Pour Cupidon, c’était une vraie question. Ange de l’Amour avant tout, elle voyait cette émotion comme l’émotion cardinale, une émotion qui, en bien comme en mal, gouvernait les hommes dans la quasi-totalité de leurs décisions, et ce qui façonnait tout être vivant. De l’Homme à la biche, l’amour était une valeur partagée par l’ensemble des espèces, une émotion-mère à la source de bien d’autres émotions. Elle n’était pour autant pas une jeune idéaliste naïve, qui verrait dans l’amour le bonheur suprême. Plus mâture, Cupidon savait que l’amour, puisque à la source de tout, ou de presque tout, était autant une force créatrice que destructrice. En réalité, Cupidon considérait qu’il y avait deux grandes pulsions, chez un individu, qui le forçait à agir, et qui justifiait l’intégralité des décisions prises : la Raison, et l’Amour. Parfois, ces deux puissances se recoupaient, mais, parfois, elles étaient diamétralement opposées.
En ce moment, Cupidon voulait surtout en savoir plus, car c’était typiquement le cas. La Raison expliquait à Mélonye que Rhian, l’élue de son cœur, était une Princesse, et qu’il était donc inenvisageable d’envisager une union entre elles. Elles n’appartenaient pas aux mêmes classes, aux mêmes groupements sociaux, et, dès lors, une relation serait impossible, car Rhian, par son statut, devait se marier à une personnalité influente, quelqu’un qui lui permettrait d’asseoir son autorité et de renforcer son pouvoir. Mais, face à ça, il y avait l’Amour, qui lui disait qu’elle était amoureuse, que Rhian l’aimait très certainement aussi, et qu’elle raterait sa vie en ne tentant pas sa chance… Et, en vérité, Cupidon était sûre que c’était ce « très certainement » qui faisait toute la différence, et qui paralysait Mélonye.
C’est d’ailleurs ce que l’intéressée ne manqua pas de confirmer. Elle avait peur d’un rejet, peur que déclarer sa flamme ne donne lieu qu’à une fin de non-recevoir, et que cela ne dénature ensuite définitivement les relations dans le harem. Cupidon avait de quoi répondre là-dessus, mais, avant qu’elle ne puisse formuler quoi que ce soit, Mélonye l’interpella, en lui parlant de ses propres expériences.
« Oh… Euh… Eh bien, euh… »
Elle ne put pas répondre encore, car Mélonye se pressa contre elle. Cupidon sourit alors, et posa sa main sur ses cheveux, les caressant doucement.
« Oui, je suis amoureuse, mais… Ce n’est pas un amour impossible, loin de là ! Cyanée est une belle sirène… Magnifique, douce, aimante… J’ai été très surprise de la retrouver sur Terra, et… Quand je l’ai revu, j’ai su que je l’aimais, sans aucun doute possible. Alors, tu vois bien qu’aucun amour n’est impossible. C’est ce que vous dites, vous, les humains, non ? À cœur vaillant, rien d’impossible ! »
Cupidon était comme ça, toujours motivante, toujours à voir le bon côté des choses, et à se dresser contre tous les absolutismes que les humains aimaient tant ériger.
« Alors, ce que j’en dis, moi, c’est que tu n’es pas honnête avec ta Princesse, si tu lui caches l’entièreté de tes sentiments… Et que tu n’as pas confiance en elle, si tu penses que cette révélation brisera vos relations. »
Pour le coup, l’Ange se montrait assez dure, mais elle ne faisait que dire le fond de sa pensée, et, surtout, elle cherchait à provoquer la jeune femme.
« Moi, ce que j’en dis, c’est que, si cette Rhian est comme tu me la décris, il est normal de tomber amoureuse d’elle. Elle ne pourra qu’en être flattée ! »
Mais, de toute manière, le choix final appartenait entièrement à Mélonye…