femmes mariées et des dames de pouvoir. Skadi est une chasseresse, l’épouse de Njörd, dieu de la mer et des vents. Fait amusant : à une occasion, Freyja et Skadi ont été ennemies, quand son camarade, le géant Thjazi, fut exécuté par les dieux pour avoir enlevé Idunn, la déesse de l’éternelle jeunesse et la détentrice du secret de l’immortalité. »
Hvida semblait boire ses paroles. Il y avait des chances qu’elle n’ait jamais entendu cette histoire. Bien sûr, et bien qu’il ne puisse s’en douter, elle était sûrement en train de faire semblant et d’attendre qu’il n’arrive à un point où elle pourrait intervenir à son tour. Ce point n’allait pas tarder à arriver, car, voyant son attention, Kystrejfter se fit un devoir de faire le récit de l’événement.
« Thjazi convoitait Idunn et ses pommes d’immortalité. Il s’était allié à Loki pour enlever la déesse et l’amener chez lui. Freyja … Freyja doit avoir le pouvoir de voir le bon même chez les êtres les plus vils, car elle donna à Loki des ailes pour qu’il répare son erreur et ramène Idunn en sa demeure. Thjazi le poursuivant, il fut capturé à son tour et tué. Skadi réclama justice en assiégeant la demeure des dieux, mais elle accepta contre trois choses : elle put choisir un époux d’après ses pieds, et tomba sur Njörd en croyant avoir découvert les pieds du magnifique Baldr ; les yeux de Thjazi furent lancées au Ciel pour devenir des étoiles ; et Loki ... »
Lamnard s’interrompit en étouffant un rire. Son visage était devenu rouge en contenant son hilarité, et il reprit son souffle avant de poursuivre, bien incapable de savoir que son attitude et la suite risquaient de déplaire à son interlocutrice.
« Pour faire rire Skadi, Loki attacha ses bourses à la barbe d’une chèvre, et chacun des dieux vint tirer tour à tour pour le faire crier. Le fourbe Loki sauvait ainsi le pacte tout en recevant la punition qu’il méritait. »