Noriko croyait enfin voir les fin de ces jours de tourment. Comme à son habitude lorsqu’elle préparait quelque chose d’important, elle le faisait à l’avance, et ça lui avait permis d’un peu se détourner du récent passé. Alors, par moment, elle arrêtait quoi qu’elle ait été en train de faire, allait chercher un objet complètement sans rapport avec la tâche suspendue, et le déposait dans un sac de voyage près de l’entrée de son appartement, posé là, sagement, en attente. Ca lui évitait d’oublier quoi que ce soit, puisqu’elle aurait plusieurs jours pendant lesquels penser à quelque chose une seule fois suffirait à l’emporter.
C’était d’autant plus important que le voyage en question tenait à cœur à Noriko. Un réalisateur connu, qu’elle appréciait d’ailleurs beaucoup, souhaitait la rencontrer pour savoir si elle conviendrait pour le rôle - tant par sa personne que, évidemment, son jeu d’actrice ; Elle aurait déjà mis un pied dans le 7ème art si ce n’était pour ce détail, mais cette fois, l’occasion était trop belle et elle tentait sa chance. Ce séjour de seulement 3 jours dans le nord du Japon pourrait littéralement décider de l’avenir de sa carrière, entre une « simple » carrière de modèle et celle d’actrice ; Noriko devait aimer la perspective de la deuxième possibilité, et maintenant qu’enfin elle était en vue, elle se demandait pourquoi elle n’avait pas mis ce cap plus tôt.
Tout ça n’avait plus d’importance, elle comptait bien faire bonne impression. Alors, dès qu’elle eut sorti son sac de voyage, elle s’assura d’y mettre les essentiels, ceux qu’elle n’aurait jamais pu oublier : Trousse de toilette et de maquillage, serviette...Ensuite elle pensa évidemment, tout de même, à quelques impératifs ; Déodorant, parfum ,quelques vêtements de rechange et des sous-vêtements, choisis par ensemble et avec soin, réfléchissant longuement à quel impression elle voulait donner - elle fixa son avis sur de la fine couture mais dans des coupes peu osées, gardant une certaine sophistication mais sans risquer de sembler manquer de vertu, et ne rompit ce ton avec ses choix olfactifs.
Après cela, quelques objets un peu plus excentriques ; Un yukata, se sachant un peu grande, et ne voulant de toute façon parier son apparence, pendant le séjour dans ce qu’elle avait compris être une sorte d’auberge, sur celui qu’on lui donnerait là-bas. Celui-ci était d’une facture plus qu’excellente, avec des motifs floraux le grimpant dans une cascade de couleur, rivalisant même avec certains kimonos, loin de l’habituelle informalité de ce vêtement. Avec cela, quelques divers juban pour ne rien salir, de fines ceintures tissées pour ajuster à la perfection, et un somptueux obi, presque trop pour un simple yukata. Justement, elle emportait un furisode pour lequel la longue ceinture était bien plus adaptée, tant en noblesse qu’en motifs et couleurs ; Ces dernières étaient marines, mélange de bleus, violets et roses légers en passant par toutes les nuances les séparant, le tout agrémenté, évidemment, de blanc. Les dessins de fils fins étaient eux floraux, comme pour l’autre vêtement, mais bien plus riche, certains plus imposants que la fleure représentée, mais infiniment plus raffinés, complétés de cousines graduellement plus petites jusqu’à ce que chaque subtil point ne soit qu’un seul pétale. Avec, des zori et tabi, ces dernières constituant une certaine originalité puisque se déclinant en un bleu pâle, changeant du traditionnel blanc, mais s’associant si bien au vêtement qu’elles complétait
Le kimono était simplement magnifique et inestimable, tant par sa magnificence que le fait que c’était un cadeau acquis récemment grâce à sa carrière de modèle, et Noriko n’osait penser en porter un autre à cette occasion rêvée et à laquelle elle croyait encore à peine. Il était si beau qu’il semblait même pompeux, mais ça le rendait parfait pour « son rôle », celui d’une princesse à la beauté aussi inaccessible que fatale et raffinée.
Au cours des jours suivants, elle déposa encore d’autres objets - enfin, pour être honnête, du défaire le sac jusqu’à la position supposément meilleure pour l’objet, avant de tout remettre, devant, chaque fois qu’elle repliait un des plus précieux vêtements, vérifier sur internet comment le faire au mieux. D’abord, un photobook ; Pas n’importe lequel, un d’une revue de charme plutôt « raffinée », qui avait préféré certaines des photos les plus artistiques de Noriko aux dénudées ; Elle en avait acheté un nouveau, plus présentable pour un cadeau, au lieu d’utiliser celui qu’elle possédait déjà, collectionnant elle-même chaque ouvrage où elle apparaissait, souvent issus des tous premiers tours d’imprimerie. Plus tard, elle pensa à ajouter un appareil photo ; même si ça ne serait pas du tourisme, elle se dit pourquoi pas, constatant que son sac n’était pas encore incapable d’accepter une charge de plus. Chaque jour, elle enlevait et rajoutait, au gré de ses besoins, le chargeur de son MP3, gagnant l’habitude de le garder dans le sac chaque fois qu’il était inutilisé, pour ne pas l’oublier tout en continuant de garder le baladeur à pleine énergie.
