Il y avait une quantité assez impressionnante de choses à faire dans les sous-bois de ce lieu bizarre - Entre les humains de différentes tailles à épier et les animaux à aider et avec qui jouer, Shire ne s'ennuyait jamais quand elle venait ici, et elle était presque certaine qu'il restait encore beaucoup de choses pour s'occuper. Mais ça, c'était en journée. Parce que la nuit, par contre, cette si grande et amusante parcelle de forêts devenait ennuyante à mourir. Les humains n'étaient plus là pour lui offrir de divertissants spectacles, les animaux dormaient ou chassaient et ne pouvaient donc pas lui consacrer de temps. Et la satyre s'ennuyait, une situation difficilement supportable pour son esprit infantile, toujours en quête de stimulations.
Du coup, le simple bruits de pas craquelant les feuilles mortes avait attiré son attention, alors qu'elle était en train de farfouiller dans un buisson. Et c'était dans l'arbre où elle était grimpée que Shire avait observée un long moment cette drôle d'humaine.
En voyant que cette fille se dirigeait dans la direction du buisson quitté quelques minutes plus tôt, la satyre avait poussé un petit gloussement, anticipateur des évènements qui allaient suivre.
L'ennui inspirait parfois de bonnes idées, mais la plupart du temps, il inspirait surtout des idées folles, un peu bêtes, voire dangereuses parfois. C'était particulièrement vrai pour les jeunes personnes, qui aimaient passer le temps en faisant des bêtises, guidé par une immaturité inéluctable. Shire avait, en cette soirée morne et sans intérêt, imaginé quelque chose, et son plan avait été mis à exécution peu après. Cela dit, elle n'aurait pas pensé que cette idée porterait ses fruits avant le début de la journée. Il n'y avait en effet, après tout, jamais personne à cette heure-ci dans le parc. Les humains n'appréciaient pas l'obscurité, elle leur procurait de l'inconfort, Shire l'avait remarqué. Mais pour une créature comme elle, qui était incessamment en contact avec la nature, cet inconfort résidait dans l'illogisme, voire la bêtise.
L'humaine ne semblait pas en mener plus large que les autres, malgré sa drôle de prestance. "Drôle", dans le sens que effectivement, elle était bel et bien humaine - de toutes façons, il n'y avait que ça dans cet endroit - mais elle semblait posséder une aura dominatrice, confiante, qui s'épanouissait tout le long de sa silhouette et apparaissait, aux yeux de la fille des Nymphes, comme un indicateur d'une puissance qui n'avait pas grand-chose d'humain. C'était léger, d'accord, mais pour une créature habituée à ressentir de la magie, c'était en voie d'expansion et prédicateur de quelque chose de plus impressionnant. Et du coup, cela la fit hésiter un court instant : si jamais son plan fonctionnait, est-ce qu'il n'y avait pas un risque que cela lui retombe dessus ? Après tout, elle, elle n'avait pas beaucoup de pouvoirs pour se défendre. Les satyres savaient communiquer avec la nature, demander des faveurs aux Dieux et aux animaux, utiliser les ressources magiques que la Terre pouvait offrir sous formes de cristaux, par exemple. Beaucoup d'humains le faisaient aussi, mais dû à leur nature un peu aveugle, les résultats tardaient à se faire sentir. Shire, elle, pouvait obtenir ce qu'elle voulait en quelques secondes.
Puis, quand sa petite main frôla l'amulette attachée à sa cuisse, ses nerfs se détendirent.
Ah oui, c'est vrai... avec ce truc en sa possession, elle ne risquait en fait pas grand-chose. Elle n'était pas encore habituée à l'avoir, mais l'artefact "emprisonneur" de chance était en fait un excellent moyen de faire en sorte qu'absolument rien ne nous arrive.
C'était un peu le bouclier ultime, ce truc... et une bonne raison de se détendre et de laisser les choses devenir très amusantes.
Tout se passa donc en quelques secondes, et de la façon dont la satyre l'avait prévu.
Un pied posé sur un tas de feuilles mortes, une corde se resserrant autour de la cheville, un mécanisme tout bête et un peu de magie terrestre anti-gravité. La Jane se retrouva bien vite la tête en bas, dans les airs, prise dans un piège comme un vulgaire gibier.
En plus des rumeurs témoignant d'une étrange créature qui attaquerait les gens de nuit, plusieurs personnes s'étaient récemment plainte d'avoir été victimes de blagues du même acabit. Elles étaient toutes d'un mauvais goût du genre, ce qui laissait indiquer aux gardiens de la municipalité que la même personne en était responsable. Ces blagues auraient pu être anecdotiques et tomber dans l'oubli, sans que personne en parle, si elles avaient été sans aucun danger. Le problème, c'est que la plupart des victimes avaient été soient blessées, soit en passe de l'être, par la situation.
Shire n'avait en effet pas toujours conscience de la fragilité d'un humain. Elle laissait parler son imagination pour ces blagues, sans vraiment se fixer de limites, mais comme on pouvait s'y attendre de la part d'une créature solide comme elle, ça allait souvent trop loin. Il y a quelques nuits de cela, des collégiennes avaient voulu eux aussi vérifier si les rumeurs de la Bête étaient vraies. Elles s'étaient retrouvées victimes d'un autre des tours de Shire, qui consistait en un autre mécanisme et en un sac qui déverserait son contenu sur les deux curieuses.
Malheureusement, pour que la force du mécanisme soit suffisante, il avait fallu remplir le sac de choses assez lourdes. En l'occurrence, des pierres de bonne tailles, que Shire avait ramassé en hâte pendant la confection express de sa blague.
Il y avait quand même eu un sacré raffut, cette nuit-là - d'autres humains allant et venant, posant la collégienne évanouie dans un espèce de sac avant de repartir dans une grande calèche de fer toute blanche. La calèche faisait un sacré bruit, aussi, et les lumières rouges qui en émanait lui avait fait mal aux yeux.
La fille avait saigné un peu, et son amie avait beaucoup pleuré... mais bon, Shire n'avait pas non plus passé sa journée à penser à des pleurnicheuses ! Ca l'avait juste... marqué, c'est tout. Et du coup, elle avait essayé de rendre ses blagues moins dangereuses. Mais c'était assez difficile. Parce que c'était assez compliqué de jouer un bon tour à quelqu'un sans le mettre un peu en situation de faiblesse.
Shire aurait bien aimé pousser un peu plus loin les tours qu'elle jouaient aux humains régulièrement, en fait. Non, parce qu'il fallait l'avouer : les humains qui se baladaient en journée avec une tête méfiance, faisant des gros yeux aux arbres et aux écureuils qu'ils croisaient, c'était quand même très drôle !
Mais depuis cet épisode, elle s'était contenté de trous camouflés par des tas de feuilles, ou de cordes autour des chevilles, comme maintenant.
Cela dit, en regardant l'élan de la corde projeter Jane contre le tronc de façon un peu violente, Shire avait juste soupiré. Ca restait trop violent, alors ? Mince, à la fin, elle ne savait vraiment plus quoi faire, alors !
La satyre s'était laissé tomber de l'arbre et approché du piège, en fronçant les sourcils. Sa petite tête inclinée sur le côté, elle avait essayé de voir si sa victime était inconsciente, mais même si elle ne bougeait plus trop, sa conscience était toujours là, ça se sentait. Croisant les bras sur sa poitrine, la créature avait sifflé bruyamment, pour attirer l'attention de la lycéenne. Une petite voix, mi-moqueuse mi-boudeuse, avait entamé la conversation :
"Heh ! T'es toujours là, ou pas ?"