Par une chance, mais aussi une stupidité innommable, elle ne se rappela que très tardivement que tous ses efforts vestimentaires sembleraient bien vain sans accessoires. D’abord, deux éventails, évidemment ; Un qui irait avec le yukata, commun et là plus par tradition qu’autre chose, et un plus richement orné, qui servirait à compléter la splendeur du kimono. Ensuite, quelques accessoires capillaires sans lesquels sa tenue supposée noble ne pourrait jamais être complète. D’abord, un adapté à la saison, qu’elle porterait simplement avec le yukata pour faire gage de bonne foi quant à son attention aux détails ; Ensuite, un bira-bira floral et son maezashi associé, ainsi qu’une large fleur aux pétales de soie fine. Le réalisateur qui souhaitait la voir comptait la voir personnellement, et nul doute l’inspectera-t-il de la tête au pieds dans le moindre de ses faits et gestes, et si elle ne pouvait compter que sur elle pour ne pas croiser les jambes ou sembler désinvolte, elle sentait avoir mis toutes les chances de son côté quant à la préparation.
C’est dans cette toute relative euphorie que Noriko arriva dans le hall de l’immeuble, se disant qu’elle ferait tout aussi bien de prendre son courrier en passant, ayant recouvert la présence d’esprit de préparer ses clefs à l’avance. Sur son nuage, elle faillit sursauter quand quelqu’un la salua alors qu’elle tentait - avec moins de réussite qu’elle ne l’aurait voulu - d’ouvrir la petite serrure. Achevant de tourner le verrou, elle détourna la tête vers son voisin, lui souri avec plaisir, constatant qu’il avait su se défaire de cet horrible rictus de l’autre jour, le gratifiant d’une humble inclination de la tête en même temps qu’elle lui rendait sa salutation, puis revint à sa boîte aux lettres.
Toute la chaleur et joie de vivre qu’elle avait pu accumuler les derniers jours disparut en un seul instant. Elle eut la contenance de ne pas lâcher ses clefs qu’elle avait machinalement extirpées pendant qu’elle saluait son voisin, mais sa mâchoire, elle, tomba bien. Là où jusqu’ici elle avait été apeurée, choquée, elle était maintenant morbidement outrée ; L’odeur, même si elle n’était au final que peu forte, lui donnait la nausée, et elle n’en crut pas ses yeux lorsqu’elle constata l’imposante quantité de fluide. Il y en avait trop pour une seule personne ; Est-ce qu’ils étaient plusieurs ? Depuis quand ? En fait, ce n’en était peut-être pas, ou diluée, mais la ressemblance était assez saisissante pour qu’elle ne se risque pas à vérifier, pas sans gants en tout cas, et encore.
Quand son voisin lui parla, elle n’entendit presque pas ; L’information passa bien jusqu’à son cerveau, l’atteignant, se voyant engrangée, mais n’entraina aucune réaction tant elle était inutile et hors de propos. A cause de ça, elle ne réagit tout simplement pas, et ce certain manque de politesse fut sans doute remarqué, car elle se voyait maintenant demander si tout allait bien. Non. Non, définitivement, tout n’allait pas bien, mais elle ne pouvait décemment pas lui dire.
« Je...O-oui, j’ai...Eu plusieurs heures de train, aujourd’hui...Dé...Désolée pour le thé, je crois que ce sera une autre fois...Je crois que j’ai comme vous besoin de me reposer... »
Elle avait remarquablement repris sa contenance, arrivant à glisser une politesse à la fin de sa réponse alors qu’elle alignait à peine deux mots au début, comme si feindre la bonne allure était devenu une seconde nature, pour elle, maintenant. Ce mensonge avait visiblement marché, « l’homme du rez-de-chaussée » rentrant dans sa tanière, encore que même s’il avait su que c’en était un, il aurait peut-être fait de même. Peu importe, elle referma la boîte aux lettres ; Elle la nettoierai plus tard, quand le voisin serait moins attentif au hall, et surtout quand elle aura eu l’occasion de chercher de quoi faire. Elle se pressa jusqu’aux escaliers et se précipita sur sa porte.
Ce qu’elle y trouva fut pire que ce qu’elle avait fui. Enfin, graphiquement, certainement pas, mais qu’on ait pu l’atteindre jusque chez elle, dans son foyer, ce qu’elle utilisait comme refuge depuis plusieurs jours...Elle ferma immédiatement la porte et s’y adossa pour que son dos y glisse lentement jusqu’à ce qu’elle se retrouve assise, une main pressée sur la bouche pour ne pas crier ; Pleurer était déjà inévitable, les larmes lui perlant aux yeux. Que faire, maintenant ? Et qu’est-ce qu’ils voulaient ? Ce n’était plus les moyens qui leur manquaient : Ils auraient pu la surprendre dans la nuit, seule, effrayée...C’est sans doute pour cela qu’il y avait un mot, se dit-elle. Enfin pourrait-elle savoir ce qu’on attendait d’elle ; Aussi horrible que ça serait sûrement, c’était une délivrance.
Qu’on lui refusa. Même pas une demande, c’était une promesse, celle que son voyage ne faisait que commencer. Finalement, mise devant cela, elle n’avait pas la force de relever le défi ; Ni celui de l’énigme, car elle n’était pas le moins du monde plus avancée quant à qui était son corbeau, ni de se jeter dans la gueule du loup, quand bien même elle aurait pu, faute de connaître sa tertre.
Elle se leva en hâte, tentant de se calmer à chaque pas, sachant que la clairvoyance et la rapidité lui étaient vitale. Elle courut à sa chambre, attrapant au passage le maillot souillé pour l’envoyer voler hors de sa vue, et commença à attraper des affaires, mais se retourna soudainement quand elle se rappela que c’était ce qu’elle avait fait depuis plusieurs jours ; Son sac de voyage, elle l’attrapa en passant sans même s’arrêter, sortit, verrouilla sa porte à toute vitesse, si seulement ça avait un intérêt, maintenant, et descendit les marches quatre par quatre.
D’une main peu assurée, elle toqua à la porte de son voisin qui selon toute vraisemblance serait là, lui aillant offert le thé il y a seulement quelques instants, rassemblant pendant les dernières secondes qu’il lui restait toutes ses force pour arriver à faire sa tirade.
« J-Mon appartement a été...Cambriolé...Je...Je ne veux pas y...y rester...Cette nuit...S’il vous plaît, est-ce que...Vous pourriez m’héberger..? Je vous promets que je ne prendrai pas de place...Je...Je ne veux juste pas dormir là où...On pourrait...Me faire n’importe quoi... »
Elle n’allait pas lui dire la vérité, mais pas non plus lui cacher la gravité de la situation ; Et puis, dans son état, il ne pouvait que se douter que ce n’était pas l’envie de changement qui la motivait : Les yeux rougies et encore humides de larmes, les balbutiements...Tout la trahissait. Par chance, son voisin avait l’âme charitable, quoi qu’il aurait été audacieux de refuser, osa-t-elle elle-même penser.
Il lui cuisina avec affection et un certain réconfort, quoi que Noriko resta globalement assez peu répondante et distante, d’une manière assez compréhensible alors qu’elle ne se sentait en sécurité nul part ; Malgré tout, elle ne le quitta pas de la soirée, même alors qu’elle aurait voulu aller dormir, restant sous sa surveillance aussi longtemps qu’elle le pouvait, et profitant de sa chaleur humaine, aussi petite soit-elle, après la froideur morbide des crimes dont elle était victime. Cela, jusqu’à ce qu’il aille se coucher, en tout cas ; Dans la canapé, l’allemand aillant catégoriquement refusé de ne pas laisser son lit à son hôte.
A ce moment, elle alla prendre une douche, se sentant sale ; Sans doute avait-ce une dimension psychologique, mais son stress et voyages de la journée ne lui avaient pas épargné de suées non plus. Elle ne profita qu’un bref moment de la chaleur de l’eau, se sentant fragile aussitôt son hôte n’était plus dans la même pièce, quoi qu’elle aurait à s’y faire pour dormir, pensa-t-elle. Quand elle eut fini, elle n’eut que son yukata à mettre ; Elle aurait tant voulu être à un onsen, son environnement si typique et traditionnel, pour le mettre, mais c’était mieux que rien ; Quoique. Elle avait pris le obi et juban avec elle dans la salle de bain ; Elle n’en avait pas besoin, pouvant se contenter seulement de la première ceinture plus fonctionnelle , mais ne voulait tout de même pas faire comme si elle était chez elle, et puis elle trouva le rituel du nouage du obi réconfortant. Posant une des extrémités par dessus son épaule, elle arriva pour la première fois à se calmer, prenant le temps de faire un beau nœud - peu élaboré, devait-elle avouer, mais bien réalisé tout de même.
Quand elle sortit de la salle de bain, ses affaires sales et trousse de toilette dans les bras, elle éteint la lumière de celle-ci, mais n’eut pas à allumer celles du salon, risquant de réveiller celui qui dormait sur la canapé. Elle pouvait aisément se retrouver ici, habituée à son appartement qui était rigoureusement identique, aux meubles près. Ca lui donnait d’ailleurs une étrange impression, comme une vallée de l’étrange immobilière. Elle marcha silencieusement jusqu’à la chambre et hésita un instant si elle devait fermer la porte ; Après des délibérations qui furent peu déchirées, elle la laissa grande ouverte, préférant ne pas se couper de son hôte.
Délicatement, elle glissa sous les draps et s’y cacha, comme une petite fille apeurée, remontant le tissu jusqu’au haut de ses épaule, et s’endormit finalement après de très longues minutes à ouvrir grandes ses oreilles à toute menace.
[ Si tu veux avoir glissé quelque chose dans les affaires de Noriko pendant ta visite de l’appartement, c’est évidemment possible, tu n’as qu’à le dire ]